Des crampons pour (r)accrocher à l’école

Marie Russillo

Marie Russillo

L’ASBL FEFA joue sur deux terrains : celui du football et de l’école.
Son but est de lutter contre le décrochage scolaire, élevé dans la commune d’Anderlecht et en hausse en Région bruxelloise.

Reportage 
Valentine Van Vyve

Il fait un froid de canard, en cette fin d’après-midi de janvier. La météo n’a cependant pas entamé l'enthousiasme des joueurs des deux équipes U14 qui s’entraînent d’arrache-pied sur le terrain synthétique de Cureghem. Tous portent les couleurs du célèbre club de foot local, le Sporting club d’Anderlecht (RSCA). “Une fierté”, glisse Adel Benyamoun, coordinateur sportif de l’association FEFA. “Nous mettons en place un encadrement de qualité et des moyens, mais nous ne visons pas l’élite. Sur 10. 000 jeunes qui passeront par l’association, un seul aura un avenir comme joueur professionnel. Les 9. 999 autres sont par contre concernés par la réussite scolaire. C’est sur eux que nous nous focalisons”, explique Julien Cuxac, directeur de l’ASBL.

Car être membre de la FEFA (Football, école, famille), c’est faire partie d’un club peu ordinaire. Il y a quinze ans, ses fondateurs – l’échevin de la cohésion sociale, la prévention et le sport – et le directeur de l’Athénée Leonardo Da Vinci – faisaient le constat d’un taux de décrochage scolaire élevé. “Les jeunes étaient désœuvrés, n’avaient pas l’opportunité d’exercer des activités de loisir, n’avaient pas de point d’accroche”, retrace Julien Cuxac. Ceci s’inscrit dans le contexte scolaire compliqué du début des années 2000, avec des coupes dans les finances qui mènent à la suppression de milliers de postes d’enseignants. L’Athénée Leonardo Da Vinci les subit de plein fouet. “Il y avait – et ceci est encore d’actualité un besoin criant de soutien socio-éducatif dans cette école de la dernière chance”, poursuit notre interlocuteur.

En 2005, avec le concours du président du RSCA, les septante premiers membres de l’ASBL foulent le terrain synthétique de leur commune. Au volet sportif, vient très rapidement se greffer un suivi scolaire pour les jeunes et un soutien psychosocial pour les familles.

“Le football sert d’accroche.”
Julien Cuxac, Directeur de l'ASBL FEFA

Aujourd’hui, quelque 252 jeunes de quatre à vingt ans prennent part à ce projet sportif et éducatif. Ce dernier s’étend par ailleurs à leurs frères et sœurs, aux anciens membres ainsi qu’aux élèves de l’Athénée Lenoardo Da Vinci, si bien que l’ASBL touche au final, chaque année, près de 400 jeunes du quartier ou scolarisés à Anderlecht.

Balle au pied et stylo en main

“En janvier, on a eu 100 % de présence aux entraînements et presque tous les joueurs ont remis leur bulletin”, se réjouit Adel Benyamoun. Trois fois par an, l’association procède au relevé systématique des bulletins scolaires. En fonction des résultats, le responsable de l’école des devoirs décide, en commun accord avec le jeune et ses parents, du suivi à mettre en place : une présence à l’école des devoirs pour une durée déterminée voire un soutien individuel.

Le décrochage scolaire progresse en Région bruxelloise

Le décrochage scolaire touche un jeune Bruxellois sur dix, selon les chiffres communiqués en décembre dernier par l’administration de l’Enseignement. Ils concernent l’année 2018-2019. Une tendance en progression dans les 19 communes de la capitale.

9,4% - Le taux d’absentéisme a atteint 9,4 % en 2019 contre 8,8 l’année précédente.

Près de 15 % des jeunes Bruxellois quittent l’école sans le diplôme de l’enseignement secondaire alors que 28 % des élèves scolarisés dans un établissement de la capitale ont au moins deux ans de retard scolaire. Une étude menée par la KUL a en outre mis en évidence que 45 % des élèves en Région bruxelloise présentent un risque de décrochage scolaire.

Alors que le Pacte d’excellence entend diviser par deux le taux de décrochage scolaire d’ici à 2030, la Région bruxelloise a décidé de dégager des moyens importants pour soutenir les écoles, les communes et le secteur associatif afin de prévenir le décrochage scolaire, d’intervenir lorsqu’un élève décroche ou de mettre tout en œuvre pour remobiliser le jeune dont le parcours scolaire est interrompu.

En 2020, près de 8 millions d’euros seront ainsi octroyés à la lutte contre le décrochage scolaire. Une administration, baptisée "Perspectives", regroupe désormais ces différents moyens. La coordination des politiques régionales de lutte contre le décrochage scolaire est quant à elle assurée par le Service École de "Perspectives".

La Région mise particulièrement sur le volet prévention, par le biais de 100 agents actifs sur le terrain quotidiennement et de 580 projets, comme celui de l'association FEFA.

Dans un petit local de l’Athénée Leonardo Da Vinci, une vingtaine d’élèves de tous âges ont le nez plongé dans les manuels scolaires. Abdelaziz Khader mène la danse au centre d’une table ronde. “C’est quoi la racine carrée de 16 ?” “4 !”, répond du tac-au-tac un élève. L’ambiance est détendue mais studieuse. Deux professeurs de l’athénée anderlechtois encadrent les élèves de l’école des devoirs mise en place par la FEFA, que coordonne Laurent Kounou. “Cureghem est un quartier au niveau socio-économique bas, l’école, classée D +, connaît un taux d’absentéisme élevé, les résultats des élèves y sont inférieurs à la moyenne en Fédération Wallonie-Bruxelles dans toutes les matières, brasse-t-il. Certains enfants peuvent moins que d’autres. Ils ne bénéficient pas des ressources à la maison. Nous sommes là pour pallier ce manque et les aider à se donner les moyens d’atteindre leur objectif.”

"Nous visons à inscrire le jeune dans une scolarité positive et choisie”.
Laurent Kounou, responsable de l'école des devoirs.

C’est notamment le cas de Hakim. Joueur en U21, il est aussi coach (le Sporting d’Anderlecht participe d’ailleurs à la formation des coachs et des arbitres de la FEFA) et étudiant en deuxième année de médecine. Un modèle pour les jeunes pousses comme Yacine. Cela fait plusieurs années que ce joueur de 14 ans fréquente l’école des devoirs. “C’est un choix : ici, il fait plus calme. Je réussis mieux, explique le jeune homme. Le fait que la participation aux matchs soit liée à la réussite scolaire me pousse à travailler davantage.”

“Le foot, c’est la carotte et le bâton”, résume Laurent Kounou. lors de son adhésion, le jeune prend des engagements. S’il ne les tient pas, il peut être sanctionné.

“Un jeune absent ou dont les résultats ne sont pas satisfaisants peut venir s’entraîner. Nous ne lui lâchons pas la main. Cela participerait à l’exclure davantage encore du système scolaire.”
Julien Cuxac

Selon Julien Cuxac, le taux de redoublement des membres aurait été divisé par deux en quinze ans. Le football est donc un puissant outil de réussite scolaire. Mais pas seulement…

Un outil de vie et de vivre ensemble

“Les qualités de résilience, positivité, respect et discipline sur lesquelles nous insistons sont des qualités indispensables pour réussir en société, insiste Julien Cuxac. La finalité, c’est aussi la sociabilisation au sens large, c’est offrir au jeune la capacité de se repérer dans son environnement, de maîtriser les codes de la société dans laquelle il vit, c’est en partager les valeurs, pour qu’il puisse en être un acteur à part entière, notamment sur le marché de l’emploi.”

Le football est enfin un vecteur pour favoriser la mixité sociale, culturelle et géographique.

“Le monde de certains jeunes, c’est leur rue, un square… Nous voulons briser le sous-localisme  et les emmener plus loin. Casser les barrières mentales. Le sport transcende les différences et amène de facto de la mixité.”
Julien Milquet, échevin des Sports et de la Cohésion sociale à Anderlecht.

La commune a connu des vagues successives d’immigration dont “les nouveaux venus ne maîtrisent pas systématiquement les codes culturels de la société d’accueil”, précise Julien Cuxac. Le but est qu’ils les intègrent et que “ces familles soient résilientes et autonomes”, ajoute Julien Cuxac.

Favoriser les collaborations

En 2021, l’ASBL devrait bénéficier d’une cafétéria, de vestiaires et d’un nouveau revêtement pour le terrain. Les abords de celui-ci, entre zone de dépôt sauvage d’ordures et lieu de trafics en tout genre, seront réaménagés. “Avoir accès à des infrastructures de qualité, cela joue sur la motivation du jeune et sur sa valorisation. Mais aussi, nous l’espérons, sur l’implication des parents. C’est un enjeu important”, commente Julien Milquet.

Au rang des projets, la FEFA entend aussi bien renforcer les liens avec le Sporting d’Anderlecht (“pour qui nous sommes une vitrine sociale”, commente Julien Cuxac) qu’encourager le maillage associatif. Dans cet ordre d’idée, elle participe au projet “Educasport”, dans le cadre duquel elle partage auprès d’autres clubs sportifs à visée éducative (taekwondo, basket et badminton) son expertise en matière d’accrochage scolaire.

Photos : Marie Russillo
Vidéo : Valentine Van Vyve