Une grainothèque
pour faire germer
la cohésion sociale

©VVVY

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Une banque de graines a été installée dans un quartier de logements sociaux de Woluwe-Saint-Lambert.
Elle poursuit un objectif pédagogique et de cohésion entre les habitants de cette commune bruxelloise.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Ça n’a l’air de rien, ou de pas grand-chose : une table haute sur laquelle est posée une boîte en bois. Dans celle-ci, une série de sachets de papier renferment des milliers de graines de moutarde, courgette et plantes aromatiques.
Ça n’a l’air de rien, et pourtant...

Dans le local PCS de Woluwe-Saint-Lambert, une dizaine d’enfants jouent à des jeux de société, en cet après-midi de vacances estivales. « L’un des premiers projets de cohésion sociale que nous avons lancés, c’est la ludothèque », retrace Isabelle Boniver, coordinatrice de l’ASBL Wolu-Services qui mène des projets collectifs et communautaires pour et avec les habitants des logements sociaux de plusieurs quartiers de la commune. Le local qu’a mis à sa disposition la Société Immobilière de Service Public (SISP) Habitat Moderne lui garantit un accès direct à la population puisqu’il fait partie intégrante de la dynamique de quartier, étant situé au cœur des 800 unités de logements sociaux de Hof-ten-Berg, « un quartier excentré et relativement isolé, dépourvu de commerce de proximité », précise Isabelle Boniver.

Le nombre d’habitants qui les occupent est en croissance, constate Eric Bott. L’échevin de la jeunesse et président de l’asbl explique qu’« avec l’arrivée de familles nombreuses (dont une importante proportion de femmes seules avec enfants) et d’une population jeune (50% des habitants ont moins de 18 ans), nous nous sommes demandé quelles solutions nous pourrions mettre en place pour leur donner des opportunités de loisirs en même temps que d’assurer un meilleur vivre ensemble », se souvient-il.

Après avoir analysé les besoins de terrain et écouté la population, une antenne jeunesse est mise en place et accueille rapidement l’école des devoirs et la ludothèque. Plus tard, la commune décide de mettre à profit un vaste espace vert qui deviendra une ferme urbaine et pédagogique.

Planter une graine

Les abeilles pollinisent les arbres fruitiers ; les poules fournissent des œufs notamment pour les enfants qui y suivent un stage ; ceux-ci y ont récemment planté des graines de courges. « Ce qui y est produit est utilisé pour les projets collectifs », précise Isabelle Boniver. C’est de là aussi que proviennent les premières graines de la grainothèque.

« Une grainothèque est un système d’échange de graines où chacun peut déposer, prendre ou échanger des graines, librement et gratuitement. »
Isabelle Boniver, coordinatrice de l'asbl Wolu-Services

Elle a une double vocation pédagogique et environnementale d’une part, et sociale de l’autre. « Sur le plan environnemental, ce projet est un moyen de développer la biodiversité en milieu urbain », motive Eric Bott. On trouve dès lors davantage de graines de plantes aromatiques afin de « s’adapter à la réalité du bâti. Puisque la plupart des habitants ne disposent que d’un balcon», insiste Isabelle Boniver. Bientôt, des formations de culture sur petites surfaces seront proposées à l’attention des locataires des logements sociaux. « Ce projet permet de transmettre des savoir-faire et de sensibiliser au développement durable. »

« C’est important d’éveiller cette conscience écologique et d’alimentation saine et bio auprès d’une population qui a souvent, du fait de la précarité financière, d’autres préoccupations. »
Isabelle Boniver

Les graines, au même titre que l’ensemble des activités organisées ici, sont un « prétexte à la rencontre », dont l’objectif ultime est de favoriser la cohésion entre les habitants des quartiers de logements sociaux d’abord, mais pas seulement. « Le public cible, ce sont les habitants des quelque 2 650 unités de logements sociaux des quartiers de Hof-ten-Berg, Andromède et Malou, explique Isabelle Boniver. Mais nous acceptons ceux qui n’y vivent pas. » Une manière de favoriser davantage encore la mixité sociale et les échanges intergénérationnels dans l’entièreté d’une commune que d’aucuns considèrent souvent comme aisée. « Ce genre d’initiative permet de ne pas se replier sur soi et chez soi, d’inciter au dialogue entre personnes de cultures, d'origines et d'âges différents », insiste la coordinatrice de l’asbl.

« Ces projets de cohésion sociale constituent un outil pour aller chercher les personnes marginalisées
Isabelle Boniver

« La déstructuration sociale (précarité – désinsertion – absence de repères – perte de liens sociaux ) présente dans les quartiers de logements sociaux est la base de notre motivation. »

S'ancrer avec fierté dans les quartiers


La grainothèque a récemment fait son apparition à côté des activités sportives, des ateliers de cuisine, du café tricot, de la ludothèque et de la ferme urbaine. Tous ces projets collectifs et communautaires participent à assurer un meilleur vivre ensemble dans les quartiers de logements sociaux de Woluwe-Saint-Lambert. « Ils constituent 12 % du patrimoine de la commune, soit trois pourcents et demi de plus que la moyenne à Bruxelles », soulève Eric Bott, échevin de la jeunesse et président de l’asbl Wolu-services.

Participation et qualité de vie

À Hof-ten-Berg comme à Malou ou Andromède, la diversité des profils socioculturels est grande. Le défi de la cohésion entre les habitants est donc important. Animée par « l’intime conviction que la qualité de vie dans les logements sociaux est corrélée à la participation des locataires » et que ces projets « favorisent le renforcement du lien social et des solidarités », la Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB) assure le financement quinquennal de projets participatifs, communautaires et de cohésion sociale. Ces projets contribuent à assurer aux individus « l’amélioration de leur bien-être, afin de permettre à chacun de participer activement à la vie au sein de son quartier et d’y être reconnu.»

Puisqu’ils visent à asseoir le positionnement des habitants comme «acteurs dans la vie de la cité », ces projets de cohésion sociale ont la particularité d’être pensés, créés et gérés de manière collaborative entre ces habitants et le personnel de Wolu-Services. Dans le cadre de la grainothèque, par exemple, ils «participent de manière active à l’embellissement de leur quartier ». Ce projet, le dernier venu, a cependant germé dans la tête d’Eric Bott, après avoir découvert le concept en Bretagne.

Certes, la « prise d’initiative reste laborieuse » et rallier du monde autour d’un projet collectif et communautaire « prend du temps », de l’aveu de nos interlocuteurs.

« Il y avait une conscience des besoins de la collectivité, de l’importance des relations, de l’importance de la mise en commun des ressources; mais concrètement, il n’y avait pas nécessairement l’énergie pour se mettre en mouvement, se souvient Isabelle Boniver. Par manque de motivation, par peur de se mettre sur la sellette ou plus souvent, à cause de la lourdeur de la précarité du quotidien.»

Optimiste, la coordinatrice de Wolu-Services observe cependant que « nous grandissons petit à petit et les projets évoluent avec le temps et l’implication des gens ».

Enfin, les projets collectifs et communautaires permettraient, outre d’améliorer la qualité de vie au quotidien de leurs habitants, de donner une meilleure image de quartiers qui “n’ont pas toujours bonne réputation et où il il y a un sentiment d’insécurité », soulève M. Bott. Selon Isabelle Boniver ils sont autant de manières pour les habitants d’être « reconnus dans leur lieu et dans leur histoire de vie, d’assurer leur ancrage. C’est une fierté. »

« Les enfants éduquent leurs parents »

« Nous nous adressons particulièrement aux enfants, car ce sont souvent eux qui éduquent leurs parents, notamment car nombreux d’entre eux ne parlent pas le français », précise Eric Bott. Mais l’espoir qu'il nourrit est celui d’éveiller l’intérêt de l'ensemble des habitants pour l'agriculture urbaine. Et de voir les adultes, surtout, s’impliquer dans la gestion collective du potager de la ferme. Où ils cultiveront les légumes « et les liens ».

« Ces projets de cohésion sociale constituent un outil pour aller chercher les personnes marginalisées. »
Isabelle Boniver.

Ce « petit projet » réalise en fait la quadrature du cercle : « Il rassemble les deux socles que sont la ferme et la ludothèque puisqu’il cueille les graines dans l’un pour les distribuer dans l’autre. » Une histoire de « convergence ». Entre les gens et les projets.

Vidéo et photos : Valentine Van Vyve