Quand des jeunes se transforment
en avocats du climat

©Ennio Cameriere 

©Ennio Cameriere 

Lutter contre le réchauffement climatique et le décrochage scolaire grâce à l’art de la parole : c’est le défi que se sont lancé les “Semeurs de développement durable”
Les élèves de l'Institut Sainte-Marie, de l’Institut Dominique Pire et de l’Athénée Marguerite Yourcenar se sont prêtés au jeu des joutes verbales.

Reportage 

Anne Lebessi

Calmes et réservés, les élèves s’installent, plus nombreux qu’attendu ce vendredi matin dans l’auditorium de Bruxelles Environnement. Sarah Devoogt, chargée du projet Semeurs de développement durable, ne cache pas son enthousiasme – ni une pointe de stress… Car c’est le dernier jour de “formation” à l’art oratoire de 97 élèves de trois écoles bruxelloises de l’enseignement général et professionnel. Après cela, trente d’entre eux s’affronteront lors de la finale interscolaire (ce sera le 26 novembre), et, pour ceux qui se sentiront prêts, le lendemain, devant un vrai public.

Palpables sont tout au long de cette matinée l’énergie et les efforts produits pour accrocher les participants, les motiver, les mettre en confiance, leur donner l’envie de s’exprimer et finalement de débattre sur des thématiques que peu d’entre eux ont déjà abordées  : l’environnement, la biodiversité, l’énergie.
Les sujets ne sont pas forcément connus et maîtrisés par tous, loin de là (lire ci-dessous). Pour les aider à une plus grande maîtrise du fond de ces problématiques, des experts missionnés par Bruxelles Environnement sont venus nourrir d’arguments valides et scientifiques les discours des élèves.

Artus, Fatima et Safae

9 h 30, dans une salle vitrée du premier étage donnant sur le site de Tour et Taxis, c’est à trois “ambassadeurs” que revient d’animer la première partie de cette matinée. Après un jeu de mise confiance, où un participant doit se laisser tomber et rattraper par les autres dès qu’il entend son prénom, Artus, Fatima et Safae font refaire un tour de présentation aux élèves placés debout en cercle. Les rires de malaise se sont dissipés, mais en dehors des trois ambassadeurs, qui en totale confiance, scandent leur prénom, la timidité est toujours de mise et la prise de parole se fait à mi-voix.

“Au fond, on rêve tous d’être un bon orateur”

L’ambassadeur à l’époque avait un an de plus que moi”, se souvient Ali, 21 ans, lui-même devenu Ambassadeur d’expression citoyenne depuis lors. En 2016, timide et en difficulté scolaire, il voit ce jeune et se dit “il a presque mon âge et il fait tout ça, il parle aussi bien !” Depuis, il se dit “être très à l’aise avec la parole”. Un état qui a entraîné avec lui “beaucoup plus d’ambition…” Sa motivation part tout d’abord de l’envie de toucher directement le public qu’il entend impacter. Sans détours. Un public qui lui rappelle ce qu’il a vécu. “J’accompagne les personnes en décrochage et les aide quand ils sont renvoyés de l’école”.

Aux côtés de Sarah Devoogt, chargée de la cellule Semeurs d’idées durables de l’association des Ambassadeurs, ce jeune surmotivé tente de démêler ce qui fait du principe de l’ambassadeur un gage de réussite pour la transmission de valeurs telles que la défense de l’environnement au travers de l’art oratoire. Car les ambassadeurs, parfois encore en secondaires, jouent un rôle important dans le processus.
Les élèves des écoles avec lesquelles les Semeurs ont travaillé ces deux derniers mois ne sont pas “spécialement sensibilisés” au Climat, explique Sarah Devoogt. “Même pas du tout” ajoute Ali. “On aurait pu prendre des jeunes très actifs dans la société, qui viennent tout le temps aux manifestations contre le dérèglement climatique mais si on ne touche que ces jeunes-là, les personnes désintéressées ne sont toujours pas touchées”, explique Sarah Devoogt. Elle et les Ambassadeurs d’idées citoyennes préfèrent donc cibler des écoles de milieux socio-économiques éloignés, créer une cohésion entre eux, puis enfin les faire jouter ensemble.

En noir et blanc

“Ma première fois [en tant que participant], j’étais à l’Institut Diderot qui a un indice socio-économique de 0/20, raconte Ali, et on nous a mis avec Uccle 1 (19/20) et avec Robert Catteau, une autre école de très bon niveau. C’était le noir et le blanc ! Rien à voir. On ne se calculait pas, on ne se parlait pas. Mais après quelques jeux de cohésion à base de prénoms, de gestes, de petits jeux d’énergie,… après un week-end, on se retrouvait pour aller manger ensemble le midi. C’est l’ambiance que les ambassadeurs vont mettre, surtout, et pas forcément le jeu en lui-même, qui va être important.”

Les jeunes s’identifient aux ambassadeurs et apprécient l’apprentissage à leurs côtés. “C’est la beauté de ce que vous faites”, glisse Sarah à Ali. Lui, considère par ailleurs que sa génération prend vite conscience des choses et qu’il faut l’aider à s’emparer des sujets pour agir.

“Quelqu’un qui n’aime pas parler sur scène a 80 % de chances d’apprécier le faire après nos animations. Souvent on a peur parce qu’on croit qu’on n’en est pas capable. Or, tout le monde est capable de monter sur scène et de prendre la parole. À partir du moment où on leur donne les outils pour pouvoir se débrouiller et être à l’aise, ça devient une addiction.” Les élèves deviennent “experts” sur la thématique du climat grâce à l’art oratoire. Sarah Devoogt nourrit l’espoir qu’ils souhaitent devenir à leur tour Ambassadeurs et acteurs.

Ce n’est pas grave, les ambassadeurs, qui ont autour de la vingtaine – 17 ans pour le plus jeune – et font partie de l’association Ambassadeurs d’expression citoyenne, ont plus d’un tour dans leur sac. Sans perdre de temps, un jeu de rapidité, plutôt drôle, est lancé. “On va être sévères” prévient Safae. Muni d’un sabre de Jedi imaginaire, il faut être rapide, regarder son partenaire dans les yeux, et ne pas se faire éliminer au son des onomatopées “chi”, “bah” et “fou”.
Une des premières a se tromper dans les gestes est la professeure de géographie de l’une des classes. “Ah, éliminée, Madame !”, lui lance Safae. Juste après l’exercice, qui a duré cinq bonnes minutes, l’ambiance est détendue et les élèves de l’Institut Sainte-Marie, de l’Institut Dominique Pire et de l’Athénée Marguerite Yourcenar, déjà plus soudés.

Trois petites truites cuites

“Pensez à ce que vous dites”, conseille Fatima, 21 ans, lunettes, foulard sur les cheveux, et Converse aux pieds. L’heure est aux virelangues, ces exercices de prononciation vieux comme le monde. “Si ceci se sait, ses soins sont sans souci”, essaie tant bien que mal de prononcer Denis, le consultant environnemental d’Ecorem, qui donnera un cours accéléré sur le changement climatique un peu plus tard dans la matinée. Il participe aux jeux, lui aussi. Alexandre, bon acteur pour sa part, joue déjà avec les mots sans difficulté et “ce cher Serge” (celui de “Je vais chez ce Serge si sage et chaste” et de “Suis-je chez ce cher Serge ?”) semble être son ami de longue date, tant la diction de cet élève de Sainte-Marie est au point.

Vers 10 h 10, ça y est, les exercices de joute oratoire commencent enfin. Fatima propose le sujet “Faut-il arrêter de manger de la viande ?” “Ah, non !” entend-on déjà dans le futur clan des “contre”. “Vous n’êtes pas obligés de défendre votre propre opinion, suggère Safae qui veut les préparer le plus possible pour la joute pour le climat du 27 où une opinion leur sera attribuée, vous pouvez aussi défendre l’opinion inverse !”

Du pathos ? Bravo !

Dans le groupe “pro” végétarisme, une fille en chandail à capuche vert et mauve, jean et baskets se lance. Face au groupe “contre”, elle fustige l’abattage des animaux. “Vous vous rendez compte [de] comment c’est violent ?” Safae la congratule pour l’usage du pathos.

“Les sentiments, c’est une bonne technique ! Mais tu es trop frontale, tu risques de te mettre les gens à dos.”
Safae, ambassadrice

Au tour de Rayan de l’Athénée Yourcenar de répondre : “Déjà, tous les abattoirs ne sont pas violents. Et puis, on est en démocratie, on peut changer les lois, si on vote. Voilà !”

Artus, lui-même élève en secondaire dans un nouveau lycée à pédagogie active, propose de répéter l’argument principal en fin de plaidoirie, plutôt que de finir par un “Voilà”, ou un “C’est tout”. La forme compte énormément dans ces exercices. Fatima explique la théorie des 3 “v”, exposant ce qui capte l’attention d’un auditoire. Le visuel (55 % de l’attention, selon elle), le vocal (38 %) et enfin les derniers 7 %, le fond, c’est-à-dire ce que l’on dit. “On essaie de développer les 2 premiers “v” pour laisser un champ d’impact important pour le 3e “v”.

Ces joutes sont une opportunité pour ces jeunes, estiment les ambassadeurs. “Le système scolaire ne permet pas cet épanouissement de la parole, explique Fatima pendant que les jeunes mangent leur “dix-heure”. C’est hypercarré, hyperrégulier, tu parles que quand on te donne la parole. Et à la maison, papa parle, maman parle. […] On leur donne ce moment d’expression, cette occasion de dire ce qu’ils ont sur le cœur.”

Vidéo et photos: Ennio Cameriere

A venir

Joute verbale pour le climat, finale ouverte au public
Quand ? Mercredi 27 novembre à 18 h.
Où ? Bel-Auditorium, Bruxelles Environnement, Avenue du Port 86A, 1000 Bruxelles
Entrée gratuite et sur réservation.
Inscriptions sur https://bit.ly/2WDAqUo
Plus d’infos sur www.ambassadeurs.org ou sur la page facebook des Semeurs d’idées durables.