Des protéines végétales cultivées
près de chez vous

©Michel Tonneau

©Michel Tonneau

Devenir végétarien ou simplement manger moins de viande ne nécessite pas forcément de se tourner vers des alternatives “exotiques” à base de tofu ou de soja.
Diverses options savoureuses issues de l’agriculture locale existent et connaissent un retour en grâce.

Reportage 

Anne Lebessi

Mais c’est du seigle ça !” Une voix s’élève dans l’assistance. C’est un homme, les yeux bleus, la septantaine. Il est certain de ce qu’il avance. Et Françoise Caudron ne peut lui donner tout à fait tort, puisque le bocal qu’une quarantaine d’yeux scrutent sous les néons de son atelier cuisine contient des graines de Kamut. Cette forme de blé ancien remontant à la préhistoire appartient à la même famille de céréales que le seigle, celui que croit reconnaître le monsieur parmi une douzaine de bocaux de graines.

Un petit garçon corrige sa mère au passage : “Je te l’avais bien dit que c’était pas du couscous.” Ce ne sont ni les premiers, ni les derniers à s’emmêler les pinceaux. L’ambiance est en effet à l’étonnement lors de cet atelier “protéines alternatives” proposé par les ASBL Équipes populaires, Aquilone, Autre Terre et Casa Nicaragua dans le cadre du festival Alimenterre.

“On ne risque pas d’être sous-protéiné en Belgique !”

Le soir même, après la dégustation des plats co-cuisinés en atelier, les participants assistent à la projection du documentaire du Français Benoît Bringer “Faut-il arrêter de manger les animaux ?”. Françoise Caudron ne prône pas l’arrêt de consommation de viande (le film non plus d’ailleurs), mais questionne plus globalement notre manière de consommer et les moyens de la rendre plus responsable.

Nous ne faisons pas l’apologie du végétarisme. Loin de là ! L’idée est simplement de se dire que l’on peut réduire notre apport en viande, avec de la viande de meilleure qualité. En compensant grâce à des apports en protéines végétales intéressantes, avec des céréales de chez nous, aussi.”
Françoise Caudron, co-organisatrice de l'atelier cuisine.

Anne-Laure Van der Wielen, responsable Mobilisation chez S.O.S. Faim – qui organise le festival Alimenterre chaque année – était également présente à l’Aquilone ce soir-là. Pour elle, la crainte de “beaucoup de personnes est de savoir si l’on aura assez de protéines dans un régime avec moins de viande.”

Anne-Laure Van der Wielen, responsable Mobilisation chez S.O.S. Faim – qui organise le festival Alimenterre chaque année – était également présente à l’Aquilone ce soir-là. Pour elle, la crainte de “beaucoup de personnes est de savoir si l’on aura assez de protéines dans un régime avec moins de viande.”

Une crainte infondée

La diminution d’apport protéiné d’origine animale reste, en effet, un cap psychologique parfois difficile à franchir. N’y a-t-il pas un danger de manquer de quelque chose d’essentiel en mangeant moins de viande ? Mme Van der Wielen, rassure : “En Belgique, vu le contexte local, on estime que l’on devrait manger maximum 30 grammes de viande par jour. On est à 114 grammes aujourd’hui. Il faut réduire notre consommation de viande. Proposer des alternatives est donc toujours positif.”  Et Françoise Caudron de taper sur le clou : “Il n’y a pas vraiment de risque d’être sous-protéiné dans nos pays !”Sous-entendu : en Occident.

De manière globale, la consommation de viande est en croissance. En Asie, en Afrique, la population augmente et, dans certains cas, les revenus aussi. Ce qui peut expliquer cette tendance à la hausse. En Europe, la consommation annuelle de viande animale a presque triplé depuis les années 1920 (passant de 41 kg par personne à 110 kg par personne, en 2000). Elle a quintuplé dans le monde depuis les années 1960, passant de 70 millions de tonnes par an à 330 millions de tonnes, selon les derniers chiffres publiés par la FAO.

“Réinverser la tendance”

Une consommation qui, même en Belgique, peut avoir un impact international, les animaux étant “nourris avec des céréales produites à travers le monde”, observe Anne-Laure Van der Wielen.

À l’inverse, il est intéressant de noter que la consommation de légumes secs a diminué entre 1920 et 2000, en Europe. Elle est passée de 7,3 kg par personne et par an en 1920 à 1,7 kg dans les années 1980. Un chiffre qui reste stable. “Cela ne fait que quelques dizaines années en Europe que les protéines animales sont privilégiées. Réinverser la tendance est donc tout à fait possible !”

"Ça pousse chez nous, ça ?"

De l’amarante (le fameux “couscous”, NdlR) ? Ça pousse chez nous, ça ?” En effet, c’est même vivace et très résistant : “Le Roundup n’y pourra rien”. “Et le quinoa, on n’en a pas, ici ?” “Si, vous avez raison : ça commence à pousser en Belgique”, rejoignant le lin, les lentilles ou le tournesol, germant également sur les terres de nos contrées.

Dans d’autres pots alignés sur la table, du millet, du sarrasin, des graines de chia, mais également du petit épeautre, du quinoa… “Tout ce que vous voyez ici contient des protéines”, énonce Françoise Caudron, secrétaire régionale d’Équipes populaires, dissipant les derniers doutes. Frédérique, une participante plutôt réservée, confie avoir imaginé qu’on parlerait surtout de tofu cet après-midi.

“Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait des protéines dans les céréales !”
Frédérique, une participante à l'atelier cuisine.

Durant cette phase préparatoire avant de se mettre aux fourneaux, Françoise n’oublie pas d’accompagner ses explications, pour chaque graine, de la photo de la plante dont elle est issue. Car s’intéresser à ce que l’on mange est une étape importante de ce processus. À juste titre visiblement : peu se doutaient de la forme d’un plant de lentilles, ou de l’aspect de plumes colorées qu’arborent les fleurs de quinoa. “C’est joli !”, murmure un jeune enfant.Au menu, cet après-midi : des céréales, des légumineuses et des oléagineux. Avec les algues, ces trois catégories de végétaux constituent des sources de protéines alternatives à la viande animale.

Faut-il (pour un apport protéiné suffisant) les combiner entre eux ?” demande une participante. Une maman de deux enfants en train d’allaiter fait non de la tête. Cela dépend, nuance Françoise, qui précise qu’elle n’est pas experte, que c’est en préparant cet atelier qu’elle a appris énormément de choses. “Certains de ces végétaux sont très bien protéinés. Le quinoa, par exemple, ou d’autres aliments végétaux comme le kamut et le soja possèdent les acides aminés essentiels.”Dans d’autres cas, il est bien de varier et d’associer.

“Pas des insectes”

Le moment est venu de retrousser ses manches. Quatre recettes sont proposées par Françoise, qui a fait tremper certaines céréales la veille, pour qu’elles soient plus digestes. Les enfants se lancent dans l’élaboration d’une tartinade de pois chiches, juste à côté d’un groupe d’adultes qui mélangent les câpres à la tartinade de lentilles vertes.

Un peu à l’écart, deux dames et un jeune homme s’attaquent à la recette de salade de petit épeautre et carottes à la sauce soja. C’est Jonathan qui concasse les noix de cajou au pilon, pendant que ses acolytes tronçonnent les carottes “vite fait, bien fait”. Après avoir goûté la préparation, Jonathan n’est “pas si étonné que ça”. “Ce n’est pas comme si on goûtait des insectes”, ajoute-t-il dans une allusion à cet autre alternative protéinée envisagée par certains pour pallier le problème environnemental que posent les élevages intensifs.

Chloé observe un groupe de six personnes accaparées par la préparation des galettes d’amarante aux légumes. Bientôt, elles cuiront sur la plancha et empliront la pièce d’un parfum d’épices et d’oignons. Elle est venue sur les conseils d’une amie. “À part des pâtes, je ne sais jamais trop quoi me cuisiner…”, avoue cette étudiante dans un sourire.Vers 18 heures, soit deux heures après le début de l’atelier, la table est mise dans la salle du restaurant de l’Aquilone.Les participants comparent leurs plats, goûtent, essaient de deviner les ingrédients ou condiments mystères de la recette d’un autre groupe. Tous les plats ont ravi les papilles, avec une préférence quasi générale pour la salade de petit épeautre, “excellente pour les intestins”, précise Françoise Caudron.

Goûter pour changer

Autour des assiettes, la bonne humeur est au rendez-vous, d’autant plus que Lucilla apporte une surprise de la cuisine : un gâteau au chocolat à la courgette et à la farine de sarrasin préparé par Françoise, en guise de dessert. Valériane se régale et se tourne vers son mari, Dominique : “On avait fait le même l’année passée, tu te souviens ?”Valériane est coach zéro déchet et ne mange pas de viande animale, au contraire de son mari. Elle espérait que l’atelier de cuisine l’encouragerait à manger moins de viande. “Je me suis dit que s’il mettait la main à la pâte, il serait plus impliqué… Ça a marché, il est motivé !” 

Vidéo et photos: Michel Tonneau

Quatre alternatives à la viande

Les céréales. Quinoa* (pseudo-céréale), kamut, amarante*, sarrasin*, millet, petit épeautre*… Les céréales sont des graminées riches en fibres et sels minéraux, contenant jusqu’à 15 % de protéines.

Les légumineuses. Lentilles*, soja, haricots*… Les légumineuses portent leurs fruits en gousses. Une fois écossées, séchées et consommées, elles apportent jusqu’à 25% de protéines, peu de gras, des fibres et des minéraux.

Les oléagineux. Graines de tournesol*, de lin*, de chia… Les oléagineux sont des fruits riches en (bonnes) matières grasses et en fibres, et pauvres en sucre. On en extrait de l’huile.

Les algues. Spiruline, dulse, wakamé, nori… Les algues, très riches en protéines (jusqu’à 60 %) arrivent surtout d’Asie, de France et des États-Unis.

(*) On en trouve cultivé.e.s en Belgique.Pour aller plus loin : “Protéines végétales. Légumineuses, céréales, algues…”, plus de 80 recettes, Christine Bourgoin, Éditions Dangles.