Quand la cantine scolaire
se tranforme en resto

©Marie Russillo

©Marie Russillo

Une alimentation saine et durable constitue un enjeu majeur de la transition écologique.
Elle offre un levier pour soutenir l’agriculture locale.
Les cantines scolaires embrassent le mouvement.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Assis devant leur collation, Léa et Luca sont quelque peu perplexes. Ce jeudi matin, c’est le jour du potage. “C’est rouge. Je crois que ce sont des tomates ! Et ça sent bon”, commente la première. Son voisin lui conseille tout de même de “souffler très fort parce que c’est chaud”. Les deux enfants s’exécutent… à leur rythme. Maurice, lui, n’a pas attendu que ça refroidisse. Il plonge son visage et ses lunettes rondes dans sa tasse, sous le regard amusé de Clémence. “Allez, trois grandes gorgées !”, l’encourage son institutrice.

Pour la troisième fois de l’année, Muriel et Carole ont préparé de la soupe en guise de casse-croûte pour les 160 bambins de l’Ecole maternelle des Lutins, à la Hulpe. “Ils doivent encore s’y habituer, plaisantent-elles. Mais ils sont curieux et ça permet de les éveiller à certains légumes”. Ce jour-là, c’est butternut et betterave. Les deux cuisinières de “la fontaine à soupe” n’hésitent pas sur l’originalité des produits. Ceux-ci sont systématiquement de saison et sont livrés, une fois par semaine, par Biosphère, un magasin bio de la région, partenaire de l’ASBL Ma terre, mon assiette.

Marie Crosset, sa fondatrice, accompagne l’École des Lutins dans sa transition vers une alimentation saine et de qualité. “On revient à des saveurs de base, c’est un éveil gustatif et, plus globalement, sensitif. C’est aussi une manière de leur faire comprendre le cycle des saisons”, explique Nancy Marchal, la directrice de l’établissement. “Nous avons constaté que le potage en plus du repas à midi, c’était trop. Il y avait énormément de gaspillage alimentaire”, poursuit-elle.

Deux fois par semaine donc, la soupe remplace les collations collectives, instaurées depuis 2002. Celles-ci respectent la pyramide alimentaire et “désormais, les aliments doivent être non modifiés”, souligne Nancy Marchal. Ces choix en faveur d’une alimentation durable font intégralement partie du projet pédagogique de l’école. “Ils favorisent l’autonomie, conscientisent au gaspillage et à la production des déchets”, liste de manière non exhaustive, la directrice.

Non loin de là, l’école communale maternelle et primaire des Colibris a aussi fait un pas vers une alimentation plus durable. “Je m’adapte au projet et au rythme de l’école”, précise Marie Crosset. Ici, on a commencé par des collations collectives saines : légumes crus, fruits, produits céréaliers et laitiers. Si possible en vrac. “Nous avons récolté les idées des enfants et en ferons un livre numérique à destination des parents”, ajoute celle qui, pendant deux ans, s’attachera à faire évoluer le projet, en collaboration avec la direction, l’équipe éducative, le pouvoir organisateur, les enfants et, justement, les parents de telle sorte que tous les acteurs soient impliqués.

“On a constaté que les projets à l’école ont un effet positif dans les familles. Ils créent des moments d’échange entre les enfants et leurs parents.”
Laurence Bertrand, directrice de l'école les Colibris.

Petite révolution dans les assiettes

Hormis les collations, Marie Crosset a mis en place des “éco-teams”. Septante élèves de 4e primaire portent divers projets relatifs au respect de l’environnement. “Ils se sentent responsables du tri des déchets dans la cour”, constate Laure Le Quéré, institutrice.

“C’est valorisant, de transmettre l’information, de la vulgariser en s’adaptant au public. Cela fait partie des missions de l’école.”
Laurence Bertrand, directrice de l'école les Colibris.

Une nouvelle dynamique a vu le jour à l’école des colibris. Car en plus du projet de collations saines, ce sont, comme aux Lutins, les repas de midis qui ont, eux aussi, changé de régime. Sous l’impulsion de l’échevine de l’enseignement, les deux écoles communales ainsi que l’Office de la Naissance et de l'Enfance (ONE) se sont embarqués dans une refonte des repas et de ce qui leur est périphérique mais non moins essentiel, ces “petits détails qui font déjà une belle différence”.

Aux Colibris, la cantine est ainsi devenue “le restaurant”, histoire de lui donner un peu plus de prestige. Les plats sont savamment dosés et servis avec soin “car on mange aussi avec les yeux”, bientôt, des travaux seront effectués pour diminuer le bruit et “faire du repas un moment de plaisir, d’échange et d’apprentissage”, ajoute Laurence Bertrand.

Une attention particulière a été portée sur la revalorisation du personnel de cuisine, tant dans son rôle de surveillant que de cuisinier. Acteurs à part entière du projet, ils doivent agir de concert avec l’ONE, pour remplir leur mission de nourrir, quotidiennement, 250 bouches.

L’Office de la naissance et de l’enfance a dès lors retravaillé les menus pour y introduire davantage de végétal – le légume trône désormais au centre de l’assiette – et diminuer la portion de viande – tout en respectant les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé et du plan national nutrition santé  : choisir autant que possible des produits locaux, de saison et bio ou du moins sans traitement nocif. Exit, les aliments hypertransformés. Les cuisiniers disposent d’une large liste de menus (belges ou du monde) à s’approprier tout au long de l’année scolaire.

Si les acteurs de terrain admettent la difficulté pour la cuisine de collectivité de travailler en bio et en local, le système mis en place dans les écoles semble répondre aux attentes de bénéficiaires souvent exigeants, puisqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les contraintes de production et les goûts des enfants. “Les contacts avec les fournisseurs sont essentiels pour la réussite du projet”, précise Mireille Vanistendael, responsable de la cuisine à l’ONE.

La collaboration avec ces fournisseurs permet par ailleurs de stimuler l’économie locale – Biosphère a par exemple engagé du personnel pour assurer les livraisons – ; de stabiliser voire de développer l’activité des producteurs maraîchers – certains cultivent des parcelles uniquement pour répondre à la demande des collectivités – ; de relocaliser l’agriculture afin qu’elle soit avant tout nourricière.

Le Collectif développement cantines durables peut compter sur Biosphère pour lui fournir des légumes locaux et de saison toute l'année. "Nous commandons 100kg de produits en plus par semaine", pour le plus grand bonheur des producteurs, explique Anne Lemineur.

Le Collectif développement cantines durables peut compter sur Biosphère pour lui fournir des légumes locaux et de saison toute l'année. "Nous commandons 100kg de produits en plus par semaine", pour le plus grand bonheur des producteurs, explique Anne Lemineur.

Un collectif pour une cuisine de collectivité

Ce travail a été – et est toujours — réalisé avec l’aide de l’ASBL Ma terre, mon assiette. “Les écoles n’ont pas le temps de mettre cela en place seules. On propose un plan d’action clé sur porte, néanmoins adaptable aux réalités de chacune”, précise Marie Crosset, qui agit alors en tant que membre du Collectif développement cantines durables.

Celui-ci a été initié au début de l’année 2019 par Sylvie Deschampheleire, au départ de l’ASBL Influences végétales qu’elle a fondée. “Devant la demande croissante, il a fallu unir nos forces”, commente-t-elle. Le collectif se compose de cinq associations et de deux GAL (groupes d’action local) et est, de ce fait, actif partout en Wallonie. Ainsi, la Ceinture aliment-terre, GoodPlanet, le GAL Entre-Sambre-et-Meuse et celui du Pays de l’Ourthe ont détaché chacun un membre de leur personnel, à temps partiel, pour accompagner les établissements scolaires dans le développement d’une alimentation saine, durable, de qualité, respectueuse de l’environnement et accessible à tous (et donc à prix constant par rapport au coût du repas proposé précédemment).

“On conserve chacun la spécificité du contexte provincial dans lequel on s’inscrit”, précise Florence Henrard, de la Ceinture aliment-terre de Liège. Pour autant, les cinq (et bientôt neuf) coordinateurs appliquent la même méthode, développée par l’ASBL Influences végétales : une ligne du temps marquée par des étapes structure l’approche.

“On part de ce qui existe dans l’école et des besoins pour construire le projet dans le temps.”

“Nous espérons qu’après deux années, les écoles soient autonomes… Mais nous ne partons que lorsque la nouvelle dynamique fonctionne", souligne Coline Duchesne, de GoodPlanet. Car “le changement prend du temps”, observe Nancy Marchal.

Un “green deal” pour la restauration collective en Wallonie

En Wallonie, près de 220 000 repas chauds sont servis chaque jour dans les établissements scolaires, sociaux et de santé ou encore dans les entreprises et administrations publiques. Ces services de restauration collective représentent donc un levier important pour orienter la production agricole et l’alimentation dans une direction plus durable. C’est l’objectif du “green deal Cantines durables” lancé il y a quelque mois par l’ex-ministre Carlo Di Antonio. Dans le cadre de celui-ci, différents partenaires privés et publics s’engagent à mener des actions volontaires, endéans les trois ans, dans une dynamique de transition écologique. À ce jour 330 acteurs ont signé cet accord qui prévoit six axes de travail : favoriser les produits locaux et de saison ; des produits équitables, respectueux des animaux et de l’environnement ; des repas sains, équilibrés et savoureux préparés en veillant à réduire le gaspillage alimentaire et les déchets ; avec un souci d’inclusion sociale.

“La thématique de l’alimentation saine et durable pour les collectivités, qui en est à ses balbutiements, devient prioritaire. Le politique valide ainsi la mouvance exprimée par les citoyens”, réagit Sylvie Deschampheleire, fondatrice de l’Asbl Influences végétales et du Collectif Développement cantines durables. “Ce Green deal donnera à coup sûr une visibilité et un nouveau coup de boost à un enjeu sociétal”, estime-t-elle. La demande d’accompagnement des écoles connaît une croissance telle depuis quelques années que les quelques acteurs de terrain ont, de leur propre aveu, du mal à suivre. À moins de bénéficier de subsides publics.

L’assiette, levier d'un changement de civilisation

Pour que la sauce prenne, les membres du collectif sont convaincus de la nécessité “d’agir à tous les niveaux, avec l’ensemble des acteurs de terrain afin de changer le système”, commente Sylvie Deschampheleire. Le travail dès le plus jeune âge dans le cadre scolaire, c’est aussi, dit-elle, une question d’égalité des chances, “puisque tous les enfants n’ont pas accès à une alimentation saine chez eux”.

En développant le goût et “l'intelligence de la bouche”, c'est une “bibliothèque” dans laquelle l'enfant peut ensuite “se servir librement”. Elle y voit également une manière de s’adresser à tous, au-delà des convaincus.

“Les enfants sont nos relais vers les parents ; ce sont d’ailleurs souvent eux qui font changer les mentalités, les pratiques et les comportements alimentaires à la maison.”
Sylvie Deschampheleire, fondatrice du Collectif Développement cantines durables

Dans cinq ans, espère Sylvie Deschampheleire, le collectif aura pu prendre en charge 150 écoles. Le travail sur l’alimentation durable crée une émulation dans les établissements scolaires, se réjouit-elle et constitue “un levier de changement de civilisation, qui s’ancre dans l’assiette”.

Vidéo : Valentine Van Vyve
Photos : Marie Russillo