Le handicap a toute sa place
dans le monde du travail.
En voici la démonstration.

©Jean-Luc Flémal

©Jean-Luc Flémal

Entreprise de travail adapté, la Ferme Nos Pilifs déploie et diversifie ses activités depuis 35 ans.
Elle fournit un emploi valorisant et rémunérateur à plus de 145 travailleurs en situation de handicap.
Les ateliers de biscuiterie et de menuiserie sont en plein essort.

Reportage 

Laurence Dardenne

C’est l’heure de la pause, mais Mireille, une charlotte sur la tête, est déjà de retour dans l’atelier de la biscuiterie où l’odeur gourmande des marquises au chocolat nous titille méchamment les narines. Semblables à des pommes de terre en massepain, des dizaines de petites boulettes de pâte attendent leur tour pour se faire aplatir dans le gaufrier par Albert, et devenir ces galettes qui, dans le local d’à côté, se feront mettre en sachets. Ensuite, direction les rayons de l’épicerie de la Ferme Nos Pilifs à quelques mètres de là ou alors, acheminement vers les boutiques – de plus en plus nombreuses – qui ont choisi de distribuer ces délicieux produits artisanaux bios, préparés dans cet atelier par des travailleurs handicapés.

A s’activer dans la biscuiterie, ouverte il y a un peu plus de deux ans, ils sont une trentaine, dont Rosalia, Didier, Pascal, Hristo, Jawad, Michel… et Mireille. “On fait des langues de chat, des rochers à la coco, des gaufres ”, nous raconte-t-elle spontanément, visiblement fière de nous présenter ses productions.

“J’aime bien travailler, mais il faut se lever tôt.”
Mireille, ouvrière à la biscuiterie bio

Albert, lui, est ravi de son affectation à la biscuiterie. “Du moment qu’on travaille…, nous dit-il tout en fabriquant ses petites galettes. Tout le monde s’entend bien. Il y a une chouette ambiance.”

Bout2Bois , un parfait exemple d’économie circulaire

Et de fait, quand on débarque dans cette vaste entreprise de travail adapté, qui offre des emplois valorisants à 195 personnes dont plus de 145 travailleurs en situation de handicap, mental mais aussi social, il règne une atmosphère à la fois sereine et dynamique. Lundi, jour de fermeture des boutiques, on en profite pour mettre en ordre les rayons. A l’extérieur, les poules caquettent et les jardiniers remplissent leurs brouettes.

Les cinq hectares sur lesquels s’étend la ferme Nos Pilifs créée en 1971 abritent une multitude d’activités : une épicerie boulangerie, où se retrouvent les productions “made in Pilifs” en plus de produits labellisés bio ou issus du commerce équitable ; mais aussi une jardinerie, espace de vente et de conseils en éco-jardinage ; un estaminet, où faire une pause sucrée-salée ; le Jardin d’Inspiration, des parcelles qui recèlent des petits bijoux de biodiversité. Tournesols, bettes et potirons s’y côtoient avec bonheur…

Sans oublier la menuiserie Bout2Bois, lauréat BeCircular 2016, pour avoir réussi une belle revalorisation des déchets de bois. Dans cet atelier, c’est Sally et Bryan qui s’affairent à fabriquer ce jour-là un sapin de Noël durable – et très design – en bois.

L’idée de cette heureuse initiative est venue très naturellement : et pourquoi ne pas réutiliser les morceaux de bois ramenés des chantiers par les jardiniers des Pilifs pour les recycler en bacs à plantes, nichoirs, mangeoires, poulaillers, meubles, pieds de lampe, clôture… ?

“Le bois que nous revalorisons et que nous transformons est du bois local. Il vient de nos chantiers de jardin, de l’entretien de notre parc, d’entrepreneurs de jardin, de sociétés qui se trouvent à proximité, de chantiers de construction…
Eric Frère, responsable de l’atelier Bout2Bois.

En le sauvant de la destruction, en lui donnant une nouvelle vie, nous l’inscrivons dans la filière du développement durable et des circuits courts”.

Une campagne clin d’œil pour mettre en valeur les travailleurs

A force de voir comme tout roule à la Ferme Nos Pilifs, certains visiteurs en oublieraient que, derrière le comptoir de l’épicerie, dans les allées du parc ou encore à l’Estaminet, ce sont des personnes en situation de handicap qui sont aux manœuvres. Et donc, si parfois un petit grain de sable vient s’immiscer dans l’engrenage, si une légère erreur ou une certaine lenteur ne sont pas exclues, il faut sans doute rappeler que, malgré toutes les apparences, La Ferme Nos Pilifs reste une Entreprise de Travail Adapté.

Avec “Des gens extraordinaires, tout simplement” et “Une façon différente de voir les choses” comme en témoignent les quelques affiches placardées sur les locaux dans le cadre d’une campagne clin d’œil. Pour rappeler que l’on se trouve dans un lieu où les choses se passent de manière un peu différente.

“Nous avons fait de l’inclusion notre raison d’être et nous ne définissons pas nos travailleurs comme des personnes handicapées, mais bien comme des boulangers, des vendeurs, des jardiniers, des animateurs, des serveurs, des cuisiniers, bref des professionnels de tous les métiers que nous exerçons. […] Grâce à tous nos différents métiers nous pouvons offrir ces opportunités de progression à l’ensemble de nos travailleurs.”

Aujourd’hui, cette activité, qui occupe quatre personnes, représente plus de 70 % du chiffre d’affaires de la ferme. Il faut dire qu’outre les articles vendus sur place à la jardinerie, la menuiserie reçoit des commandes de particuliers, d’entreprises, de collectivités, d’administrations…

“Le bois arrive dans cet état, nous indique Sally en pointant un tas de morceaux qui n’ont pas tous forcément belle allure. Nous retirons les clous, le ciment… On le nettoie, on le débite… puis, on en fait par exemple des sapins de Noël, comme celui-là, qui doit encore être huilé”. Un superbe objet, pas forcément simple à réaliser mais que Bryan est consciencieusement en train d’assembler avec sa visseuse.
Sans aucun doute, ce projet de menuiserie basé sur la récupération de bois voué à être jeté s’inscrit pleinement dans l’économie circulaire et sociale.

Des activités adaptées
aux travailleurs

Une véritable success story que cette menuiserie au même titre d’ailleurs que la biscuiterie.

“L’idée est apparue lorsque nos activités de manutention commençaient à décliner. Il fallait trouver une occupation manuelle et moins lourde que les travaux de jardinage trop physiques pour certains."
Thierry Valentin, responsable alimentation durable

L’idée de la biscuiterie convenait parfaitement et permettait de mettre à l'emploi 30 travailleurs : tout se fait à la main, de la confection de la pâte au conditionnement en sachets. En fonction de leurs compétences, les travailleurs œuvrent à tel ou tel poste. Certains occupent toujours la même place, d’autres sont mobiles. Aujourd’hui, nous avons une quinzaine de biscuits différents à proposer. Et nous comptons en développer de nouveaux, salés et diététiques. Nos biscuits sont certifiés bio et nous utilisons aussi, dans la mesure du possible, des ingrédients, comme le sucre et le chocolat, issus du commerce équitable”, poursuit Thierry Valentin, responsable alimentation durable.

Vendus sur place à l’épicerie, au prix de 3 à 4 euros le sachet de 100g, ils sont également disponibles dans plusieurs magasins bios, partenaires externes. D’ici la fin de l’année, entre 5000 et 6000 sachets devraient sortir chaque mois de la biscuiterie logée à Neder-over-Hembeek.

D’autres projets en vue

Si en 35 ans d’existence, la Ferme Nos Pilifs s’est considérablement déployée, diversifiant ses activités, de nouveaux projets ou développements – comme la ferme d’animation, des cours de jardinage, une éco-jardinerie… – sont encore en gestation. Toujours dans le respect de l’environnement, en privilégiant les circuits courts et, avant tout, dans l’optique de proposer un travail utile, valorisant et rémunérateur à toute personne en situation de handicap. “Cet objectif social allie aspects économiques et préoccupations environnementales afin de faire de la Ferme une entreprise durable, dit-on aux Pilifs.

Notre mission est d’adapter la tâche à la déficience de chacun afin de réduire les difficultés et de permettre à tous de s’épanouir dans le travail. La Ferme Nos Pilifs prouve que le handicap n’est pas un frein à l’efficacité, à la qualité du travail et à l’esprit d’entreprendre.”

Vidéo : Valentine Van Vyve
Photos : Jean-Luc Flémal

Le pari réussi du “65 degrés”

Ouvert il y a tout juste un an sur la très chic Avenue Louise, le “65 Degrés” est parvenu à se forger un nom sur la place culinaire bruxelloise. Un succès qui réjouit ses fondateurs.

Dans un secteur hyper-concurrentiel, leur pari n’était pourtant pas mince : lancer un restaurant offrant une cuisine de niveau gastronomique et dont une majorité de l’équipe est composée de personnes porteuses d’un handicap mental. Avec pour objectif affiché de normaliser la perception de la personne handicapée dans le milieu du travail dans l’espoir que d’autres entreprises leur emboîteront le pas.

Nous avons commencé l’aventure avec six jeunes et aujourd’hui nous sommes à treize. On a donc dépassé nos objectifs, c’est hyperpositif!”, souligne Valentin Cogels, l’un des quatre cofondateurs. Une satisfaction qui repose également sur l’épanouissement visible de ces jeunes collaborateurs hors norme, poursuit-il. Au terme de sa première journée dans l’équipe, l’un d’entre eux a envoyé un message à sa maman dans lequel il lui écrivait “Je suis heureux”, illustre notre interlocuteur. Une autre jeune a pour sa part pu trouver un emploi “dans une entreprise classique” plus proche de son lieu de résidence grâce à l’expérience acquise au “65 Degrés”.

Un restaurant "normal"

Le public du restaurant s’est également élargi et diversifié. “Les gens ne viennent plus pour découvrir un groupe de handicapés qui travaillent, même si certains ont encore parfois envie d’en parler, mais pour passer un bon moment culinaire”, juge M. Cogels. Et si l’exemple du “65 Degrés” n’a pas encore incité d’autres employeurs à se lancer dans la même démarche, la démonstration est faite qu’une personne avec un handicap peut tout à fait s’intégrer dans le monde professionnel des valides, ajoute-il.

Tout n’est pas facile pour autant, recoannaît Valentin Cogels. Le restaurant, qui ambitionne d’atteindre une autonomie financière en dépendant le moins possible des subsides n’a pas encore atteint l’équilibre budgétaire. Outre les lunchs du midi, il a ainsi élargi ses plages horaires en ouvrant trois soirées par semaine et en organisant quelques événements. Il a aussi pu compter sur le soutien des mécènes et des quatre fondateurs. Très investis, ces derniers y consacrent toujours une large part de leur temps, à titre bénévole. “Mais on est sur la rampe de lancement espérée. On n’est pas loin de trouver l’équilibre, ce qui nous permettrait peut-être de lancer d’autres projets”, conclut avec optimisme notre interlocuteur. Il y a du potentiel et des idées. (G.T.)