Comment valoriser les déchets alimentaires en milieu urbain ? 

À Bruxelles, les déchets organiques sont encore le plus souvent jetés dans la poubelle tout-venant.
En ville, de multiples solutions existent pourtant pour valoriser ces déchets en ressources.
Des pistes se dégagent pour améliorer le système actuel.

Reportage 
Valentine Van Vyve

Lionel est arrivé dès potron-minet au jardin partagé du quartier Helmet à Schaerbeek. Sur ce terrain mis à disposition des habitants par la SNCB, le maître-composteur vérifie que tout va bien et soulève tour à tour les couvercles des bacs à compost. Formé par l’ASBL Worms, cet informaticien gère le compost collectif. Cinq cubes d’un bon mètre carré constitués de palettes en bois sont alignés les uns à côté des autres. “Les premiers, aux extrémités, accueillent les déchets alimentaires frais auquel on ajoute de la matière sèche”, entame-t-il.

Broyat, élagage, copeaux, paille, tout ce qui permet d’équilibrer la matière carbonée des uns avec la matière azotée des autres. Les déchets y resteront trois mois avant d’être transvasés dans le deuxième bac, où ils subiront le processus de maturation pendant trois nouveaux mois. “En le retournant, on réoxygène le compost. C’est essentiel”, glisse le maître-composteur.

Enfin, le dernier bac permet que se fasse le processus de minéralisation. Les déchets finalement tamisés ne sont alors plus que de l'humus qui servira d’engrais, détaille Lionel Etienne. Il permettra de nourrir la terre du potager collectif, cultivé lui aussi par des habitants du quartier, mais aussi pour les pots de fleurs ou les herbes aromatiques des participants au compost.

Une fabrique locale d’engrais
et de liens

Ils sont aujourd’hui une quarantaine de ménages à prendre part à ce projet lancé il y a dix ans et subsidié pendant ses deux premières années par la Région bruxelloise. “Au départ, chacun reçoit un seau en plastique de récup avec les instructions sur ce qu’on peut y mettre”, poursuit Lionel Etienne.

Ces composts collectifs sont des systèmes qui fonctionnent de mieux en mieux. On en compte aujourd’hui 160 en région bruxelloise. “On vise d’en avoir 200 à la fin de cette année”, ambitionne Benoît Salsac. Pour valoriser au mieux ces déchets, l’ASBL Worms dont il est le fondateur a été mandatée par Bruxelles-Environnement pour encadrer ces initiatives, dispenser des formations tant à destination du grand public que des maître-composteurs et gérer le réseau que forment ces bénévoles dans la capitale. “Cet engouement va de pair avec le zéro déchet. Les gens cherchent les domaines dans lesquels ils peuvent faire des efforts. Les biodéchets en sont un”, constate-t-il.

Si le compost collectif produit des nutriments pour les sols, il noue aussi des liens entre les habitants.

“Les familles participent au retournement trimestriel et s’impliquent dans la mesure de leurs possibilités. Cela tisse des liens entre nous.”
Lionel Etienne, maître-composteur

La convivialité y est recherchée au même titre que l’envie de diminuer son impact environnemental.

“Les quantités traitées par les composts collectifs sont encore trop peu importantes: elles avoisinent quelques centaines de tonnes de déchets alimentaires par an sur les 126 000 tonnes produites à Bruxelles”, tempère toutefois Simon De Muynck, coordinateur du Centre d’Écologie Urbaine, tout en encourageant toutefois ce type d’initiatives locales et citoyennes.

Quand la nature est soutenue par la technologie

La technologie peut-elle participer à une meilleure valorisation de nos déchets organiques ? Les trois jeunes conceptrices de Greenzy le pensent. Le produit, qui poursuit son ultime phase de test, se présente comme une poubelle design de 50 litres. Son usage, ses conceptrices l’ont voulu “le plus simple possible” : les déchets y sont versés en continu. Le terreau est récupéré après deux mois. La nature fait une partie du travail. La technologie se charge du reste : la température ambiante à l’intérieur du silo favorise l’activité de microorganismes ; les déchets y sont découpés et mélangés de manière à aérer et oxygéner la matière. “Le système est pourvu de capteurs qui activent au besoin le mélangeur en fonction des données reçues sur le taux d’humidité, d’oxygène et de gaz”, précise Adélaïde Biebuyck.

L’utilisateur peut accéder à ces informations, ainsi qu’à toute une série de conseils, grâce à l’application Greenzy. Celle-ci devrait permettre, à terme, d’échanger du terreau entre utilisateurs ou avec les écoles et collectivités locales.

Avec ou sans jardin, valoriser ses déchets

Pour favoriser la valorisation des déchets organiques, le gouvernement bruxellois a mis en place un système de tri (encore non obligatoire) via le sac orange. Ceux-ci constituent à peu près 10 % des déchets alimentaires générés (8 000 tonnes) et permettent de produire de l’énergie à la faveur du processus de biométhanisation. “C’est une des solutions pour ceux qui n’ont pas un accès à la terre”, souligne Simon De Muynck. Benoît Salsac déplore cependant le manque à gagner d’un processus énergivore. “Ces déchets organiques pourraient être utilisés pour fabriquer de l’engrais de qualité pour la production locale de nourriture et faire un pas vers plus d’autonomie alimentaire en ville”, motive-t-il. Et les possibilités en milieu urbain, et plus particulièrement à Bruxelles, sont multiples.

À peu près un Bruxellois sur quatre dispose d’un jardin et pourrait donc y installer un compost en bois ou en fût. La valorisation animale, via les poules, est aussi une alternative dans certains cas.

Pour ceux qui n’ont pas d’espace extérieur, ou seulement un petit balcon, le Bokashi, l’élevage de mouches soldats noires et le vermicompost sont autant de techniques hors sol. Le premier permet la fermentation des matières organiques. Au bout de cinq semaines, l’engrais doit être enfermé dans le sol. Dans le deuxième, des insectes très voraces valorisent ces déchets. “Une fois gavées, on récupère les larves. Elles constituent des protéines animales importantes et nourrissent les autres animaux, comme les poules, alors qu’actuellement, la plus grande partie des protéines animales viennent du soja. Or, on sait comme il est néfaste pour l’environnement. Avec ces mouches, on a une solution locale qui pourrait même être incorporée dans la nourriture humaine”, souligne Benoît Salsac.

Pour le dernier modèle, ce sont cette fois des vers à compost qui “diminuent les déchets organiques de cuisine en les mangeant.” Pour commencer un vermicompost, le plus économique est de se procurer auprès de quelqu’un qui le pratique, quelques litres de compost contenant plusieurs dizaines de vers. Benoît Salsac nuance toutefois : “Son succès est aussi aléatoire que de prendre soin de plantes vertes”. En tout état de cause, “le compost, quel qu’il soit, ne peut fonctionner sans implication”, souligne-t-il. “Et nécessite du temps car on reproduit un processus naturel.”

Photos et vidéos : Valentine Van Vyve

La biodivesité des pratiques

Chaque année, les Bruxellois produisent 126 000 tonnes de déchets alimentaires alors que la nature produit 64 000 tonnes de déchets verts. Pourtant, la très grande majorité finit à l’incinérateur : sur les 126 000 tonnes de déchets alimentaires, 90% sont incinérés. “Ce sont les biodéchets qui ne sont pas triés à la source et qui sont mis dans les sacs tout-venant blancs”, explique Simon De Muynck, coordinateur du Centre d’Ecologie Urbaine. Ces déchets, plutôt que de servir de ressources, sont perdus. Plus encore, ils nécessitent de l’énergie pour être brûlés.

Les biodéchets constituent encore la moitié des sacs blancs.”
Simon De Muynck, coordinateur du Centre d’Ecologie Urbaine

Le constat qu’ont dressé les membres de la recherche action Opération Phosphore est sans appel : le système bruxellois de traitement des déchets est loin d’être optimal, mais recèle un grand potentiel. “Dès lors qu’on les brûle, on en perd les ressources minérales et nutritives qu’ils comportent. C’est une fin regrettable quand on sait que ces déchets organiques pourraient être valorisés, notamment dans l’agriculture ou l’horticulture ou sous forme d’énergie via un processus de méthanisation”, commente Simon De Muynck.

90% des biodéchets produits en Région Bruxelles-Capitale sont incinérés. Les ressources minérales et nutritives qu’ils comportent sont dès lors perdues.

Trois années de recherche action

L’ULB, le Centre d’Ecologie Urbaine, Bruxelles-Propreté, Bruxelles Environnement, Refresh XL, Worms ASBL, Roots Store et la Commune de Schaerbeek se sont réunis pour clarifier et analyser les flux des déchets en Région bruxelloise. Il en ressort les chiffres édifiants susmentionnés. Sur cette base, les membres ont ébauché, au terme de ces trois années, des pistes de solutions afin d’améliorer la collecte, le traitement et la valorisation des déchets organiques.

"Nous proposons de mettre en place un système multi-échelle qui permette une réelle transition."
Simon De Muynck

En plus de ce qui se fait à l’échelle ultralocale (compost individuel ou collectif) et à l’échelle industrielle et centralisée (biométhanisation), on a mis en branle l’émergence de nouveaux acteurs intermédiaires qui traiteront les déchets à moyenne échelle, comme ceux des restaurants. Ces acteurs locaux et circulaires existent déjà à Paris. On voit en eux un potentiel important de réécologisation du système.”

L’Opération Phosphore n’entend donc pas mettre à plat le système actuel, mais le compléter grâce à de nouveaux acteurs clés. Ceci tout en continuant à soutenir les dynamiques locales de composts collectifs et de quartier. A l’autre bout de l’échelle, “le gouvernement de la Région bruxelloise a choisi de développer une usine de biométhanisation à Bruxelles. Cela permettra de valoriser les biodéchets en énergie de manière plus performante que ce n’est le cas actuellement”, ajoute Simon De Muynck.
Pour autant, “attention de ne pas surdimensionner ce système technicien et industriel”. Car il risquerait alors d’annihiler les initiatives locales et écologiques, prévient-il. “L’enjeu a été de trouver l’équilibre dans ce projet de société afin de laisser place à un système plus complexe, ouvert à différentes échelles et pratiques complémentaires. C’est la biodiversité des techniques et des pratiques qui va faire que le système sera résilient et écologique.”

Opération Phosphore

Opération Phosphore

Enfin, en plus d’un meilleur tri des biodéchets à la source qui sera obligatoire en 2023, l’accent doit être mis sur la prévention et la diminution drastique des déchets organiques puisque “le meilleur déchet reste celui qui n’existe pas”, conclut Simon De Muynck.