« Demain » est arrivé près de chez vous

Pour l'équipe de Tandem local, l'alimentation et la consommation locale sont au cœur de la transformation de nos sociétés.
La Belgique fourmille d'initiatives dans ce sens.

Les jeunes se mobilisent pour montrer que le changement est en route, du Condroz à l'Alaska...

Reportage 

Gilles Toussaint

Pied à terre. Le ciel hésite entre soleil et crachin en ce mardi matin. Il finira par basculer du bon côté de la force. Dans la cour de la Ferme de Froidefontaine, Ludovic et François procèdent au rituel du déchargement des sacoches et des remorques arrimées à leurs vaillants vélos à assistance électrique.

Depuis le 15 juillet, les deux amis et leurs partenaires du projet Tandem local sillonnent la Belgique par étapes. Objectif : aller à la rencontre des producteurs locaux et des initiatives citoyennes qui voient le jour un peu partout dans le pays pour réaliser un documentaire à la manière de « Demain ».

Un itinéraire qui se dessine très largement au feeling des rencontres et du bouche-à-oreille, sourient-ils. « On y va au jour le jour. On contacte les producteurs un peu au débotté et ils nous acceptent ainsi. Cela laisse de la place à la découverte et tout se passe super bien jusqu’ici. »

« Notre but est d’inspirer le grand public, en les informant sur le 'Pourquoi est-il nécessaire de consommer local/développer l’économie locale aujourd’hui en Belgique ?' »
L'équipe de Tandem local

L’idée a germé l’an dernier dans la tête de Ludovic Bollette. « C’est né d’un ras-le-bol, raconte le jeune entrepreneur par ailleurs créateur de l’application « Mangez local ». Dans le cadre du mouvement La Reid en transition, on a diffusé une série de films qui montrent les changements en cours un peu partout. Ce sont tout le temps des histoires de tour du monde où les gens partent voir ce qui se fait à l’étranger. On y montre aussi en permanence des personnalités connues, des philosophes, des écrivains, etc. Je me suis dit que si l’on voulait vraiment toucher les gens chez nous, ce serait peut-être mieux de se centrer sur ce qui bouge vraiment ici et de le montrer. »

Ludovic et François sillonnent la Belgique durant tout l'été.

Ludovic et François sillonnent la Belgique durant tout l'été.

Ludovic et François sillonnent la Belgique durant tout l'été.

Une équipe de bénévoles

Il s’en ouvre à quelques connaissances, parmi lesquelles François Legrand, vidéaste chez Permavenir - que les nombreux fans du site d’info militant J-Terre (qu’il a cofondé) connaissent bien - , ainsi qu’à Laura Krsmanovic, responsable de projet au sein de l’association Miimosa. En 24 heures et quelques coups de fil, l’équipe, entièrement composée de bénévoles, était sur pied.

Pour se lancer, celle-ci reçoit un coup de pouce d’un marchand de vélos qui lui prête de jolies « e-montures » et d’un magasin d’articles de randonnée qui offre les sacoches permettant de transporter les équipements nécessaires à la réalisation du projet.

Alternant une dizaine de tournages et trois ou quatre jours de repos, le choix de se déplacer à vélo, outre la motivation écologique, répond aussi au souhait de découvrir les beautés méconnues de la Belgique. « Et de rappeler aux gens qu’il ne faut pas forcément partir en vacances au bout du monde », précise Ludovic.

La révolution commence
dans l’assiette

Si la production agricole et alimentaire se trouve au cœur de cette démarche, ce n’est pas tout à fait par hasard. « Les problèmes climatiques sont complètement liés à notre façon de consommer et à notre nourriture. La révolution commence dans l’assiette. C’est la base de tout », explique François.

Par ce biais, ils entendent montrer que les multiples initiatives qui voient le jour aujourd’hui – groupe d’achats commun pour favoriser les circuits courts, coopérative associant producteurs et consommateurs, monnaie locale … - constituent l’embryon d’un autre modèle économique qui peut se bâtir à partir de l’alimentation. « Cela touche aussi à l’éducation, à la santé, au social et à l’humain », complète François. « J’espère que l’on va contribuer à libérer les esprits et que les gens vont se battre un peu pour tout cela », enchaîne Ludovic.

Comme Claire, la stagiaire en journalisme française qui a choisi de se joindre à l’aventure pour expérimenter cette pratique immersive du « slow journalisme », tous sont positivement impressionnés par leurs diverses rencontres. « Je suis surprise de voir au quotidien toutes la vague d’initiatives qui émerge », confie la jeune femme.

« Tous les gens actifs dans la transition écologique n’ont pas beaucoup de moyens financiers alors que c’est l’avenir, quoi ! Ils ne sont pas encouragés, c’est le système économique qui bloque »
Ludovic Bollette

« Le point commun de tous les producteurs rencontrés, c’est, qu’ils gagnent leur vie ou pas, qu'ils sont tous passionnés. Tous ont l’air heureux, même si c’est économiquement difficile », observe François, expliquant avoir été également frappé par les liens très forts qui unissent les enfants et les parents engagés dans certains projets d’habitats groupés et de production agricole.

Pour que de telles démarches se multiplient, les pouvoirs publics devraient mettre en place des politiques d’encouragement, souligne l’équipe de Tandem local. « Ils pourraient, par exemple, rééquilibrer les moyens alloués dans le cadre de la Politique agricole commune, qui restent aujourd’hui largement favorables aux grosses exploitations. Ils pourraient aussi mettre de l’ordre dans les labels et favoriser le vrai bio et les produits transformés composés uniquement d’aliments belges », suggère Ludovic.

Et de s’interroger dans la foulée : « D’ailleurs pourquoi est-ce que ce sont ceux qui font des bons produits qui doivent payer pour avoir un label ? Pourquoi n’est-ce pas l’inverse ? Ceux qui empoisonnent la planète devraient payer pour avoir une tête de mort sur leurs emballages, ce serait quand même plus logique. »

La ferme de Froidefontaine,
une pépinière d’entreprises rurales

De hauts bâtiments en pierres du pays, une tour carrée qui ouvre sur une cour verdoyante… Nichée au coeur du Condroz, sur la commune de Havelange, la Ferme de Froidefontaine ne manque pas de charme. L’ancienne ferme, devrait-on dire, puisque les agriculteurs qui ont longtemps occupé les lieux ont aujourd’hui cédé la place à d’autres types d’entrepreneurs.

« Nous avons choisi d’y créer une pépinière d’entreprises à la campagne. L’idée est de regrouper des personnes qui ont un projet dans l’agriculture, l’artisanat et la transformation alimentaire avec un pré-requis écologique », explique Nicolas Bekaert, l’une des chevilles ouvrières du projet avec Alexis de Liedekerke (le propriétaire du site) et Gaëtan Seny. Le lien à la terre n’a donc pas été complètement coupé.

« Nous offrons un cadre qui tente de les aider à répondre aux difficultés qu’un entrepreneur rencontre quand il s’engage dans ce milieu-là : l’accès à la terre (la ferme dispose de 45 ha), le financement, l’isolement en milieu rural, etc. Nous essayons de créer un esprit collectif avec des interactions entre les acteurs. En les regroupant, nous faisons le pari de la mutualisation. À terme, quand ils seront quinze ou vingt on devrait pouvoir mutualiser tous les volets communs : l’identité commerciale, une partie de la main-d’oeuvre, certaines infrastructures, l’accès au marché, les livraisons... C’est aussi le pari de la diversité. »

Six projets en place

Six projets sont actuellement installés sur la ferme qui offre aussi des activités annexes comme des ateliers de formation ou de team building, la location d’un gîte et d’une yourte : une cidrerie artisanale, deux maraîchers, un producteur de pommes de terre et de fourrage qui va bientôt développer la culture de légumes bio, un éleveur de volailles en poulaillers mobiles et une fabricante de couleurs et d’aquarelles naturelles. «Et trois autres vont bientôt nous rejoindre, se réjouit Nicolas Bekaert. Un producteur de bonbons bio à base de petits fruits, un atelier de formation à la construction écologique où des étudiants vont apprendre à construire une « tiny house » sur une année scolaire et un apiculteur qui travaille sur la conservation de l’abeille noire et qui veut faire de la sensibilisation en construisant des ruches kényanes que des particuliers pourront prendre en dépôt dans leur jardin. »

Passer du hobby à l'activité économique viable

Lancée il y a quelques années grâce au soutien de la famille de Liedekerke, la Cidrerie du Condroz est parfaitement en harmonie avec la philosophie des lieux. « Le projet créé par Roger Divan et Cédric Guillaume a acquis une certaine renommée et était arrivé à la croisée des chemins. On n’arrivait plus à répondre à la demande, explique Adrien Pestiaux, qui a repris la gérance de la coopérative il y a quelques mois. Notre but est de passer ce cap et de rendre l’activité viable économiquement tout en restant en plein accord avec les valeurs fondatrices. Nous voulons rester totalement artisanaux, ce qui veut notamment dire que nous travaillons avec pas mal de restaurants ou de revendeurs locaux mais pas avec la grande distribution. Nous avons passé notre été à chercher des fournisseurs et à créer de nouveaux partenariats pour replanter des vergers haute tige de variétés locales qui ont quasiment disparu depuis 50 ans », illustre le jeune homme.

Un peu à l’écart dans son atelier, Anne-Sylvie Godeau fait bouillir des fleurs de solidage du Canada récoltées le long de la Meuse. Celles-ci lui serviront à produire les couleurs qu’elle vend à des artistes belges et étrangers sous la marque Lutea. Installée dans le Brabant wallon, elle a déménagé dans le Condroz car elle cherchait « un espace où il y avait d’autres entrepreneurs, afin d’avoir plus de vie autour de moi, d’être dans une communauté d’échanges. Je voulais aussi disposer d’un lieu où je peux cultiver les plantes que j’utilise à côté de mon atelier de transformation. »
Petit à petit, « l’ écosystème » entrepreneurial souhaité par les gestionnaires de la ferme semble donc prendre racine.

Financer le montage du film

« Aujourd’hui, ceux qui créent des toilettes sèches ou des citernes d’eau de pluie, on veut les taxer au lieu de les encourager », surenchérit François. « Il est temps de comprendre que le minimalisme, la décroissance, consommer moins et mieux sont déjà des vraies pistes de solutions. »

Il est bientôt midi et l’équipe sort son drone pour prendre quelques images depuis le ciel. Elle sera bientôt rejointe par la jeune militante pour le climat Adélaïde Charlier, qui s’apprête à enfourcher son vélo pour rallier Havelange depuis la gare de Ciney.

Le périple de Tandem local prendra fin le 22 septembre. Il faudra alors entamer le montage du documentaire et faire les choix toujours douloureux dans les heures de rushes accumulées.

Et trouver de nouveaux moyens financiers via un crowdfunding ou un mécénat pour boucler un film qui parlera assurément de lien à la terre, mais aussi beaucoup de liens entre les humains.

Vidéo : Jean-Christophe Guillaume et Gilles Toussaint
Photos : Jean-Christophe Guillaume

Voyager autrement pour vivre différemment

Cela faisait près de dix ans que Delphine Casimir et Quentin Carbonnelle travaillaient, l’une dans la communication digitale, l’autre dans le secteur de l’audiovisuel. Deux métiers sédentaires pour lesquels ces jeunes trentenaires étaient la plupart du temps, vissés à leur écran d’ordinateur. “On s’est demandé si ce choix-là allait rythmer notre vie jusqu’à la pension”, se souvient Delphine Casimir. Le couple répond par la négative et décide de tout lâcher et de voyager pendant une année.

Animés par l’envie de découvertes, de se reconnecter à la nature et de se former à des compétences manuelles (“réparer, fabriquer, cultiver”), ils mettent le cap vers l’Islande d’abord avant de poursuivre vers l’ouest. Au Canada, ils bourlinguent dans des fermes agricoles de la Colombie Britannique en y faisant du Wwoofing (un système dans lequel ils troquent leur force de travail en échange du gîte et du couvert). “Nous avions à cœur d’aller à la rencontre des gens”, précise Delphine Casimir.

Un documentaire pour essaimer

Ces rencontres, ils les ont compilées dans un documentaire (“Vivre autrement, road to Alaska”) dont le fil rouge est précisément de “montrer qu’il est possible de vivre autrement”. Leurs interlocuteurs ont fait le choix de se reconnecter à la terre, de ralentir leur rythme de vie, d’avoir la mainmise sur leurs décisions, de réaliser leurs rêves. “Quand on est jeune, on réfléchit peu à ce qui correspond à nos réels besoins. On entre très vite dans un moule duquel il est difficile de sortir. On voulait montrer que d’autres choix sont possibles, soulève la jeune femme. En même temps, on voulait aussi montrer que ce n’est pas facile de changer de vie : cela demande du courage, des ressources et de la patience. Il est cependant important de se questionner sur ses envies et ses rêves et de mettre des choses en place pour y arriver.” C’est d’autant plus le cas, pense-t-elle, de la génération Y mue par la quête de sens.

Ce conseil, Quentin se l’est appliqué à lui-même en opérant une reconversion professionnelle : il suit une formation par le travail en menuiserie. Delphine a quant à elle “du mal à lâcher un mode de vie qui ne lui convient pas” et travaille dans le monde du voyage… avant de repartir. Ce sera pour janvier 2020.

En attendant, le couple a quitté Bruxelles pour s’installer à la campagne, a modifié son mode de consommation en privilégiant les circuits courts et en cultivant son propre potager.

Le documentaire, Delphine Casimir le considère comme un moyen de “faire passer un message positif”, partager leur expérience, susciter la réflexion sur les choix et les projets et inciter à les mettre à exécution.

Retrouvez plus d'infos sur les projections via la page Facebook du projet : https://www.facebook.com/goexplore2016/