Les multiples visages
de la Transition

©Didier Bauweraerts

©Didier Bauweraerts

Il y a quatre ans, Muriel Bury rencontrait “Monsieur Burn-out”. Ce signal d’alarme a déclenché chez elle un changement de vie. Simplicité, créativité et partage en sont devenus les morts d'ordre.
Une thématique au cœur du “Festival Maintenant !"

Reportage 

Valentine Van Vyve

Le “Festival Maintenant !” prenait à nouveau ses quartiers à Louvain-la-Neuve cette semaine. Consacré aux initiatives de transition, cet événement a pour objectif de mettre en évidence la dynamique de changement qui souffle sur notre société. Changement à l’échelon structurel mais aussi à l’échelle individuelle. Muriel Bury était de ces personnes inspirantes venues partager son expérience d’un changement de cap, une transition. Celle-ci lui a été imposée par son corps. “Une compétition entre mon corps et mon mental s'était engagée : qui des deux serait le plus fort et tiendrait le plus longtemps ?”, se souvient-elle. Le corps a lâché le premier, le mental a suivi. Un burn-out. Malgré la souffrance et un cheminement qui durera 4 ans, cette femme de 44 ans estime qu’il a été “la plus belle chose qui (me) soit arrivée”.

Se donner le temps du cheminement

La transition, pour elle, est d’abord intérieure. Comment se retrouver, “au-delà de ce que la société exige que l’on soit”, comment s’écouter et être en adéquation avec ses valeurs ? Son médecin devient son coach. “Je voulais m’en sortir sans médicament”, précise-t-elle. “Il m’a amené à me questionner. À me poser les questions qui sont essentielles pour moi.” Celles qu’elle ne s’était pas posées pendant les dix-sept années qu’elle passa dans le secteur pharmaceutique. “J’étais une machine de guerre et faisais ce qu’on attendait de moi. J’étais conduite par des ‘il faut’ sans remettre en question le sens de mes actions, commente-t-elle. Je n’arrêtais pas de dire ‘je gère’”. Son burn-out sera son “instinct de survie”.

Débute alors un “processus de reconstruction”. Elle apprend à ne rien faire. À observer. À écouter. Elle marche et se reconnecte à la nature, “une fameuse source d’inspiration”.

“On sait que la force et les solutions sont en nous. Mais parfois, il faut beaucoup pomper pour aller les chercher.”
Muriel Bury

Petit à petit, elle prend conscience que sa place n’est plus dans un bureau, elle est ailleurs. “Monsieur Burn-out”, comme elle s’amuse à l’appeler, lui a ouvert d’autres portes. D’une transition intérieure, elle entame un changement de vie. À son rythme, car “on ne met pas de temps sur le temps”. Dans une société de l’immédiateté, elle admet que la démarche n’est pas simple, “mais il faut se positionner. Cela ne tient qu’à soi”.

Se libérer d’un schéma imposé

Chaque action, chaque pas est une victoire. “Aller chercher un journal et lire, faire des courses, prendre le train”, il suffit de peu pour se remettre doucement en selle et vaincre ses angoisses.
Elle repense à la petite fille qu’elle était et qui “voulait toujours être dehors, au contact de la nature.” Elle décide de suivre une formation en art floral et réveille ainsi un côté hypercréatif enfoui pendant des années.

“Il y a quelque chose de valorisant et de tellement enthousiasmant à créer et à pouvoir montrer quelque chose de tangible à mes enfants quand je raconte ma journée.”
Muriel Bury

D’un statut “confortable” de salarié, assise derrière un bureau mais prisonnière d’un “schéma on ne peut plus lisse… horrible”, Muriel Bury “se libère” en devenant son propre patron. Indépendante complémentaire puis à titre principal, elle “revit” en animant des ateliers d’art floral d’une part, et en donnant des animations sur la consommation écologique et responsable. Le partage est devenu une pierre angulaire de sa vie quotidienne. Cette nouvelle profession constitue d’ailleurs un pas vers d’autres valeurs qu’elle chérit et qui l’animent : la créativité, la générosité et la simplicité.

“Se projeter, c’est arrêter de respirer”

C’est la première fois que Muriel Bury partage de la sorte son histoire. Là encore, elle estime que c’est un pas de plus vers la guérison.

“Il ne faut pas avoir peur d’oser, de changer de direction. Sans quoi, on risque de passer à côté…”
Muriel Bury

Et puisque c’est son lot quotidien, elle pousse à “affronter ces peurs qui freinent” car, quand on les dépasse, on retrouve de la fierté et du sens. Celui-ci, elle le trouve aussi dans sa capacité à prendre la vie comme elle vient, à “faire au jour le jour” puisque, pense-t-elle, “se projeter, c’est arrêter de respirer. Le meilleur moment à vivre, c’est l’instant présent”.

C’est ce qu’elle a expliqué à la petite dizaine de personnes venues échanger avec elle, sous une tente lors d’un jour de pluie. L’un des participants est en recherche de sens et échanger fait partie de sa réflexion autour d’une reconversion professionnelle . Une autre vient chercher des clés pour soutenir un mari malade et en burn-out . Une autre encore vient exprimer sa gratitude. “Le burn-out m’a finalement beaucoup apporté”, dit-elle lors d’un tour de table.

Muriel Bury sort d’une enveloppe tous ces verbes qui résument son état d’esprit d’il y a quatre ans : gérer, culpabiliser, justifier, angoisser. Certains se reconnaissent. Elle déconstruit aussitôt ce qui lui semblait être alors figé dans le marbre en les remplaçant par : bricoler, se retrouver, se questionner, être curieux. “Si seulement chacun pouvait trouver quelles sont ses forces et parvenir à s’épanouir en s’appuyant sur elles…”

Photos : Didier Bauwertaerts
Vidéo : Valentine Van Vyve

“Proximity” veut bâtir des partenariats public-privé-citoyens pour des projets de transition

“Les initiatives de la transition sont de plus en plus nombreuses, le mouvement s’accélère ; depuis les élections communales – et davantage encore depuis le scrutin régional — le monde politique tend à s’aligner sur ces envies citoyennes . Les entreprises souhaitent aussi participer à cette dynamique et y apporter leurs compétences et leurs ressources.” Ce constat optimiste est dressé par François-Olivier Devaux, membre du Réseau Transition, en marge du “Festival Maintenant !”.

Pour accompagner ces visions convergentes, il a mis en place, avec la Fondation Be Planet – spécialisée dans le soutien aux projets citoyens en faveur de la transition écologique et solidaire – le programme “Proximity”. Les partenaires présentent l’initiative comme “une dynamique de mobilisation locale incluant tous les acteurs présents sur un territoire : pouvoirs publics, entreprises, citoyens et associations”. Les “écosystèmes” se créent à l’échelle locale autour de projets citoyens dans le domaine de la transition écologique. “Nous faisons le lien”, précise François-Olivier Devaux.

Initiative citoyenne, soutien de tous bords

Le programme s’étale sur une année. Des projets sont soumis par des citoyens ou des associations. Ceux-ci sont ensuite accompagnés par Proximity, qui les aide à élaborer leur dossier. L’année est par ailleurs rythmée par des rencontres entre les acteurs locaux “afin de favoriser les interactions, la connaissance de la réalité et des besoins de chacun et la construction de partenariats”. Un jury indépendant désigne enfin les projets qui bénéficieront d’un premier soutien financier. Celui-ci provient des pouvoirs publics locaux d’une part, d’un financement participatif, d’autre part. Les entreprises, quant à elles, mettent au bénéfice de projets leurs ressources financières ou humaines.

“On applique le même concept qu’en permaculture : il faut aller chercher l’énergie là où elle est.”
François-Olivier Devaux

“C’est parfois compliqué pour les communes d’initier ou de soutenir ce genre de projets. Cela demande du temps et des compétences. Proximity facilite les choses”, explique-t-il. L’initiative a donc été accueillie avec enthousiasme. Ottignies-Louvain-la-Neuve est la première à se lancer dans l’aventure. “La Ville espère concrétiser et développer les projets citoyens qui fleurissent dans la commune”, se réjouit Julie Chantry, la bourgmestre d’OLLN. L’ambition est de lever 30 000 euros.

Les pouvoirs publics peuvent par ailleurs influer sur les critères de sélection et ainsi favoriser l’émergence de projets dans tel ou tel domaine. “Une commune nous a dit que la transition écologique allait de pair avec la transition sociale. Elle voudrait donc y impliquer le CPAS”, illustre François-Olivier Devaux. Une cartographie des projets permettra, après plusieurs années, d’encourager le développement de certaines activités particulièrement porteuses. Ces projets permettent aux acteurs locaux “d’adopter une vision à long terme”, se réjouit François-Olivier Devaux.