Solidare-it, rendre service
en un clic!

©Ennio Cameriere

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La plateforme Solidare-it connecte ceux qui ont besoin d'un service et ceux qui le rendent.
Elle permet ainsi à quiconque d’offrir un peu de son temps à un inconnu, en fonction des besoins des uns et de la disponibilité des autres.

Reportage 

Anne Lebessi

« Je suis venue donner un coup de main! », annonce Eulalie. Clos des Lauriers Roses à Evere, jeudi matin, c’est jour de permanence au numéro 61. Le lieu, auquel on accède par les jardins de la cité, accueille les activités de plusieurs associations d’aide de proximité locales. Il est dix heures passées, par une journée d’été ensoleillée, lorsqu’une nouvelle tête se montre dans l’entrée.
Eulalie, retraitée, souhaite s’inscrire comme bénévole dans le cadre du projet 3 Zen âge. Cette initiative, développée par Sophie Rosmant, la coordinatrice de projet du logement social everois, se soucie de ce que les personnes âgées vivent entourées, grâce à leurs voisins. « Vous pouvez m’appeler Ninie, » propose Eulalie. Sophie Rosmant, heureuse de l’accueillir dans l’équipe, lui suggère de s’installer à une table devant l’entrée, face au jardin, afin de procéder à son inscription et de voir avec elle quelles activités lui conviendraient.

Eulalie n’en est pas à son coup d’essai. Depuis sa retraite, elle a été bénévole en école de devoir. « On me donnait les enfants les plus difficiles, se souvient-elle. Parce que je suis patiente… Mais aujourd’hui je me dis aussi que je pourrais tenir compagnie à quelqu’un du quartier. C’est ma voisine de jardin qui m’a parlé de cette permanence. » Elle donnera de son temps « le jeudi, seulement… C’est le seul jour où je suis libre, en fait! »

Offrir un peu de son temps

Mme Rosmant fera office de messagère entre Eulalie et son futur binôme de compagnie et fera coïncider leurs agendas. Pour se faciliter la tâche, elle utilise Solidare-it. Cette plateforme en ligne crée par Gilles Vander Borght et ses collaborateurs permet aux associations — mais aussi aux entreprises et aux particuliers — d’échanger offres et demandes de services gratuits de manière locale ou plus étendue, sur le territoire belge et néerlandais.

Elle permet ainsi à quiconque d’offrir un peu de son temps et rendre service à un inconnu, en fonction des besoins des uns et de la disponibilité des autres.

Si bien qu’aujourd’hui, la plateforme en ligne est devenu un outil indispensable pour les associations d’entraide de quartier.

Le fonctionnement est simple et intuitif : les utilisateurs s’y créent un profil en ligne et proposent au choix un objet à donner, un service à offrir ou, dans l’autre sens, publient une demande spécifique. L’annonce est classée géographiquement, par date et par thème, de manière à favoriser les affinités.

Pour Gilles Vander Borght, hypnothérapeuthe, manager chez Sodexo en journée, la philanthropie est une valeur négligée qu’il serait bon de remettre au goût du jour un peu partout. « Cela rend heureux et renforce les liens », explique-t-il simplement.

« Il n’y a pas de business model, à part celui de créer du bonheur. »
Gilles Vander Borght, fondateur de Solidare-it

En effet, pas de création de valeur au sens monétaire du terme, puisque tout est gratuit sur Solidare-it.

Une plateforme pour faciliter l’entraide

Pour les bénévoles ou coordinateurs d’associations d’entraide qui le souhaitent, le jeudi matin est l’occasion de venir s’initier à la plateforme Solidare-it, sous les indications et le regard attentif de Femke Muylaert. Cette chargée de projet de l’association Pens(i)onsQuartier (Buurtpensioen) tient également sa permanence, au numéro 61, ce matin. En attendant l’arrivée de bénévoles de son réseau, Mme Muylaert prend le temps d’expliquer ce que la platerforme a changé pour Pens(i)onsQuartier, son réseau d’entraide entre voisins décliné en antennes locales dans différents coins de la capitale.

©Ennio Cameriere

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Avant d’utiliser Solidare-it, les échanges et mises en contact entre antennes de quartier reposaient presqu’essentiellement sur la mémoire des coordinateurs, se souvient-elle. Lors d’une demande précise par un riverain, le coordinateur retrouvait sur son fichier Excel qui, dans le voisinage, lui avait parlé d’une offre correspondante. Femke Muylaert se rappelle qu’à l’époque, si une collègue était absente ce jour-là, un rendez-vous entre inscrits pouvait être manqué. Et cela, alors même que l’un vit à quelques centaines de mètres et aurait pu venir dépanner sans souci.

« Non seulement la digitalisation se fait de toute façon partout dans la société. Mais surtout, aujourd’hui, tout le monde chez Buurtpensioen se sert de Solidare-it. Tout le monde dans chaque antenne peut savoir clairement qui est dans le projet et quels liens peuvent être faits. Les échanges sont enregistrés. De plus, comme la plateforme n’est pas seulement utilisée par Buurtpensioen mais aussi par une série d’autres personnes et associations qui font des offres et des demandes, des liens peuvent être faits avec des personnes en dehors du réseau. »

Une plateforme belge pour philanthropes

Il y a trois ans, poussés par un élan altruiste, Gilles Vander Borght et ses collaborateurs ont créé Solidare-it. Pour l’instant, la plateforme profite en premier lieu à des associations. 1000Bxlentransition, par exemple, y propose d’organiser un marché gratuit dans le centre-ville ou recherche des réparateurs pour son Repair café. Quartier solidaire de Schaarbeek y propose des ateliers pour enfants. Des membres du SEL d’Etterbeek l’utilisent pour communiquer; ou encore, PensionsQuartier y poste ce message pour aider une utilisatrice « déconnectée » : « Je ne peux plus porter mon panier à linge. Quelqu’un peut-il m’aider deux fois par mois, en semaine? »

Plaidoyer pour l'altruisme

Ce père de quatre enfants a il y a quelques années ressenti le besoin de rationaliser l’altruisme de manière fonctionnelle. « Tout a commencé avec la lecture de Plaidoyer pour l’altruisme (de Matthieu Ricard, moine bouddhiste disciple du dalaï lama, NdlR). Je me suis demandé ce que moi je pourrais faire pour être dans un mouvement qui soit plus solidaire. Or, j’ai un travail à plein temps, quatre enfants, une vie sociale, … Il était par exemple exclu que je m’engage à aller tous les mardis dans une école des devoirs. Ce n’aurait pas été possible: des imprévus allaient tomber pour ma propre famille ou des échéances pour le travail. Non. Mon idée a été de me dire: si je pouvais aider mon voisin sur des choses ponctuelles quand j’en ai la possibilité, cela serait idéal. L’idée de Solidare-it est celle-ci : je vais aider quand ça me convient, quand j’ai le temps, à côté de chez moi. »

D’où lui vient cet appétit tenace pour les œuvres désintéressées? « Lorsqu’on essaie de se souvenir de quelque chose d’agréable (faites l’exercice) lors des dernières semaines ou les derniers mois, le souvenir aura souvent un rapport avec un échange qu’on a eu avec quelqu’un. Une conversation, un service. »
« Des études ont prouvé que lorsqu’on propose à des gens de faire quelque chose gratuitement, s’ils sont engagés dans la démarche, ils auront tendance à revenir. Tandis que s’ils avaient été payés, pas forcément. Si une association vous proposait de venir après votre travail récolter des détritus sur la plage, pour quelques euros de l’heure, vous le feriez une fois mais peut-être pas deux. Par contre, si dans le cadre d’une grande journée de collecte, vous vous retrouviez avec d’autres participants qui partagent vos valeurs, l’expérience serait tout autre. Vous seriez beaucoup plus enclin à revenir. »

La gratuité, gage d’engagement

Pour encourager les inscriptions, Solidare-it lance ponctuellement des campagnes locales, comme à Jette dernièrement. « Nous sommes loin d’avoir un nombre suffisant de personnes pour rendre le système hyper pratique et convivial » avoue Gilles Vander Borght. Pourtant, l’actualité semble encourager sa démarche. « Depuis une petite année, on ressent que les mouvements citoyens sont en train de décoller. Tout cela démarre aujourd’hui surtout avec une conscience de la problématique écologique » Pour ce père de famille, Solidare-it entend participer à organiser une partie de ces flux.

Se familiariser à l’informatique

Eulalie n’utilise pas d’ordinateur. Elle n’en possède pas. Solidare-it pourrait-il être un moyen de familiariser à son usage ? « C’est l’idée à long terme. Tout à fait dans ce principe d’empowerment, répond Femke Muylaert. Mais on voit non seulement que certains n’ont pas d’ordinateur mais que d’autres ne savent pas lire, ou n’osent pas aller vers les gens d’eux-mêmes. Certains ne savent parfois même pas quels sont leurs besoins. » Ces personnes fragilisées ne sachant actuellement pas accéder seules au réseau solidaire, « nous sommes cette étape entre les deux, pour qu’ils puissent profiter des connexions offertes par Solidare-it, eux aussi ». 

Photos : Ennio Cameriere
Vidéo : Valentine Van Vyve

De mai 68 à aujourd'hui

En mai 68, déjà, le slogan « Parlez à vos voisins » avait fleuri sur les murs de Paris. Plus d’un demi siècle après, dans les grandes villes d’abord, des initiatives émergent toujours dans ce sens. À Los Angeles où la solitude touche toutes les classes sociales, par exemple, l’application People Walker permet de rencontrer une personne « fiable » le temps d’une promenade. Un succès.

Chez nous, Hoplr, une application lancée en association avec certaines communes de Belgique permet de parler à ses voisins, comme on le ferait sur un groupe Facebook, d’organiser des fêtes de quartier, de proposer de revendre un lave-linge à bas prix pour en faire profiter un habitant du coin.

Mais comme M. Vander Borcht le rappelle, même si la rencontre entre personnes du même quartier est une composante essentielle de son projet, sur Solidare-it, c’est le service gratuit et l’altruisme qui priment. « De toute façon, toutes ces applications sont complémentaires, il n’y en a pas une meilleure qu’une autre. »