L'abbaye de Villers
ajoute sa pierre
à l'édifice de la durabilité

©Ennio Cameriere

©Ennio Cameriere

Acteur économique, lieu culturel et spirituel, l'abbaye cistercienne de Villers entend contribuer aux enjeux du développement durable.
Une démarche inscrite dans l'ADN de ce monument construit au XIIe siècle.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Le site de l’abbaye de Villers s’étend sur quelques 8 hectares. Elle a été construite en 1146 au cœur du Brabant Wallon. Les moines cisterciens y valorisaient les espaces verts, l’eau et la pierre. En 2019, les dirigeants de ce lieu devenu site historique, culturel et spirituel en plus d’être un acteur économique, ont décidé de s’inscrire dans une gestion durable de l’abbaye. Une vision qui redonne ses lettres de noblesse à l’eau et la pierre, au même titre qu'au vivant…

Comme l’entend le concept de développement durable, celui-ci s’articule autour de trois axes : social, économique et environnemental. « Le défi est de trouver un équilibre entre ces tris piliers de telle manière à ne pas favoriser l’un au détriment d’un autre », commente le directeur du site, qui  croise les paramètres pour illustrer la complexité de la tâche qu’il s’est fixée : « Quand on parle d’économie et d’environnement, on parle de viabilité. Quand on parle de social et d’environnemental, on parle de ce qui est vivable. Quand on lie le social et l’économie, on parle d’équité. »

La Thyle, les abeilles et les lombrics

À côté de l’ancien moulin qui fait office de bureau et de centre d’accueil des visiteurs, une roue hydraulique, autrefois utilisée pour moudre le grain, a été réhabilitée. Aujourd’hui, le courant de La Thyle permet de produire entre 15 000 et 25 000 kWh par an, soit 30% de l’électricité consommée dans ce bâtiment. « Pour le reste, nous nous fournissons en électricité verte », ajoute M. Fautré, tout en précisant les efforts qui ont été réalisés au niveau du système d’éclairage (doté de capteurs de mouvements). 

Le chemin étroit qui mène vers l’abbaye est bordé de rosiers. Il y en a 250 espèces, chacune se référant à une date marquante du développement du site. En amont, des fleurs sauvages poussent sur la vaste plaine où paissent, au sortir de l’hiver, des moutons et des chevaux Skyros. « Une façon d’entretenir la zone tout en perpétuant la vocation agricole et pastorale du site depuis le Moyen-Âge », souligne Patrick Fautré. Plusieurs hôtels à insectes ont été installés, une attention particulière est donnée aux chauves-souris des sous-sols et aux trois grands-ducs habitants sous la voûte de l’abbaye.

« Ces initiatives participent à la conservation de la biodiversité et offrent une dimension historique et pédagogique.»

Les ruches installées en haut de la plaine, au même titre que le conservatoire de houblon, celui de vignes et le jardin de plantes médicinales de prévention contre le cancer poursuivent ce double objectif. « Environ 4 000 élèves visitent le site tous les ans », estime son directeur. « Il y a une réelle volonté de développer l’aspect didactique et de s’inscrire dans une démarche pédagogique. » 

Ce qui ressemble à une simple poubelle de plastique verte est en fait un précieux écrin. Plongés dans la pénombre du compartiment supérieur, des lombrics travaillent d’arche pied.

« Ils transforment les déchets ménagers en compost », explique Guillaume de Vuyst. Ce lombricompost transforme ainsi les deux kilos de déchets journaliers en un kilo d’engrais végétal. Le projet est actuellement dans sa phase pilote et ne traite que les déchets propres au site. « Quand il sera tout à fait opérationnel, l’objectif est de traiter les déchets des habitants de la localité et d’ainsi augmenter les volumes de déchets ménagers à 10 kilos journaliers », anticipe cet employé du service technique. En tout état de cause, il « rencontre pleinement les trois piliers environnemental, social et économique », juge Patrick Fautré. « Il assure une gestion circulaire des déchets-resources ; il entend intégrer les habitants des alentours; il fournit du compost pour la revente et les plantes du site. »

Car à quelques mètres de là, sous une serre de 140 m2, une équipe de jardiniers s'occupe des semis à repiquer en pot puis destinés à la plantation sur le site de l’abbaye. « On fonctionne dans un système d’autarcie pour les cinq jardins, précise Guillaume de Vuyst. Cela permet des économies. » D’eau, aussi, puisque ces jardins sont arrosés notamment avec de l’eau de pluie.

Vieille de presque 900 ans, l’abbaye de Villers nécessite une manutention constante. Par souci environnemental, ses jardiniers n’utilisent plus aucun herbicide mais des techniques naturelles : « La dévégétalisation douce du lierre et la restauration avec du ciment à la chaux », précise Patrick Fautré.

Une formation inédite


Des travaux de restauration sont constants et essentiels pour que l' abbaye cistercienne tienne debout. Les escaliers qui mènent vers le haut du site viennent d'être refaits. Ce jour-là, quelques ouvriers sont juchés en haut du mur d'une dépendance jouxtant la réserve de houblon. « Nous avons lancé une formation de cordiste », explique Patrick Fautré. Elle allie les compétences d'alpinisme et celles des métiers du patrimoine, précise le directeur du site, qui y voit une manière d'éviter la pose coûteuse d’échafaudages. 

« Je suis souvent sollicité pour travailler en hauteur et suis amené à descendre sur corde pour des travaux de maintenance », témoigne Guillaume de Vuyst. Cet employé du service technique, responsable des jardins, des animaux, des travaux de maçonnerie et des espaces verts a dès lors entamé ce cursus de six mois, au terme duquel il sera à même de réaliser des travaux de restauration et de dévégétalisation des murs et aiguillera le tailleur de pierres. Il bénéficiera d'un certificat du Forem. « Ce sont principalement des personnes en réorientation professionnelle », précise Patrick Fautré. 

Toujours en collaboration avec le Forem et le Fonds social européen, l'abbaye de Villers a mis en place le programme SCULPTE (Social, Culturel, Patrimonial, Technologique, Environnemental) destiné aux personnes éloignées du marché de l'emploi. Courant jusqu'en 2020, il permet à une dizaine de stagiaires par an de suivre une formation de préservation et de restauration du patrimoine.

« À l’issue de la formation, on compte près de 60% de réintégration sur le marché de l’emploi. »
Patrick Fautré, directeur de l'abbaye de Villers

Enfin, l’abbaye a choisi d’encadrer du personnel handicapé pour l’entretien de ses jardins . « Ils participent à l’embellissement du site. C’est en même temps valorisant et épanouissant pour eux », motive le directeur.

Par le biais de ces initiatives de formation et d'insertion par le travail, l'abbaye veut s'inscrire comme un acteur du développement socio-économique local.

Densifier le maillage du tissu économique et social local

L’abbaye veut s’inscrire pleinement dans le tissu économique local, le dynamiser et en densifier le maillage. À côté des bières bios brassées sur place, on trouve sur les étagères du magasin des produits de producteurs locaux. « Ils peuvent être payés avec des Talents, la monnaie locale d’Ottignies-Louvain-la-neuve », précise Patrick Fautré. 

Acteur économique, le site l’est aussi par les événements culturels qui y sont organisés. L’abbaye en accueille septante par an. Là aussi, « nous adoptons une stratégie d’amélioration. Comment peut-on améliorer la durabilité de nos événements ? On privilégie les partenaires qui respectent l’environnement. À terme, nous allons vers un cahier des charges plus strictes », explique Patrick Fautré. Ces initiatives devraient mener à la reconnaissance « site durable ISO 20 121». Ces normes sont destinées au secteur de l’événementiel. Elles offrent des lignes directrices et présentent des bonnes pratiques pour aider à gérer un événement et à maîtriser son impact social, économique et environnemental.

« Nous accueillons 160 000 visiteurs par an, nous avons donc une importante mission de sensibilisation », explique Patrick Fautré. Si les initiatives visant à une gestion plus durable du site ne sont pas « stratégiques » mais « inscrites dans son ADN, nous nous devons d’être innovants pour en assurer l’attractivité », concède-t-il. Cela passe notamment par la valorisation de la mobilité douce. Leurs usagers jouissent de réductions. Pour inciter davantage de telles pratiques respectueuses de l’environnement, des bornes pour vélo électrique ont été installées sur le parking.

Patrick Fautré appelle enfin de ses vœux au développement de synergies et d’une plateforme d’échange des bonnes pratiques pour les sites touristiques en Wallonie. Des sites que le directeur souhaite plus accessible à tous, et particulièrement aux publics fragilisés, « qui n’osent souvent pas franchir leurs portes ».

« C’est un ensemble de petites actions pour ajouter notre pierre à l’édifice », ponctue Patrick Fautré.

Photos : Ennio Cameriere
Vidéo : Valentine Van Vyve