Rien de neuf en 2019
Le pari réussi d'une famille bruxelloise

©Marie Russillo

©Marie Russillo

Laurent, Florence et leurs trois enfants se sont lancé un fameux défi : ne rien acheter de neuf pendant un an.
Rencontre avec la famille Dennemont, à quelques jours de la fin de l'année.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Pour la Saint-Nicolas, Camille et Thomas ont demandé pour l’une « une surprise », pour l’autre, un après-midi avec un photographe. Loin d’eux, les jouets en plastique et autres consoles choisis sur catalogue. L’an dernier pourtant, c’est à ce traditionnel découpage que les enfants de Florence et Laurent s’étaient adonnés. Mais en un an, de l’eau a coulé sous les ponts, dans cette famille bruxelloise.
« Cet épisode illustre le changement opéré depuis qu’on s’est lancé le défi de ne rien acheter de neuf en 2019 », entame Florence. C’était le 1er janvier dernier. « Il nous enseigne aussi ceci : il est possible d’impacter fortement et très tôt la consommation de nos enfants », commente la maman de la famille.

Une suite logique

Le défi était celui-ci : ne rien acheter de nouveau pour les objets du quotidien, les vêtements, l’électroménager, l’électronique, les livres. Quelques exceptions cependant pour les produits d’hygiène, d’alimentation, ménagers et les médicaments.

« Notre objectif était double : expérimenter des modes de consommation alternatifs et viser une consommation raisonnable. »
Florence Gillet

Car depuis plusieurs années, la famille a entrepris une série de démarches en faveur de la transition écologique. « Nous avons commencé par nous débarrasser de la voiture – plus pour des raisons économiques – ce qui a entraîné une réflexion sur la mobilité, de manière globale. Aujourd’hui, nous nous déplaçons de manière multimodale : à vélo, en trottinette, en transport en commun, ou à pied », détaille la mère de famille. À ceci s’est greffé le souhait d’une alimentation saine et de saison, la moins transformée possible. « On opte pour le vrac et n’allons qu’à de très rares occasions au supermarché. »

C’est Laurent, le moteur de ces changements qu’il instille délicatement et progressivement dans le fonctionnement familial. Florence, si elle n’y était pas ultra-favorable, n’y était pas opposée non plus. À l'époque, elle joue le jeu et constate que finalement, « ce n’était pas si embêtant ».

Ce défi plus radical, par contre, c’est l’idée – un peu impulsive – de Florence. « J’avais envie de m’approprier cette transition écologique », se souvient-elle. De son point de vue, rien de mieux que le challenge pour y parvenir.

« J’avais le sentiment de surconsommer, d’acheter sans réel besoin. Une sorte d’addiction. En ville, c’est facile de succomber à l’achat compulsif.»
Florence

Des achats qu'elle fait tant pour elle-même que pour les enfants. Eux, d’ailleurs, ont embrayé dans l’aventure avec enthousiasme. Camille, assise derrière son petit bureau de bois foncé acheté en seconde main cette année, dit d’ailleurs « aimer sa chambre ». Tout ou presque a connu une vie avant elle, à l’instar du lit de Thomas, qui dort avec elle. « C’était celui du frère de maman puis de son filleul ». « Ça ne me dérange pas », réagit-elle. Mieux, elle aime bien.
Alors que Thomas continue de jouer, imperturbable, avec ses billes, Camille interpelle sa mère : « Je n’ai toujours pas d’ampoule pour ma lampe de bureau »«Pour ce genre de produits consommables, c’est compliqué de ne pas acheter neuf… on attendra 2020 », sourit Florence.

Réutiliser, réparer, recycler

La famille s’est fixé une maxime tout en verbes et en actions : Réutiliser, récupérer, recycler et réparer. Un petit tour de la maison unifamiliale située dans le quartier européen nous permet de le constater : les trottinettes sont maintenues contre le mur par des sangles de ceintures, des caisses en bois font usage de bibliothèque, les livres ont été achetés en seconde main, le matériel scolaire des enfants, c’est de la récup ou produits à base de matériaux recyclés...

«Nous pourrions aussi dire échanger, prêter, partager, réduire et renoncer.»
Florence

Renoncer… Pour Camille, ça a été « difficile, parfois, surtout quand on voit des magasins de jouets », dit la fillette. Si elle a failli « craquer et se retirer du projet », elle a finalement tenu bon. « Il était primordial d’avoir toute la famille dans le bateau », poursuit Florence.

Une offre en augmentation

Pour y parvenir, ils ont par ailleurs dû faire preuve d’organisation. « On doit anticiper, avoir un, voire deux coups d’avance, tout le temps. Car au départ, ça prend du temps. Il faut réfléchir, chercher, inventer, planifier », explique Florence. La recherche des lieux de seconde main se fait au fil des semaines, jusqu’à dessiner les nouvelles habitudes d’achat de la famille.
« Une fois qu’on les a trouvés et que l’on a adhéré à leur projet, tout devient plus simple. Et faire les courses ne prend pas plus de temps que de faire du shopping un samedi après-midi !» Des alternatives existent. Pas de manière pléthorique, toutefois, mais suffisamment pour que le défi ne soit pas pénible. « On a vu le secteur du réemploi grandir en un an », commente Florence. « En cinq ans, l’entrepreneuriat social a explosé », complète Laurent.

Partager et essaimer

Les internautes ont pu suivre les aventures de la famille Dennemont. Tout au long de l’année, Florence a animé un blog dans lequel elle rend compte de ce quotidien familial remodelé, adapté au gré des exigences. Celles de l’école lors de la rentrée scolaire ; des cadeaux d’anniversaire des amis, des gamins,… « On avait envie de rendre compte de notre expérience, étant assez représentative d’une famille bruxelloise bénéficiant d’un certain pouvoir d’achat, pas forcément les plus enclins à la démarche, explique Laurent. On voulait montrer que c’est possible ». La proximité avec le lecteur pourrait, pense le couple, en amener d’autres à leur emboîter le pas.

« Le but était aussi de montrer le panel de ce qui existe, donner des trucs et astuces : la manière dont nous nous sommes organisés et avons relevé le défi, les bonnes adresses... », précise Florence.

Là aussi, l’objectif est rempli. Les idées ont percolé jusque dans la famille de celle-ci, pourtant pas nécessairement conquise par la démarche. « Pour Noël, mon frère a proposé que l'on s'offre des cadeaux de 2e main, se réjouit Florence. Les enfants, eux, feront une chaîne de cadeaux, l’aîné offrant un objet lui appartenant à celui qui le succède, et ainsi de suite. On a fait entrer l’économie circulaire dans la famille. La démarche a essaimé. »

Les achats en seconde main ne s’avèrent pas systématiquement moins chers, mais « le rapport qualité-prix est meilleur », précise Laurent depuis la cuisine, où il donne à manger à Lucien, le petit dernier. D’ailleurs, glisse Florence, ce défi les a amenés à passer plus de temps en famille.

« La première motivation n’était pas économique car nous avons un certain pouvoir d’achat », insiste Florence. Aller chez Les Petits Rien, c’est soutenir, grâce à ce pouvoir d’achat, une économie sociale et du réemploi. L’un dans l’autre, toutefois, des économies financières ont été réalisées… rien que par le simple fait de ne pas acheter. « J’ai une check-list lorsque je pense acheter quelque chose : n’a-t-on pas cela à la maison ? On a une quantité de réserve et de choses accumulées… ensuite, en a-t-on réellement besoin ? On se rend compte que prendre le temps – car c’est inhérent à l’achat en seconde main – et différer l’achat amène parfois à… ne pas acheter. » Laurent estime pour sa part que « 90 % des achats sont compulsifs ».

Le défi touche tout doucement à sa fin pour Florence, Laurent, Thomas, Camille et Lucien. Pour autant, les habitudes prises ne seront pas jetées à la poubelle : « Lorsqu’on tire sur un fil, c’est toute la bobine qui vient. On aimerait être actif à tous les niveaux. En 2020, nous conservons les réflexes acquis, privilégierons le 2e main et les activités à faire en famille ou à offrir aux amis. Mais ce sera moins drastique. J’ai envie de pouvoir soutenir les petites initiatives locales et artisanales », explique Florence.

Là, elle trouvera toujours ce qu’elle a apprécié par-dessus tout cette année : les échanges et les belles rencontres avec des gens passionnés, « un monde qui prend le temps, dans lequel les gens donnent du sens à ce qu’ils font. »

Vidéo : Valentine Van Vyve
Photos : Marie Russillo