BrailleTech : quand la technologie apporte la lumière aux malvoyants

©Semra Desovali

©Semra Desovali

Il existe des outils pour aider les malvoyants et aveugles à mieux “voir.” Le salon BrailleTech est l’occasion de leur présenter les nouveautés. Et de leur offrir un accompagnement adapté.

Reportage 

Solange Berger

“Le smartphone m’a ouvert les yeux”, explique en souriant Mohammed Hajjaoui. “Quand j’ai dit à ma fille que je comptais acheter un smartphone, elle m’a dit : ‘pour quoi faire ?’. C’était un défi pour moi. Maintenant je peux pratiquement tout faire comme une personne voyante”, raconte cet homme aveugle qui s’occupe des événements culturels à la Ligue Braille et organise des formations pour aider les aveugles et malvoyants à utiliser un téléphone “intelligent.

Les smartphones et tablettes ont changé la donne il y a 5-6 ans”, estime Xavier Guerra, conseiller en aide technique à la Ligue Braille, qui nous guide lors d'une visite du salon BrailleTech qu’elle organise chaque année. Ce salon, qui s’est tenu mi-octobre, est l’occasion pour les personnes aveugles et malvoyantes de découvrir le matériel qui est à leur disposition ainsi que les nouveautés.

“Il faut sensibiliser les employeurs et les employés”

Certaines entreprises sont parfois très impliquées par les questions de handicap. Elles peuvent faire preuve d’une générosité immense, mais pas toujours très efficace…. Et puis dans d’autres, c’est la catastrophe. Elles n’acceptent pas les personnes avec un handicap. Même dans la fonction publique, les quotas ne sont pas respectés. Et il n’y a pas de sanction”, regrette Christine Beausaert, de la Ligue Braille.

Notre mission est de sensibiliser les employeurs à la problématique et de les aider à parvenir à une intégration optimale des personnes malvoyantes et aveugles dans l’entreprise. Les freins viennent surtout des préjugés car les employeurs pensent que la personne ne sera pas capable de travailler correctement.

Notre boulot c’est de dire : 'Oui c’est possible moyennant certaines adaptations.' Il faut parfois changer de fonction si le handicap survient quand la personne travaille déjà dans l’entreprise. Nous travaillons avec des job coaches.”
Xavier Guerra - Conseiller en aide technique à La Ligue Braille

Il s’agit aussi de sensibiliser les (futurs) collègues. “Certains sont très accueillants, mais ne savent pas toujours très bien comment s’y prendre”, note Xavier Guerra. “Nous soutenons à la fois l’employeur, l’employé et la personne malvoyante dans son intégration dans l’entreprise. Cela peut être notamment en lui faisant visiter les locaux, en lui montrant où est la pointeuse, où trouver les toilettes…

Cacher son handicap

Certaines personnes ne disent pas non plus qu’elles sont malvoyantes ou le sont devenues. “Peut-être parce qu’elles ne l’assument pas ou ont peur de perdre leur travail”, estime Xavier Guerra.
J’ai travaillé comme ingénieur système dans une grande entreprise. Ils ont hésité à m’engager”, raconte Gaston Serré, 76 ans, malvoyant depuis la naissance et volontaire à la Ligue Braille. “Je me suis toujours débrouillé, avec des lunettes ou des verres de contact. J’avais aussi demandé que mon ordinateur soit bien mis par rapport à la fenêtre pour la luminosité.”

Et puis se pose également la question de la reconnaissance. On peut ainsi être réellement malvoyant sans pour autant être reconnu comme ayant un handicap. “Toutes les pathologies ne sont pas reprises dans les listes officielles. Parfois les gens ont une acuité visuelle de 100 %, mais n’ont pas de champ visuel. Cela pose problème quand on est chauffeur de camion par exemple. Il existe une pathologie qui fait qu’on voit comme dans un petit tube. La personne est alors tout à fait capable de lire un texte mais pas de descendre les escaliers”, raconte Christine Beausaert, qui évoque encore le cas de personnes qui voient très bien le jour, mais pas la nuit. 

“Cette pathologie n’est pas reconnue comme un handicap. Idem pour ceux qui ne voient que d’un œil. Or la fatigue visuelle est bien réelle ce qui complique le travail dans certains métiers”, poursuit la responsable de la Ligue Braille, qui estime qu’il faudrait “reconnaître le handicap visuel à partir du moment où la pathologie impose des restrictions qui empêchent de poser certains actes de la vie.

Un enjeu important pour
les fabricants

“Avant, les personnes malvoyantes ne pouvaient utiliser qu’un matériel qui leur était adapté. Aujourd’hui, elles peuvent aussi aller dans les mêmes magasins que nous tous parce que ces appareils ont prévu des assistants vocaux, des loupes,… Les marques en font même un cheval de bataille car c’est porteur au niveau sociétal. Elles conçoivent leurs produits pour qu’ils soient accessibles à tout le monde. Les produits que nous proposons au salon ont, eux, été conçus spécialement pour les personnes malvoyantes.”

Apple, et c’est le seul, a même un département accessibilité, pour les déficients visuels et auditifs. C’est dire l’importance qu’ils y accordent”, précise Mohammed Hajjaoui, qui n’a pas souhaité être filmé ou pris en photo – “Je ne me vois pas, je ne souhaite pas que les autres me voient en photo ou en vidéo” – et nous propose une démonstration.

Toutes les applications existent sur l’Iphone. Il faut juste les activer. Il y a quelques gestes qui changent. Je peux savoir, par exemple, l’heure, lire le journal, faire des virements sans me déplacer à la banque,… Ce point est important car les déplacements sont un des gros problèmes pour les malvoyants. Cet outil est formidable.

15 500 - La Ligue Braille compte quelque 15 500 membres. Plus de 1500 personnes ont visité le salon qui a duré trois jours.

Au salon, il n’y a pas d’innovation chaque année”, note Xavier Guerra. “Mais malgré tout, des évolutions.” Il évoque notamment une double caméra portable qui fonctionne comme un projecteur mais permet de faire une présentation sur un grand écran avec des caractères normaux et pour la personne malvoyante de lire sa présentation en agrandissement. “Ce matériel est de plus en plus léger. Avant il pesait 7 kilos. Aujourd’hui on est à 4 kilos. C’est une différence importante pour un appareil portable.”

Scanner vocal, écran loupe...

Parmi les autres technologies proposées : un scanner vocal. Le texte est scanné et puis lu. “L’utilisateur peut régler le volume et la vélocité. Certains préfèrent une voix au rythme normal, d’autres veulent un maximum d’infos en un minium de temps. Un peu comme s’ils lisaient en diagonale”, explique Xavier Guerra.
“Nous conseillons ce type d’appareil dans le cadre du domicile pour une personne qui souhaite lire le journal par exemple. Pas pour un livre car c’est trop laborieux de scanner toutes les pages. Nous suggérons alors plutôt un des 34 000 livres audios que nous avons dans notre bibliothèque.

Des écrans loupes permettent aussi d’agrandir les textes. Des modèles disposent également d’un système audio. “Rester trop longtemps devant un écran peut poser des problèmes de rétine. Ces appareils permettent d’inverser les contrastes pour éviter la fatigue oculaire : blanc sur fond noir, noir sur blanc, bleu sur jaune,… Moi qui n’ai pas de problème de vue, je travaille avec du jaune sur du noir car c’est le plus reposant. Par contre pour les personnes qui ont un problème de cataracte, il faut plus de luminosité. Ces appareils s’adaptent.

Pour les personnes aveugles, la barrette braille, qui peut fonctionner avec un smartphone, a la cote. “C’est comme un clavier”, explique Eric, un aveugle. “C’est plus discret pour envoyer un mail que de le dicter. Et puis on a la bonne orthographe. Quand je suis dans le train, les autres passagers ne voient pas ce que je fais.

Un coût important

Le salon est aussi l’occasion pour la Ligue Braille d’avoir des contacts privilégiés avec les fournisseurs. “Les membres peuvent acheter sur place mais nous leur conseillons plutôt de prendre des infos pour se décider après. Nous regardons avec eux ce dont ils ont besoin. Ce n’est pas nécessairement ce qu’ils veulent. Il faut être à l’écoute de la personne”, souligne Christine Beausaert, directrice de département à La Ligue Braille.
Tout ce matériel a un coût. Important même. Pour un scanner vocal, il faut compter 2500 euros ; pour une vidéo loupe de base 1700 ; pour une loupe portable, on est vite à 800 euros. Il existe cependant des subsides, propres à chaque Région. “Malheureusement, nous constatons une discrimination par rapport à l’âge”, remarque Christine Beausaert. “Si le handicap survient après 65 ans, la personne n’est plus inscriptible à un fonds régional et ne peut donc bénéficier de subsides. Cette règle vaut pour tous les handicaps, mais dans notre cas, les problèmes arrivent souvent avec l’âge et après 65 ans. Près de 80 % de nos 15 500 membres ont plus de 65 ans.

Avec l’allongement de la vie, le nombre de personnes malvoyantes et aveugles ne devrait que croître, souligne Xavier Guerra. “Et avec les smartphones et les tablettes, cela se fera de façon exponentielle…”

Vidéo et photos: Semra Desovali

Comprendre les utilisateurs

Au salon BrailleTech participent essentiellement de grandes entreprises. Mais d’autres plus petites ont aussi leur place sur ce marché. C’est le cas d’Ommezien, une société de distribution de produits pour aveugles et malvoyants (loupes, barrettes braille,…) créée il y a trois ans par Koen Govaert et son épouse Kathleen Boogmans, malvoyante.

Ingénieur de formation, Koen Goovaert a eu un grave accident de vélo il y a quelques années. L’occasion pour lui de se remettre en question professionnellement. “J’avais envie de faire quelque chose avec mon épouse. Elle connaît les outils destinés aux malvoyants depuis longtemps. Elle a connu tous les stades de la maladie : de malvoyant à presque aveugle.” Cette connaissance de ce que vivent les clients permet à Ommezien de se distinguer de ses concurrents.
Notre différence doit se faire au niveau de service car les produits proposés par tous les distributeurs sont pratiquement les mêmes. Kathleen comprend bien ce que veulent les gens. Ensemble nous prenons le temps de les écouter. À la différence des autres également, notre magasin est situé en plein centre-ville, à Malines, et non dans un zoning. Les gens passent facilement chez nous pour tester les produits.

Dans leur magasin, Kathleen Boogmans, écrivain, donne également des cours d’écriture. “J’aime beaucoup lire et écrire. Grâce aux outils techniques, je peux donner ce plaisir à d’autres”, raconte celle qui, pour l’instant, écrit des short stories et des poèmes. “Un livre, ce sera peut-être pour plus tard.