Le vélo,
une arme fatale
pour se rendre
au boulot

Belga

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A la Mutualité chrétienne de Schaerbeek, une vingtaine d'employés testent le vélo au quotidien dans le cadre du « Bike Project ».

Reportage 

Gilles Toussaint

Impeccablement alignée devant l’entrée du siège schaerbeekois de la Mutualité chrétienne, une impressionnante flotte composée de vélos à assistance électrique, deux-roues classiques, pliables et autres vélos-cargos attire tous les regards.
A l’intérieur de l’imposant immeuble, une vingtaine de membres du personnel se sont rassemblés dans une salle pour assister à une formation un peu inhabituelle : ce mardi matin, en effet, ils ont cours de vélo. Les retardataires arrivent alors que l’on vient d’entamer un petit tour de présentation où chacun explique brièvement ce qui motive sa présence.

Il y a là Valérie qui effectue déjà les 22 km qui la séparent du travail en « train + Villo », mais qui se sent peu en sécurité sur certaines portions de son trajet trop étroites pour qu’une voiture et un vélo puissent circuler de front. « J’espère avoir des conseils pour ce genre de situation ». Il y a Dominique dont le vélo « prend la poussière depuis très longtemps ». Habitant Bruxelles, il croise beaucoup de cyclistes au quotidien et est en quête de « trucs » qui pourraient le décider à leur emboîter la roue. Il y a Sarah, qui a connu une expérience douloureuse suite au croisement d’un rail de tram ; François qui aimerait gagner du temps ; Saïda qui souhaiterait retrouver un peu de condition physique... D’autres collègues encore, qui n’hésitent pas à enfourcher leur bicyclette sur leur lieu de résidence situé en Flandre, « mais certainement pas à Bruxelles ».

Déconstruire les peurs erronées

Autant de craintes et de questionnements que connaissent bien Noémie Dembour et Florent Buchel, les deux formateurs du programme « The Bike Project ». « L’objectif est de vous donner confiance pour apprendre à être autonome à vélo dans la circulation », explique le second en guise d’introduction.
Installé devant un écran sur lequel défilent une série de dias à la manière d’un examen du code de la route, le groupe va, durant une bonne heure, passer en revue une dizaine de situations les plus courantes auxquelles peuvent être confrontés les cyclistes urbains et les règles fixées par la loi.

A quelle distance doit-on se tenir quand on longe des véhicules en stationnement pour éviter de s’exposer au redoutable « coup de la portière » ? Faut-il remonter une file de voitures à l’arrêt par la gauche ou par la droite ? Comment aborder un rond-point ?…

En français et en néerlandais, les discussions vont bon train entre les animateurs et des participants très impliqués dans cet exercice. Patiemment et avec pédagogie, ceux-ci répondent aux interrogations derrière lesquelles on sent poindre certaines craintes. « Il faut déconstruire les fausses peurs et voir où sont les vrais dangers qui ne sont pas toujours perçus comme tels par les cyclistes », insiste Noémie.

Une attrayante formule de leasing

« Mobility Manager » pour le site schaerbeekois de la Mutualité chrétienne, Veerle Gevaert se réjouit de voir l’engouement croissant pour le deux-roues parmi ses collègues. Elle y voit le fruit d’un travail entamé depuis deux ans. « On avait déjà organisé une première balade avec une dizaine de vélos qui a connu un gros succès. On a reçu beaucoup de demandes. Et ce qui est étonnant, c’est que les personnes intéressées habitent plutôt loin, à plus de 15 km », raconte-t-elle. Si chaque siège de la Mutualité met en place des stratégies de mobilité, il n’existe pas encore de programme structurel commun, ajoute-t-elle, soulignant que des actions comme celles organisées dans le cadre du Bike Project « vont nous aider à structurer cela ».

Une politique d'incitations

À Schaerbeek, la capacité du parking vélos a notamment été portée de 44 à 140 places. La direction accorde également le maximum prévu pour les indemnités liées au déplacement domicile-travail à bicyclette. « D’autres projets sont dans les cartons comme une rénovation des douches. On fait un maximum de choses pour encourager les gens à franchir le pas  », ajoute Mme Gevaert.

Lancé au mois de février, le programme de leasing proposé par l’entreprise rencontre également un vif succès. «Nous avons conclu un partenariat avec une firme qui propose cela et qui assure aussi l’entretien. C’est une forme d’échange salarial qui permet au salarié de disposer d’un vélo de n’importe quel type à un prix très avantageux par rapport au tarif catalogue. C’est vraiment intéressant, notamment pour les e-bikes qui sont assez chers, explique-t-elle. Le vélo est payé sur trois années via le prélèvement d’une partie du 13e mois. Au bout de trois ans, l’employé peut conserver l’engin en payant la valeur résiduelle, recommencer un autre leasing ou simplement tout arrêter. Et pour l’entreprise, l’opération est neutre sur le plan budgétaire. Quand on a démarré, je m’étais fixé un objectif de 70 vélos pour la fin de l’année, on est déjà à soixante ! », sourit notre interlocutrice.

Créer une culture vélo
dans l’entreprise

Financé par Bruxelles Environnement (l’administration bruxelloise de l’Environnement), «The Bike Project » a démarré en 2013, explique Louise Kesteloot, la responsable de ce programme au sein de l’association Pro Velo. « La démarche s’inscrit dans le cadre des plans de déplacement que doivent élaborer toutes les entreprises qui emploient plus de 100 personnes en Région bruxelloise. Celles qui le souhaitent peuvent postuler via un appel à candidatures. La participation est gratuite, mais nous passons avec elles une convention dans laquelle elles souscrivent à certains engagements, par exemple la mise aux normes de leur parking vélo, qui doit être à l’abri et sécurisé  ». En contrepartie, l’entreprise bénéfice d’une série de services proposés par les équipes de Pro Velo, telle la formation donnée ce matin.

52 - Depuis son lancement en 2013, 52 entreprises employant au total 36 500 travailleurs ont pris part au programme « The Bike project ».

« Nous assurons un accompagnement pendant huit mois où l’on va identifier le potentiel vélo de l’entreprise à partir duquel nous pouvons mettre en œuvre différentes actions », poursuit la jeune femme. La volonté de constituer une véritable équipe autour du « manager mobilité » de l’entreprise se trouve également au cœur de cette démarche.
« La mobilité touche à plein d’aspects différents : les infrastructures disponibles, les actions de communication, des mesures budgétaires, des questions de fiscalité… Et en général, le coordinateur mobilité – dont ce n’est pas forcément l’unique mission – est une personne qui se trouve souvent isolée dans l’entreprise. On veut donc constituer une véritable équipe composée de membres du personnel issus de divers horizons - de la direction, de la Com’, des ressources humaines, certains qui sont déjà cyclistes et qui connaissent le terrain et les besoins de l’entreprise… De cette façon, on crée une communauté qui va créer et renforcer une culture vélo dans l’entreprise. »

« L’idée est vraiment que le « coordinateur mobilité » bénéficie d’un soutien qui lui permette de mettre en œuvre une politique vélo structurée. On l’aide à structurer sa manière de fonctionner et à acquérir une méthode de travail, complète Loïk Dal Molin, de Bruxelles Environnement. Une fois qu’il a mis en place une politique vélo, il a les clefs pour développer d’autres alternatives ; transports publics, covoiturage, etc. » Le fait d’avoir une équipe autour de lui permet en outre d’avoir davantage de poids quand certaines choses bloquent du côté de l’employeur.

Rouler, c'est gagner

« C’est l’histoire d’un homme prisonnier de boîtes : son écran, son bureau, sa voiture. » Un homme qui décide de s’en « libérer » en roulant à vélo. Cet homme, c’est Guillaume Kerckhofs. Il vient de lancer Bike & Win, une application qui a pour objectif d’encourager la pratique du vélo au quotidien en milieu urbain et périurbain. « Les effets bénéfiques du vélo sont prouvés: sur le stress, la santé, le bien-être », avance-t-il.

Bike&win se profile comme un « outil positif et ludique », résume son concepteur, à l’usage des convaincus de la bicyclette pour convaincre leur entourage de se déplacer à son tour à la force des mollets et ainsi créer un « effet de masse ».

En roulant, le cycliste gagne. Plus précisément, un cycliste répond à un défi proposé sur l’application. S’il arrive au bout, il remporte la récompense à la clé : des places de concert, de spectacle, une nuit d’hôtel ou tout autre cadeau proposé par les utilisateurs. On peut y poser des défis en termes de kilomètres parcourus, de quantité de CO2 ou d’euros économisés. « Pour l’instant, nous en avons fixé quelques-uns nous-mêmes», explique Guillaume Kerckhofs. Le but est cependant de voir les utilisateurs s’approprier l’outil, chacun pouvant y ajouter un défi à réaliser seul ou en groupe.

Dans ce modèle, la collaboration avec les entreprises et les acteurs du territoire est fondamentale. Bike&win se concentrera notamment sur les trajets qui séparent le travailleur de son lieu de travail, espérant voir des navetteurs abandonner leur voiture pour enfourcher un vélo. « Cela améliore la performance au travail. Il y a donc un retour direct pour les employeurs », motive le fondateur de Bike&win, qui les invitent à proposer des défis à leurs employés. « Cela peut faire office de team building. » Un défi peut tout aussi bien être lancé par un magasin bio qui offre un kilo de légumes, suggère Guillaume Kerckhofs.
« On récompense la constance plus que la performance, souligne-t-il. Le nombre de kilomètres à parcourir quotidiennement peut être limité mais s’installer dans le temps.» Ceci afin de favoriser le vélo comme mode de transport. « Une fois qu’on est monté sur un vélo, on a déjà gagné. » Le cadeau est « un prétexte, une carotte », qui permet de « découvrir le plaisir du vélo » et de « casser des barrières ».

L’application, lancée le 13 septembre, est disponible sur IOS et Androïd.

Tester pour y prendre goût

Il est bientôt 13h, le moment est venu de passer de la théorie à la pratique. Répartis en petits groupes autour d’un membre de Pro Velo, les participants écoutent attentivement les informations et les consignes se rapportant à l’engin qui va leur être prêté gratuitement pendant deux semaines. Très sportif, Jean-François a opté pour l’e-bike. « Je viens à moto tous les jours, mais je voudrais tester ce type de vélo. Si l’expérience est positive, j’envisage d’en acheter un que j’utiliserai quelques jours par semaine pour me rendre au boulot », nous explique-t-il avant de se mettre en selle pour un parcours accompagné par les deux formateurs du Bike Project.

« Nous ne sommes pas des militants du cycliste à tout prix, qui crie « A bas la voiture ! ». Nous voulons simplement que le vélo soit considéré comme une option valable et égale à la voiture. Parfois celle-ci est nécessaire mais souvent, dans une ville comme Bruxelles où les trajets de 50 % des gens sont en deçà de 5 kilomètres, elle ne l’est pas. Dans ce cas, il est plus intéressant de prendre le vélo. »
Florence Le Cocq, chargée de communication de Pro Velo.

Car rien ne vaut la pratique pour apprendre à bien prendre sa place dans la circulation et à surmonter ses peurs. Ce n’est qu’en pédalant que la personne se rend compte que le changement est entre ses mains et que le premier obstacle réside moins dans le manque de pistes cyclables que dans ses propres réticences. C’est de cette manière également qu’elle apprend les droits mais aussi les devoirs du cycliste, ce qui lui évite « de créer sa propre insécurité ».

« Expérimenter le déplacement à vélo change la vision que les gens en ont. Ils se rendent compte que c’est à leur portée et de la satisfaction que cela procure grâce au sentiment de liberté et de fluidité que le vélo apporte », argumente avec passion Florence Le Cocq.

Vidéo : Christel Lerebourg
Photos : Jean-Christophe Guillaume

Le vélo qui grandit
avec son propriétaire

Et si le vélo grandissait avec son propriétaire ? C’est l’idée du projet “1 vélo pour 10 ans”, mené notamment par Les Ateliers de la rue Voot, à Woluwe-Saint-Lambert. “L’enfant a une croissance rapide et un vélo peut devenir inadapté après quelques mois, soulève Hubert Bliard, coresponsable du projet. Alors, on en rachète un neuf qui bientôt encombrera lui aussi le garage”.

Dès lors, depuis trois ans, les Ateliers font entrer la discipline dans l’ère de la récup' en proposant aux parents de faire le choix d’une consommation plus responsable . “Nous récupérons des cadres de vélo à la déchetterie ou fonctionnons à la faveur des dons”, explique Hubert Bliard. Certains sont remis à neuf, d’autres sont démontés pour que leurs pièces servent aux éventuelles réparations. L’enfant choisit son vélo, de la draisienne au 24 pouces (juste avant le modèle pour adulte). Lorsque celui-ci devient trop petit, il le rapporte et en prend un autre, adapté à sa taille.
On demande que le vélo soit rendu propre”, souligne le responsable du projet. Le respect de l’objet est inculqué dès lors que “le vélo a une histoire et l’enfant n’en est qu’un maillon”. La dimension pédagogique fait partie intégrante du “contrat”. L’enfant est invité à participer aux petites réparations faites sur la bicyclette qu’il rend. “Il apprend son fonctionnement et des dangers liés à un mauvais entretien.”

Cette démarche d’économie de partage et circulaire est bénéfique financièrement : un, deux, trois, quatre voire cinq vélos pour une dizaine d’années coûte 120 euros (plus 80 euros de garantie).