Echange commercial
et citoyen au TransiStore

Echange commercial et citoyen
au TransiStore

Un magasin de proximité, convivial et citoyen a ouvert ses portes à Etterbeek. Il se concentre autour de deux axes : la vente et la rencontre.
Il veut démontrer qu’un modèle alternatif de distribution existe. Il permet de redonner sa juste place aux consom’acteurs et aux producteurs.

Reportage : Valentine Van Vyve

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Son nom a été trouvé par un habitant de la commune après avoir récolté le plus grand nombre de "like" sur Facebook. La population d’Etterbeek a choisi de le nommer “TransiStore”, ou la contraction de "Transition" et "Store" (magasin). Le mot-valise porte en lui-même les gènes de ce projet, né à la fin du printemps dernier. Ceux de la rencontre de trois partenaires, trois acteurs ayant décidé de mettre leurs compétences, complémentaires, au service d’un projet commun : Oxfam Magasins du monde, Agricovert et le Collectif citoyen. L’espace qu’ils partagent, 200 m² au coeur de cette commune bruxelloise, ils le définissent comme "un magasin de proximité, convivial et citoyen".

Un magasin, certes, mais au modèle particulier puisqu’il intègre production, consommation, remise à l’emploi et citoyenneté. "On fonctionne comme un écosystème", explique François-Olivier Devaux, l’un des trente membres du Collectif citoyen. Ce qui les rassemble ? "Le vécu de valeurs communes. Le fait de pouvoir trouver dans un lieu pas mal d’exemplarité : produits éthiques, locaux et sains, de circuits courts." C’est la diversité des acteurs et les différentes "dimensions" du projet qui lui apportent sa plus-value. Dans la maison TransiStore, "on rentre par différentes portes", se réjouit Martin Rose, membre d’Oxfam Magasins du monde. Ouvrons-les…

Changer de logique

Dans les grandes surfaces, les produits bio et locaux sont de plus en plus visibles. Si cette évolution est considérée comme positive en termes de sensibilisation citoyenne, elle n’est pas vue comme tout à fait favorable par certains représentants de coopératives agricoles fonctionnant par le biais des circuits courts. Les grandes enseignes, sous couvert de défendre une production locale et bio, font jouer aux producteurs le jeu de la concurrence. "La logique ne change fondamentalement pas : le producteur en subit les conséquence puisqu'il est obligé de revoir ses prix à la baisse et perd la main sur sa production et son prix", déplore Ho Chul Chantraine, gérant d’Agricovert.
A l'inverse, chez TransiStore, le consommateur est un acteur. Il émet des idées, prend des décisions, informe et s’informe.

Créateur d'emplois...

Manon Schmitt circule, bloc-notes à la main, dans les 50 m² dédiés à Agricovert. Quelques minutes avant l’ouverture du magasin, cette jeune employée dresse l’inventaire alors que sa collègue dévoile les étals de fruits et légumes de saison et range les cageots vides. Nous faisant faire le tour des rayons, elle s’arrête sur les produits en vrac : céréales, fruits secs, huile d’olive mais aussi savons et produits de lessive. "Nous tendons vers le zéro déchet", dit-elle dans un sourire discret.

La jeune femme fait partie des quelques employés que compte Agricovert. La coopérative, qui assure 7 équivalents temps-pleins et qui a permis d’en créer 20 dans les 34 fermes partenaires, s’est mise au défi de participer à l’insertion sociale et professionnelle de personnes peu qualifiées, en manque d’expérience ou au parcours de vie compliqué. "Tout le monde a des compétences. Il faut parvenir à les valoriser et ainsi permettre à ces citoyens de retrouver identité, confiance en soi, une place dans la société", défend Ho Chul Chantraine.

Agricovert a aussi la volonté de participer à l’insertion sociale et professionnelle de personnes peu qualifiées ou en manque d’expérience.

Alternatives économiques

Le circuit court est la pierre angulaire du trio. Traiter directement avec les producteurs, du Nord comme du Sud, c’est "se mettre à leur service et respecter leur travail", explique Ho Chul Chantraine, fondateur d’Agricovert. Le corollaire étant de rémunérer ce travail à son juste prix. Le b.a.-ba du commerce équitable défendu par TransiStore mais trop souvent foulé du pieds - halte au "greenwashing" - et nourrissant la précarité des agriculteurs. Un travail déjà compliqué par la difficulté d’accéder à la terre ainsi que par une baisse de leurs revenus dû à la concurrence croissante sur le marché des produits certifiés bio.

50% - En cinq ans, les paniers bio ont perdu la moitié de leur valeur.

"Nous tenons à assumer notre responsabilité économique locale", défend avec vigueur François-Olivier Devaux. Comment ? "En démontrant qu’il y a un modèle alternatif dans la distribution qui permet de redonner sa juste place aux producteurs et aux consommateurs. C’est la condition sine qua non pour le développement d’une économie locale, agricole, bio et de l’autonomie alimentaire", complète Ho Chul Chantraine.

Des modes de décisions collectifs

Sociocratie. Au sein du TransiStore, les membres ont choisi d'adopter un mode de gouvernance sociocratique (un ensemble de méthodes qui facilitent la participation de tous et un partage du pouvoir), qui est "particulièrement pertinent pour ce genre de structures, où les modes de gouvernance classiques, hiérarchiques, montrent vite leurs limites", analyse François-Olivier Devaux. "La sociocratie donne une certaine agilité à la structure pour mieux s'adapter aux besoins qui évoluent souvent rapidement et de façon non linéaire".

Le consensus. Chez Agricovert, le mode de décisions, prises par consensus par les 34 producteurs et les 600 coopérants, garantit le statut de la coopérative comme outil de distribution au service de ses nombreux propriétaires et non comme objet d’enrichissement personnel. La finalité sociale de la coopérative implique en effet que les marges dégagées, outre le fait de payer les salaires et les charges, soient réinvesties dans le projet. "Si on veut maintenir les agriculteurs en vie, il faut qu’ils soient propriétaires de cet outil : ils fixent les prix et déterminent la politique de la coopérative", précise Ho Chul Chantraine.

Le consentement. La trentaine de membres du Collectif citoyen applique le système de gouvernance partagée. L'un des outils de l' "intelligence collective" est la prise de décisions par consentement : l'objectif est "de ne rencontrer aucune opposition", explique François-Olivier Devaux. Les parties prenantes s'accordent donc sur une solution qui ne déplaît à aucun. Elles "aident à faire émerger plus rapidement des décisions qui s'avèrent souvent être plus mûres", explique ce membre du Réseau transition par ailleurs employé à la STIB.

Si le TransiStore ne crée pas d’emploi direct, chacune de ses composantes grandit en même temps que les projets que mène la structure. Preuve que la différence n’est pas un frein, Oxfam Magasins du monde, à côté de ses quelques dizaines de salariés, privilégie le bénévolat dans ses points de vente, considérant qu’il est une manière de contribuer au développement de la société.

Ce que défendent les partenaires de TransiStore, c’est une manière d’envisager l’échange, commercial et citoyen. "Intégrer le magasin Oxfam à d’autres initiatives mène à un enrichissement mutuel et amène des clients qui ne viendraient peut-être pas spontanément dans l’un ou l’autre magasin", soulève Miren, fidèle bénévole.

Le gérant d'Agricovert, Ho Chul Chantraine, défend l'idée d'un modèle commercial où les producteurs agricoles sont respectés.

... Et de liens

Cette idée rassemble, aussi, les consommateurs, producteurs et employés et permet non seulement de sensibiliser à au autre type de consommation mais aussi de créer du lien social. "Le contact se crée très facilement. On se fait des amis !", se réjouit Manon Schmitt. Le "comptoire" Agricovert le permet tout autant que le magasin Oxfam ou les ateliers qu’anime le Collectif citoyen. Les liens entre producteurs et consommateurs sont quant à eux favorisés par les nombreuses informations données sur l’origine des produits.

Par des rencontres, aussi. En plus d’être un lieu de vente, TransiStore est un lieu de vie. François-Olivier Devaux, co-fondateur, insiste : "Il appartient aux citoyens. A eux de se l’approprier". Un "espace convivial participatif et d’échange"
- une longue table couverte de magazines - occupe le coeur du magasin. D’autres salles, en sous-sol, peuvent accueillir conférences, projections et ateliers (utilisant eux-mêmes la matière première que sont les produits mis en vente). "C’est toute cette énergie citoyenne qui a du sens", motive Ho Chul Chantraine lorsqu’il aborde les forces de ce nouveau partenariat.

Dynamiser l’économie locale

François-Olivier Devaux voit déjà plus loin : "Ces espaces pourraient être prêtés ou loués à des entrepreneurs locaux afin qu’ils puissent développer leurs projets.

Le fait d’avoir un lieu change fondamentalement les choses. Il incite à la créativité et à l’esprit d’entreprise."

François-Olivier Devaux, mebre du Collectif Citoyen

Le développement de projets qui stimulent l’économie locale est dans l’ADN de TransiStore. "Lili Bulk" est l’un d’eux : des bocaux remplis de céréales vendues par la coopérative ornent les étagères du magasin et servent la politique de consommation zéro déchet que partage le lieu. Par ailleurs, un système de parrainage apporte son soutien aux maraîchers qui voudraient se lancer. Un boulanger fournit le magasin, des partenariats avec des restaurateurs locaux constituent quant à eux la vitrine des produits,...

Si rien n’est jeté par les fenêtres, chez TransiStore, on a déjà ouvert de nombreuses portes... avec la volonté d’enfoncer celles qui sont encore fermées.

Vidéos : Valentine Van Vyve & Salma Desovali
Photos : Johanna De Tessières

Balancer des bombes "vertes"

"Je ne suis pas une experte. Juste une adepte !" Catherine l’assure, c’est la curiosité qui guide cette employée de la bibliothèque Hergé à s’intéresser aux cultures en ville. En adéquation avec la philosophie de l’espace citoyen, ici, on partage les connaissances et les compétences. En ce samedi après midi, elle mène pour la seconde fois un atelier de confection de "bombe à graine" : une manière d’apporter de la couleur aux espaces verts “un peu moches et pas toujours bien entretenus” de la commune d’Etterbeek.

Consciencieusement, elle roule une boule d’argile au creux de la paume de sa main et l'immerge ensuite dans du terreau. Un petit trou viendra accueillir les graines précédemment choisies dans la “bibliothèque à graines” : coquelicots, bourrache, haricots : des fleurs, plantes aromatiques et légumes garniront bientôt les parre-terre bruxellois. "J’espère qu’il va pleuvoir, sinon, ça ne prendra pas…", craint-elle. L’avantage de cette technique, née au Japon avant de devenir une pratique commune à New York dans les années 1970, c’est le temps que l’on gagne à ne pas planter graine après graine. C’est aussi tout le plaisir de "laisser faire la nature", souligne la monitrice du jour.

D’un pas décidé, la joyeuse bande intergénérationnelle foule les pavés bruxellois. "Nous sommes les guérilleros verts, un commando sauvage pacifique!", explique Catherine à un groupe d’ados assis sur un banc, tout en balançant une bombe au milieu d’un parc. "Venez lancer des fleurs avec nous!", harangue-t-elle. L’un s’exécute, trouvant vraisemblablement la scène cocasse. C’est aussi ça, l’objectif : un atelier comme prétexte pour créer du lien.