"Bras Dessus Bras dessous":
le voisinage jette un pont
entre les âges

"Bras dessus Bras dessous":
le voisinage jette un pont
entre les âges

Sortir les personnes âgées de l'isolement tout en réactivant les liens de proximité, voilà l'objectif double du projet lancé à Forest par Céline Rémy et copiloté par Aurélie Grimard.
Depuis un peu plus d'un an, l'association "Bras dessus Bras dessous" tisse son réseau solidaire.

Reportage
Marie Baudet

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La vie de quartier est une donnée importante dans l'existence de Céline Rémy. Installée depuis une petite quinzaine d'années à Forest, en Région bruxelloise, cette économiste de formation et maman de deux fils a travaillé pour MSF, l'hôpital Brugman ou l'agence Alter.
Or depuis quelque temps, dans ce même quartier, des affichettes ont fleuri aux fenêtres, ou, chez les commerçants, des prospectus au format carte postale, avec leurs silhouettes aux crayons de couleur et leur appel à avancer ensemble, "Bras dessus Bras dessous".

Derrière ce projet joliment nommé, une certaine Céline Rémy. Et, en amont, une genèse composite : son entrée dans la quarantaine, une réflexion sur ses envies personnelles et professionnelles. "Jusqu'au jour où, à assez peu d'intervalle, Stéphane [son compagnon, NdlR] et moi avons perdu nos deux petites grands-mères, de 95 et 96 ans. Pour toutes les deux, le schéma était plus ou moins semblable : une mauvaise chute, une hospitalisation, un passage en maison de repos – où l'une des deux a dû rester, d'ailleurs."

En plus de l'accompagnement professsionnel qui existe pour les personnes âgées, l'association retisse du lien social avec le voisinage.

Vieillir chez soi

Touchée de très près par la problématique de la fin de vie et ses questions corollaires - dont la dépendance, les conditions du maintien à domicile... -, la jeune femme entreprend d'inventorier les structures et possibilités existantes. "J'ai rencontré des responsables de maisons de repos privées ou publiques, mais aussi des représentants du CPAS, des CSD (Centres de soins à domicile), de clubs seniors, de centres de jour, d'associations proposant des activités intergénérationnelles."

"L'accompagnement professionnel des personnes âgées isolées existe, en qualité et en quantité. Cependant, ces accompagnants professionnels ont toujours l'œil sur leur montre. Ils n'ont jamais le temps de prendre le temps..."

Céline Rémy, Fondatrice de l'association "Bras dessus Bras dessous"

Son constat lui ouvre des pistes : "L'accompagnement professionnel des personnes âgées isolées existe, en qualité et en quantité. Cependant, ces accompagnants professionnels ont toujours l'œil sur leur montre. Ils n'ont jamais le temps de prendre le temps – s'arrêter pour un thé, papoter, prendre des nouvelles... L'aide formelle est là, efficace et nécessaire. Mais ça laisse peu de place à l'informel. Par ailleurs, l'aide plus ludique (massage, théâtre, activités...) existe quand il y a déjà une concentration de population : dans les maisons de repos, les clubs seniors. Pas pour les isolés."

Dans le périmètre où habitent Céline et sa famille, diverses initiatives se sont développées au fil des ans, avec notamment un comité de quartier, des rencontres, des fêtes –"une chouette énergie". "Or, peu à peu, je me suis rendu compte que les personnes qui avaient 65 ou 70 ans il y a dix ans ne venaient plus au souper de quartier, et même qu'on ne les voyait plus beaucoup – ou plus du tout – dans la rue, à l'épicerie du coin, à l'arrêt du tram... Parce que éventuellement souffrantes, moins valides, craignant de tomber, voire, se sentant insécurisées."

Chaque lundi, Estelle donne un peu de son temps pour jouer une partie d'échecs avec sa voisine Janou.

Proximité, réciprocité, solidarité

L'idée a germé. Elle prend vie et se développe. Bien que liée au bénévolat, elle consiste surtout, insiste Céline, à "redécouvrir et retisser, dans le tissu local, un lien plus naturel".
"Bras dessus Bras dessous" existe. Il faut maintenant le faire connaître. "Un gros boulot", qui passe par la rencontre, à nouveau, des interlocuteurs du début, informés alors d'où en est arrivé le projet grâce entre autres à leurs conseils. La fondatrice de "BdBd" est formelle et rassurante: "On ne se transforme pas en professionnels de l'accompagnement aux personnes âgées, on ne s'y substitue pas, on est juste 'des voisins qui'. On est complémentaires."

Informer les associations et acteurs du secteur de l'existence de ce réseau tout neuf, c'est bien. Le faire fonctionner, c'est mieux – et essentiel. Les affiches sont à la fois suggestives et explicites :
– Vous avez plus de 60 ans et vous vous sentez un peu seul ?
– Vous avez plus de 18 ans et vous avez envie de créer des liens dans le quartier ?

"Semer la graine. Dire qu'on existe. Ça met parfois un peu de temps à faire son chemin, ensuite. Mais la porte est ouverte ; aux personnes âgées de décider si elles ont envie d'entrer."

Céline Rémy

La mise en relation, vertu et objet de l'ASBL, suppose une demande et une offre. "La base, c'est que les personnes soient toujours actrices du choix, de la demande. Si une dame nous appelle en disant que sa mère vit seule et aurait besoin de quelqu'un, on n'embraiera pas aussitôt. On conseillera à cette dame de parler de nous à sa mère, qui nous appellera, elle, si elle le souhaite. Qu'au moins l'informel (à côté de ce qui est mis en place formellement par ailleurs), ce soit la personne elle-même qui le décide."

Ainsi "Bras dessus Bras dessous" communique aussi via les médecins, les maisons médicales, les kinés, les pharmaciens, afin que les aînés les plus isolés entendent parler de l'ASBL par une personne qu'ils connaissent et en qui ils ont confiance.
Pivot du projet, le concept du voisinage est la "vraie valeur de "Bras dessus Bras dessous", "ce qui fait sens" dans le schéma – la demande d'une personne âgée, la réponse d'un voisin plus jeune. "Mais souvent, très vite, la relation évolue vers la réciprocité."

Comment devient-on voisineur ?

Le (la) candidat(e) rencontre Aurélie ou Céline. Établi en fonction de ses goûts, ses envies, sa disponibilité, son profil permettra une mise en contact la plus adéquate possible. Il (elle) fournit un certificat de bonne vie et mœurs, et signe une convention de bénévolat avec l'ASBL. "On se revoit éventuellement chez le (la) voisiné(e), et c'est lancé."
Les "jeunes voisins" inscrits actuellement ont entre 19 et 67 ans. Avec une grande majorité de trentenaires et quadragénaires, souligne la directrice de l'association : "C'est du vrai intergénérationnel."
"Une ou deux fois l'an, on tâche de rassembler tout ce beau monde." Afin, autour d'un couscous ou d'un goûter, de faire connaissance au-delà des paires déjà constituées, de dialoguer, d'échanger sur les expériences diverses, de faire jaillir de nouvelles idées.

Voisineurs et voisinés

Il y a cette dame. Elle habite près de Forest National, en appartement, en chaise roulante, raconte Céline. "Les aides soignantes qui s'occupent d'elle ne sont pas en mesure de lui faire descendre,en chaise, les deux ou trois marches qui la séparent de la rue." Or elle a envie de sortir, de simplement pouvoir retourner au supermarché, voir les produits, décider, choisir, se laisser tenter.

"Parmi les voisineurs, on a trouvé quelqu'un. Il est tunisien, costaud. Il vit seul. Dans le même immeuble, deux étages au-dessus. Et voilà le lien !"

Céline Rémy

Pendant notre entretien, le voisineur a justement téléphoné à Céline. Sa voisine et lui ont rendez-vous l'après-midi même : elle a besoin de nouvelles lunettes, il va l'accompagner chez l'opticien et c'est elle qui pourra, enfin, choisir une monture à son goût.
Le (la) voisiné(e) – la personne âgée – est, on l'a compris, l'auteur(e) de sa propre demande. "Bras dessus Bras dessous" va, sur cette base, chercher parmi les voisineurs qui pourra y répondre, et organiser une première rencontre.
"Bien sûr, les deux parties peuvent réfléchir si elles le souhaitent, le temps de savoir si le courant passe, si la paire est bien accordée. Et puis c'est parti." Les échanges, leur fréquence, leur contenu sont l'affaire des protagonistes.

"BdBd" assure un suivi, via un nouvel outil, "une sorte d'appli,comme un Facebook sécurisé" qui a remplacé les coups de fil et les SMS du début. "On vérifie que ça se passe, et que ça se passe bien. Si nécessaire on fait une mise à jour, afin que tout le monde s'y retrouve."

Les rencontres sont l'occasion de papoter, de partager les souvenirs...

Séances de cinéma et échanges épistolaires

Les idées ne manquent pas à l'association, qui participera en septembre à un cycle de six séances de cinéma intergénérationnel (une initiative du Service Jeunesse, avec l'ASBL Miro, la Maison des jeunes et Libération Films). Elle travaille en outre à la mise au point d'un échange épistolaire d'un an entre des adolescents (de l'Institut Sainte-Ursule) et des personnes âgées.

"Bras dessus Bras dessous" a pris de l'ampleur pour s'étendre désormais à plusieurs quartiers de Forest.
Né d'une véritable initiative citoyenne, ce projet pilote pourrait bien faire des petits, mais il demeure avant tout une histoire d'envies et de rencontres. La célébration du lien, la transformation du voisinage qui, d'état de fait, devient action consciente et généreuse entre les générations.

Vidéos:
Valentine Van Vyve et Johanna Pierre

Photos:
Johanna De Tessières

Vingt-cinq personnes accompagnées par une trentaine de voisins

"Bras dessus Bras dessous" existe comme ASBL depuis novembre 2015. L'association a reçu son premier coup de fil en juin 2016. "Aujourd'hui, on accompagne 25 personnes, avec environ 35 voisins autour."
Pour lancer le projet, Céline Rémy a bénéficié de l'appui de Credal Entreprendre, structure d'accompagnement, et de sa section Affa (Affaires de femmes, femmes d'affaires). À travers un module de formation notamment. "Une réflexion accompagnée, un vrai soutien", souligne-t-elle.
Céline est engagée à mi-temps par l'ASBL depuis février 2017, et a pu recruter Aurélie Grimard comme chargée de projet.
À ce jour, "Bras dessus Bras dessous" reçoit deux petits subsides ("à renégocier à chaque fois", précise Céline Rémy) de la Cocof (Commission communautaire française) et la Cocom (Commission communautaire commune), instances de la Région de Bruxelles-capitale, ainsi qu'un soutien de l'association française Petits Frères des pauvres pour 2017. "Par ailleurs j'ai remporté, sur appel à projet, un soutien pour trois ans de la Fondation Cera; c'est précieux."
Au niveau communal, "BdBd" est soutenu par l'échevine de la Cohésion sociale de Forest. "Et la commune nous prête très bientôt un petit bureau..."
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Infos : https://www.brasdessusbrasdessous.be/
Contact : 0486.76.62.89 - info@brasdessusbrasdessous.be