Take off,
décollage pour l'école malgré la maladie
La rentrée des classes n’est pas toujours synonyme de rentrée en classe, pour les enfants atteints de maladies graves.
L' ASBL Take Off leur permet de suivre les cours à distance et de vivre l’ambiance de la classe.
En un coup de fil Skype, ils s’assoient virtuellement à côté de leurs camarades.
Reportage
Alexia lève le doigt. "Madame, puis-je aller à la toilette ?" demande la fillette. La question amuse Mme Bronckaert. C'est qu'Alexia pourrait aisément se permettre cette courte absence sans en demander la permission. Elle ne se trouve pas physiquement en classe. Son visage, dont le crâne est recouvert d'un foulard, apparaît virtuellement sur un écran au fond de la classe.
Alexia a 10 ans et est atteinte d'un cancer. Traitements et douleurs l'empêchent de poursuivre sa scolarité normalement. Alors, au lieu de se déplacer à l'école communale de Couthuin, elle se connecte sur Skype et assiste aux cours depuis sa chambre. “Lors des travaux de groupe, ses camarades se mettent près de l’ordinateur, poursuit l’institutrice. C’est comme si elle était là”.
Un ordinateur et une webcam
“Ce n’est pas une prouesse technique. On n’a pas réinventé la roue: un ordinateur et une webcam. C’est simple !”, entame Francesco Amato. Lui, c’est le président de l’ASBL Take Off qu’il a fondée avec deux collègues d’IBM, une fois la retraite entamée. “On s’est demandé ce qu’on pourrait bien faire, quelque chose qui ait du sens”, se remémore-t-il. Leurs compétences en informatique et la visite d’un hopital de Toulouse (France) les amènent à développer ce qui, 13 ans plus tard, est encore un dispositif unique en Belgique francophone. Un ordinateur et une webcam, donc, installés tant chez l’enfant malade (qu’il se trouve chez lui ou à l’hôpital) que dans la classe de l’enfant. “Au besoin, on tire une ligne internet ou on booste la connexion”, ajoute-t-il. Le partenariat de l’asbl avec Proximus, qui finance ce service, est précieux dans des établissements scolaires ne bénéficiant pas tous des facilités de la technologie moderne.
Scolarisation et (re)socialisation
Quand leur disponibilité et leur forme physique le permettent, la centaine d’enfants malades ou victimes d’accidents - dont la pathologie et de moyenne ou longue durée- pris en charge tous les ans par Take off en Belgique francophone appellent leurs copains de classe.
“Je suis souvent un peu angoissé: j’ai peur de ne pas avoir fait tous les devoirs. Mais je suis surtout content”, explique Arthur. À 14 ans, il rentre en 3e secondaire et en est à sa quatrième année de cursus à domicile, en tout ou en partie. “Il a été déscolarisé totalement l’an dernier”, complète sa mère, Isabelle Busch. Monter les escaliers, c’est grimper l’Everest, pour cet ado atteint d’une maladie auto-immune rare. Aller à l’école toute une journée, il l’a tenté et le tentera à nouveau ce lundi de rentrée. “Mais c’est prendre le risque de le payer pendant plusieurs jours après”, poursuit sa maman.
“L’école me manque. À la maison, je tourne parfois en rond. Mine de rien, les cours, c’est pas mal!”
“Je ne voudrais pas que la maladie l’empêche de poursuivre sa scolarité. Les enfants malades font déjà énormément de sacrifices. Si en plus, il y a un décrochage scolaire, ils le vivent mal”, raconte Isabelle Busch.
Pour éviter cela, “le système de Take off permet à l’enfant malade de maintenir le fil du cursus scolaire, motive Francesco Amato. Il préserve ainsi ses chances de réussir son année et facilite sa réintégration une fois guéri.”
“Les enfants ont en commun qu’ils vont à l’école. La scolarité, au-delà des cours et de la réussite, est ultra-importante dans leur vie”, soulève Isabelle Busch. “Il s’y passe bien plus que les cours. C’est un lieu de sociabilisation”, ajoute Francesco Amato. Raison pour laquelle Take Off vise aussi à “briser la solitude” qui peut être corollaire à la maladie. “Garder le contact avec son environnement social habituel – sa famille, ses amis, sa classe – a un impact très positif sur le moral de l'enfant malade et accroît ainsi ses chances de guérison”, avance-t-il.
“Je pense qu’Alexia a puisé dans les cours de la force pour se battre contre la maladie.”
L’analyse est la même du côté d’Arthur et d’Isabelle: “Take Off permet d’amener l’ambiance de la classe dans sa chambre. C’est un moment essentiel qu’il partage avec ses copains et ses professeurs. Les cours rythment et structurent ses journées. Voir ses copains, ça lui donne le moral”, raconte Isabelle Busch. Médecin, elle n’irait pas jusqu’à à dire que cela participe à guérir son fils, mais… “Aucun médicament ne remplace les amis”, glisse-t-elle. “Cela contribue certainement à un mieux-être physique et psychologique. Il retrouve le sourire.” Arthur, lui, se sent redevenir “un élève comme les autres”, dit-il. Et ça, il en est “super-heureux, quoi !”.
Alors, lorsqu’il se connecte depuis sa chambre d’ado, sa mère s’éclipse. “En temps normal, je ne serais pas dans le fond de la classe...C’est un moment qui lui appartient. Même si je l’entends parfois de loin répondre et rire”, s’amuse-t-elle en portant le regard sur son fils, assis à côté d’elle. “Je suis plus à l’aise seul”, commente-t-il, les yeux rivés sur son chien - un autre remède à la solitude.
Enfin, Take Off entend “encourager la solidarité” dans le groupe-classe. “Le contact régulier avec l'enfant absent permet aux élèves de sa classe de mieux comprendre la situation et développer concrètement leur sens de la solidarité et des responsabilités”, analyse le fondateur de l’association.
Quant aux professeurs et aux directions, “même s'il y a parfois des réticences dues au fait qu’ils soient filmés, ils agissent le plus souvent dans l’intérêt de l’enfant”, commente Francesco Amato. Les installations sont plus simples dans l’enseignement primaire. Une caméra suffit puisque tous les cours se donnent dans la même classe et par le même prof. En secondaires, les choses sont plus complexes, mais pas impossibles. “Les profs et la direction se sont arrangés pour que le plus de cours possible se donnent dans la même classe. Chaque semaine, je communique les heures auxquelles Arthur est susceptible de se connecter. Ces horaires sont affichés à côté du tableau, pour que le prof soit au courant, détaille Isabelle Busch. C’est une sacrée organisation mais si on a l’adhésion de la direction et des professeurs, ça fonctionne”.
Des aménagements raisonnables, un droit
Malgré la simplicité de l’installation et l’adhésion des psychologues, pédiatres, équipes enseignantes et familles, Take Off est à ce jour la seule association offrant ce service pour l'enseignement francophone et germanophone en Belgique et, malgré une croissance importante des bénéficiaires ces dernières années, n’a touché “que” un millier d’enfants. L’association prend en charge les coûts liés au matériel, lignes internet, support, installation, helpdesk, etc… Le service est entièrement gratuit pour les familles. “Malheureusement, nous ne sommes pas soutenus financièrement par les pouvoirs publics”, regrette Francesco Amato. Pourtant, dit-il,
“Tout enfant malade devrait pouvoir bénéficier d’une scolarité de qualité. Cela fait partie des aménagements raisonnables”.
À ce titre, “nous devrions être reconnus comme partenaire privilégié de la Fédération Wallonie-Bruxelles” pour prendre en charge tous les enfants malades, estime Francesco Amato.
“On se retrouve souvent démunis, en tant que parent. Les écoles non plus, ne savent pas ce qui existe pour accompagner l’enfant malade.”
Isabelle Busch déplore le manque de solutions structurelles mises en place par les pouvoirs publics.
En Flandre, une association équivalente, Bednet, existe. C’est vers elle que les établissements scolaires se tournent lorsqu’ils sont confrontés à la déscolarisation d’un enfant, une prise en charge “systématique”, précise Isabelle Busch. La scolarité de son fils, depuis quatre ans, fait intervenir un patchwork d’acteurs : pour les cours qu’il ne sait pas suivre via Take off, il est accompagné par des profs de l’école à domicile. Ceux-ci ne donnent cependant pas les cours à options. “Arthur veut faire les sciences fortes. On a trouvé un prof particulier… mais comment font les parents qui manquent de moyens ?”
Vidéo : Valentine Van Vyve
Photo : Marie Russillo
Une Asbl en pleine mutation
- Bénévoles et employés. À ce jour, dix personnes travaillent pour Take Off, dont 7 bénévoles et seulement 3 employés, les techniciens engagés à leur sortie de l’école.
- Des fonds privés. Fonctionnant grâce à des fonds privés, l’Asbl est aussi – “fort heureusement” – soutenue par la Fondation Roi Baudouin, via son fonds Venture-philanthropy. Ce suivi lui a permis d’entamer sa mue et de se professionnaliser.
- Un droit pour tous. L’objectif est d’élargir la base des bénéficiaires, pour que “de manière utopique”, tous les enfants atteints de maladies graves ou victimes d’accidents les éloignant de l’école puissent poursuivre leur scolarité.