Le chanvre, une piste pour le textile wallon

Un champ de chanvre. © shutterstock

Un champ de chanvre. © shutterstock

Alors que les défilés de mode battent leur plein, il est possible de fabriquer des fibres textiles en Belgique !
La filière du chanvre, en cours de développement en Wallonie, laisse entrevoir une innovation de taille.
Une production agricole pour des vêtements plus locaux, plus réfléchis.

Reportage Aurore Vaucelle

La nouvelle n’a rien d’anodin, car elle ouvre des perspectives nouvelles : une filière de chanvre textile voit le jour en Wallonie. Et si on n’en est qu’au début de l’histoire, il y a de quoi s’arrêter une minute pour l’écouter.

Parce qu’on est tous concernés par le vêtement (la nudité n’étant pas vraiment de mise) ; parce que le niveau d’intérêt pour une consommation locale des produits du quotidien ne cesse d’augmenter ; parce qu’enfin, les citoyens n’ignorent plus le coût humain et écologique des vêtements qu’ils portent.
Le salaire des travailleurs du textile au Bangladesh, en Chine, ou, désormais en Ethiopie ; le drame de la quantité d’eau utilisée dans la production du coton (on parle de près de 2 500 litres d’eau dans un T-shirt) ; l’empreinte carbone des vêtements fabriqués bien loin de nous sont en effet des informations connues, que certains n’arrivent plus à digérer.

En général, les gens qui passent la porte de ma boutique arrivent après un énième drame, par exemple celui du Rena Plaza” (NdlR, l’effondrement d’un atelier de confection vétuste à Dacca au Bangladesh avait fait 1127 victimes en avril 2013), explique Valérie Berckmans, qui tient une boutique de mode éthique, rue Van Artevelde à Bruxelles.

C’est chez elle que Valentine Donck, spécialiste de la filière du chanvre en Wallonie pour Valbiom, a logiquement choisi de nous donner rendez-vous.

Valérie Berckmans, designer de vêtements Made in Belgium et Valentine Donck, experte pour le chanvre, chez Valbiom ASBL. © Semra Desovali.

Valérie Berckmans, designer de vêtements Made in Belgium et Valentine Donck, experte pour le chanvre, chez Valbiom ASBL. © Semra Desovali.


L’ASBL Valbiom traite de la valorisation de la biomasse. Et la Région wallonne nous a mandatés pour mettre au point des débouchés rentables pour le chanvre”, nous explique-t-elle en guise d’introduction.

Le chanvre apparaît comme une solution pour relocaliser le textile, même si, évidemment, il ne s’agit pas de toute la production textile.
Valentine Donck, chargée des fibres textiles, dont le chanvre, chez Valbiom ASBL

Le chanvre, c’est quoi ?

En Belgique il existe trois possibilités de fibres textiles : le lin, le chanvre et la laine. “Nous avons listé tous les avantages du chanvre. C’est une culture écologique pour laquelle il n’y a pas besoin d’utiliser d’herbicide ni de pesticide, le chanvre n’étant pas sensible aux maladies. Il n’a pas besoin de désherbage, il a besoin de peu d’engrais.”

C’est une culture écologique et maligne pour laquelle il n’y a pas besoin d’utiliser d’herbicide ni de pesticide © Shutterstock

C’est une culture écologique et maligne pour laquelle il n’y a pas besoin d’utiliser d’herbicide ni de pesticide © Shutterstock

Par ailleurs, “il produit beaucoup de biomasse à l’hectare, et est adapté à pas mal de types de sols et de climats”.Culture historiquement installée en Belgique, le chanvre a été interdit pendant plusieurs années à cause de sa parenté avec le cannabis.
Jusque-là, le chanvre avait toujours été cultivé de manière artisanale. Les gens avaient des chanvrières, la culture n’a jamais été industrialisée…”. C’est le projet du moment !

Quel est l’intérêt du chanvre pour le textile ?

Je recherche les tissus les plus locaux et les plus naturels possible pour mes créations vestimentaires.
Valérie Berckmans, designer de vêtements Made in Belgium

Le chanvre est une opportunité, bien qu’il y ait peu de développements à ce sujet. Par exemple, il n’existe pas encore de jersey, souple et doux en chanvre […] 
Vous savez, les gens veulent acheter local, mais ils ne réalisent pas forcément quand on leur dit que c’est du coton bio. Alors, autant le préciser :

"Le coton bio, ça ne se fabrique pas sous nos latitudes ! Notre coton bio, ici, dans la boutique, provient de Turquie ou d’Inde.”
Valérie Berckmans, designer de vêtements Made in Belgium

Où en est-on de la production de chanvre ?

Pour l’instant, en Région wallonne, on fabrique un chanvre simple à produire, avec les installations dont nous disposons déjà, mais il existe des projets d’innovation en Europe. Le but est d’obtenir un fil de chanvre fin et tricotable”, comme c’est le cas avec le lin que l’on cultive et tisse à l’heure actuelle.

© IPM

© IPM

Si on peut relocaliser le textile, ou tout le moins, la production de fibres textiles, ce serait plus qu’intéressant. Nous sommes en contact avec des industriels du textile et eux aussi réclament des matières textiles plus locales, plus durables”, poursuit Valentine Donck, missionnée par la Région wallonne et forte d’un soutien politique.

Mais il faut pouvoir développer un chanvre qui soit rentable pour l’agriculture. “Toute la difficulté est de démarrer une filière à partir de zéro et, en Wallonie, on était à zéro. Il y a eu des cultures il y a déjà dix ans. Une unité de défibrage s’est ouverte, à Marloie, en province de Luxembourg”, l’entreprise Behemp”.

C’est quoi le défibrage du chanvre ?

Le chanvre se coupe et on le rouit au champ comme le lin (NdlR, on le défibre par macération), pendant plus ou moins un mois. Ensuite, il faut séparer la partie dure et ligneuse, de la partie fibre de la tige de chanvreOn fait alors passer le chanvre dans une unité de défibrage qui va donner une fibre courte. La fibre courte n’est pas optimale car, fort logiquement, elle est difficile à filer seule. Dans ces cas-là, par exemple, l’on va créer des textiles en fibres mélangées : laine, lin et chanvre”.

Un manteau en chanvre, lin et laine wallonne, créé par Anne Dujardin, designer à Bruxelles. © Anne Dujardin

Un manteau en chanvre, lin et laine wallonne, créé par Anne Dujardin, designer à Bruxelles. © Anne Dujardin

Existe-t-il un marché du chanvre textile ?

Un agriculteur wallon, qui cultive déjà le chanvre depuis quelques années, a acheté une unité de défibrage qui fera la première transformation. Elle sera opérationnelle ce printemps. Il y produira de la fibre courte, alors qu’actuellement, les producteurs de chanvre en Belgique travaillent essentiellement pour un débouché dans le domaine des matériaux biocomposites, pour l’isolation notamment. Pour ce qui est du chanvre textile, on est encore au stade essai. Du côté du marché mondial, les Chinois travaillent déjà le chanvre, ils sont très avancés. Des marques allemandes et londoniennes qui commercialisent de la mode en jersey de chanvre se fournissent sur ce marché chinois”.

En comparaison, le marché européen est très en retard, d’autant qu’il y a une demande de la matière première. Que ce soit de la part des industriels, des tisserands, des designers ou des stylistes. “En fait, le chanvre arrive comme un produit miracle, car il répond à plusieurs demandes. Peu polluant, il est demandé car il améliore aussi la structure des sols et il contribue à un paysage diversifié”.

La filière du chanvre, ça donne quoi dans le réel ?

Pour la Région wallonne, il est question de 100 hectares de chanvre cultivé, un chiffre en petite diminution. “Le souci principal tient dans le prix des parcelles. Les terres sont chères en Belgique, la main-d’œuvre doit être rémunérée correctement. Et il faut parvenir à rentabiliser cette culture. C’est pour cela que la filière connaît des problèmes de croissance. Par ailleurs, pour que le produit prenne une réelle valeur ajoutée et donc, qu’il se vende à un prix rémunérateur, il faudra en obtenir une fibre longue”, éclaire Valentine Donck. Un propos complété par la designer Valérie Berckmans : “Il existe, en ce moment, toute cette politique du tout local. Ce n’est pas juste une bonne idée, on doit investir là-dedans.”

À noter : l’ASBL Valbiom travaille en collaboration avec d’autres associations, en France notamment, et en Flandre : “Pour que l’on n’ait pas, tous, à réinventer la roue”.

Une nouvelle fibre demandée par les consommateurs ?

Valérie Berckams, qui soutient la demande de chanvre textile belge, fabrique par ailleurs la totalité de ses pièces de vêtements en Belgique ou en France. Un atelier à Koekelberg, un autre en centre-ville, un, plus loin, dans la campagne française. “Les vêtements Made in France ou Made in Belgium ont un prix Et je précise que c’est d’abord pour payer tout le monde correctement. Si on ajoute un tissu qui serait local, ce serait génial mais c’est un gros challenge”.
Car, complète Valentine Donck, “le prix des terres et de la main-d’œuvre vont se répercuter sur le prix final du vêtement”.Du côté client, toutes deux précisent le rapport encore ambigu des actuels clients de cette mode éthique à leur acte de consommation. “Les gens qui passent la porte du magasin cherchent une alternative à la mode actuelle, car ils ont eu une épiphanie. Et, oui, certes, il y a beaucoup de fierté à acheter quelque chose qui soit fabriqué dans le pays. Mais vous savez, parfois, entre la fierté et le prix qu’on paie, on ne sait pas encore lequel on préfère…”. (rires)

Pour se procurer des vêtements en chanvre, on ira chez Véro Bastien qui fait du jersey de chanvre (www.youmiwi.com) ; chez Anne Dujardin, rue du Zodiaque, 3 à Bruxelles (http://madujardin.com) ; ou encore à la mercerie alternative, Atelier 53, Rue des Carmes 53, à Namur.

Vidéo : Semra Desovali