A Ochain,
du fumier comme or noir

A Ochain,
du fumier comme or noir

Un jeune agriculteur liégeois est à l'origine de la création d'Ochain Energie, une centrale de biométhanisation dans le cadre d'une coopérative citoyenne.
Un exemple à méditer alors que les changements climatiques servent de fil rouge à la Foire de Libramont, qui bat son plein ce week-end.

Reportage
Gilles Toussaint

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Au loin, un dôme de caoutchouc vert indique que nous touchons au but. La petite route serpente au milieu des champs, puis longe l'orée d'un bois avant de déboucher sur le chantier. Deux impressionnants «digesteurs» (voir infographie), sorte de vastes réservoirs circulaires en béton, se dressent devant nous. Le léger bourdonnement d'un moteur se fait entendre depuis un caisson insonorisé où deux techniciens peaufinent des réglages... Il reste du travail, mais la centrale de biométhanisation d'Ochain (dans le Condroz liégeois) a déjà belle allure. Début mai, son moteur de 815 Cv alimenté au biogaz a commencé à vrombir, injectant dans la foulée ses premiers kilowattheures d'électricité sur le réseau.

Toujours en phase test, l'installation va encore monter en puissance d'ici au début de l'automne, date à laquelle elle devrait être officiellement inaugurée. «Tout se passe très bien jusqu'à présent», se réjouissent Alain Damay et Marc Installé, deux administrateurs de la coopérative Emissions-Zéro.

Grégory Racelle inspecte un des impressionnants digesteurs qui permettra de récupérer le méthane issu de la décomposition des déchets organiques.

De la SPRL à la coopérative

C'est qu'il a fallu une solide dose de persévérance pour mener la barque à bon port. Le site d'Ochain faisait partie d'une liste de dix-neuf points de chute potentiels, répertoriés à l'occasion d'une étude réalisée dans la région en 2011. Deux ans plus tard, un jeune agriculteur du coin, Grégory Racelle, a décidé de se lancer dans l'aventure. «C'est véritablement son bébé», sourient nos deux interlocuteurs.

«Ca a démarré simplement», explique le principal intéressé. «Je souhaitais trouver un complément de revenus à l'exploitation agricole familiale, car celle-ci est de trop petite taille pour me permettre d'en vivre. Et, par principe, je ne souhaitais pas me lier à des projets d'engraissement industriels, une porcherie ou un poulailler comme on le voit couramment, où l'on devient en quelque sorte 'esclave' d'un grand groupe.»

«C'est important de rester ouvert au monde qui change. Notre installation est prête à évoluer.Le monde agricole évoluera.»

Grégory Racelle, agriculteur à l'origine du projet Ochain Energie

Après une première tentative inaboutie il y a huit ans, il a donc choisi de retenter le coup en créant la SPRL Ochain Energie, convaincu de l'intérêt et de la pertinence de cette technologie. En 2015, il s'est mis en quête de partenaires pour l'aider à mener à bien ce nouveau projet. Un choix dicté tant par des raisons économiques que par la volonté de lui donner une dimension citoyenne. Le courant passe bien avec les représentants d'Emissions-Zéro et la SPRL se transforme alors en société coopérative à responsabilité limitée.

«Ce que je n'aime pas dans les énergies renouvelables, c'est que l'argent généré part souvent ailleurs. Ma conviction, c'est qu'il faut essayer de conserver cette valeur ajoutée chez nous localement. J'avais donc intérêt à amener des citoyens à participer à mon projet, explique Grégory. Avec Emissions-Zéro, nous partageons la même philosophie, la volonté de se fixer certains critères environnementaux mais aussi de respecter les agriculteurs.»

Constituer un dossier financier solide

Créée en 2007, dans le prolongement de «L'éolienne des enfants» à Houyet, la coopérative Emissions Zéro qui exploite deux éoliennes avec les communes de Dour et Quiévrain, se trouvait de son côté confrontée à un curieux problème. Face au blocage qui frappe la plupart des projets éoliens en Wallonie, elle dispose de fonds importants mobilisés par ses 1500 coopérateurs.
Plutôt que de laisser cet argent croupir sur un compte bancaire, elle a donc choisi de s'orienter vers d'autres formes de production d'énergie verte, dont la centrale d'Ochain est un premier exemple.

Le bouclage du montage financier de ce dossier a été une rude étape, souligne Alain Damay. «Il y a pas mal de méthaniseurs qui ont connu des difficultés et les banques se montrent très prudentes. Nous avons dû leur apporter de nombreuses garanties mais aussi convaincre nos propres membres du bien-fondé et de la solidité de ce projet.»

Quatre partenaires, cinq millions d'euros

A côté des deux actionnaires majoritaires que sont Grégory Racelle et Emissions Zéro, deux autres partenaires se sont associés au projet pour parvenir à mobiliser les cinq millions d'euros d'investissement nécessaires à la réalisation de la centrale de biométhanisation d'Ochain.
Condroz Énergies Citoyennes, une petite coopérative locale, et le bureau d'ingénierie Coretec ont également contribué à rassembler le capital de 1 260 000 euros qui a permis de lever les financements complémentaires auprès de la banque BNP Paribas et du groupe Meusinvest.
« Même si elle est de moindre importance, la participation de Condroz Énergies Citoyennes nous permet d'avoir un ancrage local qui est important à nos yeux. Quant à Coretec qui est un de nos principaux prestataires, c'est la première fois qu'ils travaillent sur un projet de ce type avec du biogaz. Ils avaient donc aussi un intérêt à être partie prenante», commente Alain Damay.

L'atout de la cogénération

L'un des atouts majeurs de l'installation d'Ochain est de disposer de deux débouchés qui vont lui permettre de valoriser la chaleur générée lors du processus de production de l'électricité. La centrale sera ainsi raccordée par un réseau de chaleur à la Maison de repos du Château d'Ochain, située à un kilomètre de là. De quoi garantirle confort des 120 résidents. «C'est ce home, géré par l'Association chrétienne des institutions sociales et de santé (Acis), qui a financé l'étude de faisabilité, précise notre interlocuteur. Ils étaient très intéressés par la récupération de la chaleur produite, mais ne souhaitaient pas développer eux-mêmes une unité de biométhanisation. L'autre client est une menuiserie locale qui emploie une cinquantaine de personnes.»

A côté de la production d'électricité, susceptible d'alimenter la consommation moyenne annuelle de 1400 familles, la chaleur produite dans l'installation représente en effet l'équivalent de 500 000 litres de mazout par an. Un «trésor» qu'il serait dommage de gaspiller.
Une petite partie de cette énergie thermique sera aussi utilisée pour maintenir à la température adéquate les digesteurs où s'effectuent la décomposition de la matière organique, mais il reste de la marge. «Dans le futur, on pourra peut-être la valoriser dans un petit lotissement d'habitations. Nous avons aussi été approchés pour la production d'algues», complète M.Damay.
La vente de l'électricté produite, quant à elle, a été concédée à la coopérative Cociter qui fait partie du même réseau qu'Ochain-Energie. «L'objectif est que les coopérateurs-producteurs deviennent aussi les consommateurs de cette énergie», résume-t-il.

Les déchets agricoles qui serviront à alimenter la centrale devront provenir d'un rayon de 10 km maximum de l'installation. La part de maïs utilisée sera volontairement limitée à 23 % des apports totaux.

Une bonne acceptation par la population locale

Contrairement à l'habituelle levée de boucliers à laquelle on assiste pour l'installation d'éolienne, l'unité de biométhanisation n'a pas soulevé d'inquiétude majeure parmi les riverains. «Très franchement, dans ce cas-ci, il n'y a pas eu de réflexe Nimby, confirme Grégory Racelle. Seules deux personnes ont fait part de certaines craintes lorsque nous avons introduit la demande urbanistique, tout en soulignant ne pas être contre le projet. Aujourd'hui, certains sont un peu impressionnés par le chantier, mais c'est toujours comme ça avec le changement. Nous ferons tout ce que nous avons promis de faire et tout le monde vivra très bien.»

La coopérative veut en effet faire les choses bien. Les digesteurs et les cuves où sera stockée la matière première servant à les alimenter (fumier, déchets agricoles, tontes de pelouses…) ont ainsi été partiellement enterrés pour se faire le plus discret possible. Afin de minimiser cet impact paysager toujours, des merlons de terre couverts de végétation viendront ceinturer le site. Quant au charroi, il ne devrait pas dépasser trois passages par jour en moyenne. Les nuisances potentielles seront donc minimes. «Tout cela a un coût, mais il faut éviter de répéter les erreurs du passé et de se mettre les gens à dos», insiste Marc Installé.

A terme, l'unité de biométhanisation d'Ochain Energie devrait créer sept emplois directs et indirects.

Une «vraie» énergie verte

Outre ces préoccupations de voisinage, les promoteurs du projet veulent également faire de celui-ci un exemple de production énergétique réellement durable. Les déchets agricoles qui serviront à produire le méthane devront donc provenir d'un rayon de 10 km maximum de l'installation. Une distances portée à 20 km pour la fraction de maïs qui pourra également être utilisée. Un détail qui a toute son importance : cette dernière sera volontairement limitée à 23 % des apports totaux, l'espoir étant de remplacer ce maïs à terme, par des plantes moins gourmandes en eau et qui se développent sur des terres ingrates.
Gregory Racelle se chargera de coordonner ces filières d'approvisionnement. «Pour le maïs, on va fonctionner avec un seul entrepreneur qui travaille pour plusieurs agriculteurs, c'est plus facile. On a convenu d'un prix fixe pour une durée de cinq ans, ce qui leur apporte une certaine sécurité. Pour les résidus, je m'en occupe directement. Il n'y a pas d'échanges financiers, mais un échange de services. Un agriculteur qui nous amène une tonne de déchets recevra une tonne de digestat en contrepartie, que nous irons épandre sur ses champs, par exemple. C'est un peu du 'sur mesure', l'important étant que les deux parties trouvent leur compte dans ce marché.»

S'il perçoit encore certains doutes ou réticences, le jeune agriculteur en est convaincu : la vision de ses collègues sera amenée à évoluer dans les années à venir. Avec des normes d'épandage et de gestion des effluents qui deviennent de plus en plus exigeantes, «ils y trouveront un intérêt». «C'est important de rester ouvert au monde qui change. Notre installation est prête à évoluer. Le monde agricole évoluera.»

De son côté, la coopérative Emissions-Zéro entend elle aussi poursuivre son évolution. A côté de projets de petites centrales hydroélectriques sur la Sambre, elle se montre également disposée à soutenir des installations photovoltaïques de grande taille. Avis aux amateurs ...

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Vidéos:
Christel Lerebourg

Photos:
Johanna De Tessières

Le déchet, une matière noble

Mener à bien un projet de centrale de biométhanisation tel que celui d'Ochain n'est pas une mince affaire, soulignent nos interlocuteurs, eu égard notamment au montant des investissements à consentir. «Dès la conception du projet, il faut mettre un maximum d'atouts de son côté», insiste Marc Installé, administrateur de la coopérative Emissions Zéro.
«Tout d'abord, il faut veiller à la localisation de l'installation», poursuit-il. «Celle-ci doit être bien située et disposer d'une possibilité de valoriser la chaleur produite durant le processus. Ensuite, il faut pouvoir se reposer sur un partenaire agricole solide, qui connaît bien le sujet et ses collègues car il y a un gros travail de persuasion à effectuer. C'est lui qui doit jouer l'interface entre ces agriculteurs et la coopérative. Disposer d'un partenaire industriel qui maîtrise bien les techniques et qui est intéressé par ce créneau est aussi un avantage.»

Parmi les efforts supplémentaires qui pourraient être faits par les pouvoirs publics pour soutenir la filière figure, ici aussi, la délicate question des certificats verts attribués en contrepartie de la production d'électricité renouvelable. «L'enveloppe de certificats verts qui est dédiée à la biomasse est fermée, mais elle est fortement grevée par des projets industriels, comme le projet de grande centrale biomasse dans le Hainaut Occidental (Sibiom) dont le bilan environnemental est à nos yeux fortement contestable», déplore M. Installé. Mais la vraie solution, ajoute-t-il, serait de donner un juste prix aux émissions de CO2, ce qui n'est pas du tout le cas aujourd'hui.
Un autre coup de pouce bienvenu pourrait venir d'une mesure réglementaire.«Aujourd'hui, le digestat qui découle du processus de biométhanisation peut être légalement épandu sur les terres agricoles, mais il est toujours formellement considéré comme un déchet. Cela nous embête un peu. Nous aimerions qu'il soit considéré comme une matière première, comme un produit ou un co-produit qui pourrait entrer dans le circuit commercial. De cette façon, nous pourrions le conditionner en sachets et le vendre comme amendement. Mais pour cela, il faudra une harmonisation au niveau européen.»