Yuman Village,
le shopping center
où rien ne se perd

©Olivier Papegnies / Collectif Huma

©Olivier Papegnies / Collectif Huma

Bruxelles dispose d'une galerie commerciale d'un nouveau genre.

Le Yuman Village rassemble en un seul lieu des produits non alimentaires réalisés par des artisans qui utilisent des ressources issues des filières de réemploi et de recyclage.

Reportage 

Gilles Toussaint

Encouragés par plusieurs programmes de soutien, les projets d'entreprises d'économie circulaire se multiplient en Région bruxelloise. Depuis le 24 mai, ils ont désormais une vitrine au 123 de la chaussée de Charleroi, non loin de l'avenue Louise et de ses prestigieux commerces.

Baptisée Yuman Village, cette galerie commerciale d'un genre nouveau est installée dans les locaux d'un ancien garage qui appartiennent aujourd'hui à la chaîne de distribution Lidl. « Celle-ci a accepté de nous concéder une location temporaire pour une période de deux ans », explique Quentin de Crombrugghe, l'un des deux cofondateurs du projet

Une inspiration suédoise

L'idée est née il y a environ deux ans à la vision d'un post Facebook sur le ReTuna, ce centre commercial suédois adossé à une déchetterie dans lequel ne sont vendus que des produits de réemploi. « On a trouvé ça intéressant, donc on est allé voir sur place. Et on est revenu en se disant que c'était ça que l'on voulait faire, mais pas tout à fait de la même manière. On voulait un concept urbain, avec une dimension de transformation où l'on va plus loin que la simple seconde main », se remémore notre interlocuteur.

« On s'est dit qu'à Bruxelles, il commençait à y avoir une multitude d'initiatives au niveau de l'alimentaire. On trouve facilement des magasins de produits bio et locaux qui permettent de se nourrir en circuit court. Mais dans le 'non-food', cela reste compliqué. Notre but est que si quelqu'un veut faire son shopping en produits non alimentaires durables, il peut le faire en un 'one stop' chez nous », enchaîne sa partenaire Christel Droogmans.

15 – Une quinzaine d'artisans proposent leurs produits au sein de Yuman Village. Les fondateurs de la galerie assurent pour leur part la commercialisation des produits zéro déchet, cosmétiques et d'hygiène de la maison.

Sacs réalisés par une entreprise de travail adapté à partir d'anciennes bâches publicitaires, linge de nuit fabriqué à partir d'anciennes chemises, cul d'extincteur transformé en porte-brosses à dents, meubles vintage, objets en cuir, vêtements upgradés, produits de nettoyage 100 % écolo… Les exposants présents dans la galerie proposent une série des produits textiles, cosmétiques, d'hygiène de la maison et de décoration dans une philosophie « zéro déchet ». Quelques services de location ou de réparation et des produits de seconde main plus classiques y sont également disponibles.

« Nous fonctionnons sous forme d'un mix de dépôt-vente. Les exposants paient un petit loyer et une commission sur leurs ventes et ils sont présents à tour de rôle quelques jours par mois. » Une rotation quotidienne où chacun peut donc être amené à vendre les produits de l'autre, renforçant au passage les liens entre les acteurs.

Des soutiens indispensables

Avant d'en arriver là, les deux fondateurs ont expérimenté leur concept dans un magasin éphémère installé en décembre dernier du côté de l'Avenue de la Toison d'Or. « Le projet a très bien fonctionné. Il nous a permis de voir s'il y avait un intérêt du public et la réponse a été un grand 'oui' sur toute la ligne. Cela nous a donné l'opportunité de tester certaines hypothèses et de fédérer un certain nombre d'artisans-créateurs qui sont presque tous ici aujourd'hui », se réjouit Christel Droogmans.

« Nous avons une partenaire potentielle qui vient de Berlin et qui nous a dit qu'elle avait le sentiment que Bruxelles est en train de terriblement bouger sur le plan de l'économie circulaire. »
Christel Droogmans, cofondatrice du Yuman Village

Si tous deux possédaient déjà une solide expérience dans la gestion de projet et le domaine financier, ils ont pu compter sur l'appui apporté par des experts du programme Be Circular ou de Hub Brussels. « Le soutien que nous a apporté Be Circular a vraiment été fondamental, développe la fondatrice. On travaillait sur notre projet depuis un an sans avoir trouvé de lieu où l'installer et nous commencions à nous essouffler. Le fait qu'il soit retenu dans le cadre de ce programme était donc un signe de confiance. Cela nous a apporté du capital sur le plan financier, mais aussi de la crédibilité vis-à-vis de l'extérieur. »

Seul ombre au tableau, tempère Quentin de Crombrugghe, les multiples difficultés pour trouver un point de chute où installer le shopping center : « Du point de vue immobilier, il y a de nombreuses instances publiques, parapubliques… C'est un peu une jungle où il est très difficile de se retrouver et de ce côté-là, on espérait trouver un peu plus d'aide. »

Un aménagement tout en récup et en créativité



Désirant pousser jusqu'au bout la philosophie de l'économie circulaire, les deux fondateurs de Yuman Village souhaitaient que l'aménagement et le mobilier de la galerie soient également le reflet de cette préoccupation. Pour les aider à matérialiser leurs aspirations, ils ont fait appel à l'architecte Olivier Breda (Dzerostudio), qui a accepté de relever le défi malgré le délai de réalisation très court
« Le timing était très très serré, confirme l'intéressé. On a donc fait toute la partie accompagnement et design en direct avec les porteurs de projet pour gagner du temps. On a travaillé sur base de croquis que l'on validait, sans avoir de réel plan. Ensuite, nous avons réalisé la fabrication dans notre atelier. »

L'implication de Quentin de Crombrugghe et de Christel Droogmans a cependant simplifié les choses, souligne-t-il, car ceux-ci sont impliqués à fond dans leur démarche, avec « un souci de créer non seulement de la valeur économique, mais aussi de la résilience ».
A l'arrivée, le résultat est assez séduisant, avec un mobilier d'aspect chic et brut à la fois. « Il n'y avait pas de gros budget, donc on a dû trouver des solutions, sourit Olivier Breda. C'est du 'système D' très amélioré, mais le résultat final est là avec une certaine esthétique. »

Les caches colonnes des tours WTC

Tout a été fabriqué à partir d'équipements récupérés dans les anciennes tours de bureaux WTC, situés à proximité de la gare du Nord. « Nous sommes allés les récupérer en direct avec Quentin. Les panneaux blancs en mélaminé courbé que nous avons utilisés pour les présentoirs ou les meubles de la caisse, cela coûterait une fortune sur le marché. Je ne sais même pas qui en fabrique encore. Dans le WTC, ils servaient de caches colonnes », explique l'architecte designer. Tous ces meubles ajoute-t-il, sont « démontables et remontables à souhait ».

Travailler de cette manière, poursuit Olivier Breda, demande de surmonter de nombreuses difficultés. « Mais nous démontrons que c'est faisable et que cela crée de la vraie valeur ajoutée. La matière provient d'un endroit tout proche et la transformation se fait en région bruxelloise avec de la main-d'œuvre locale. »

Tout ce processus, expliquent nos trois interlocuteurs, a nécessité de faire preuve de créativité, d'innovation, mais aussi de souplesse. « Olivier a beaucoup insisté pour que tout ne soit pas verrouillé et que nous laissions de la place aux initiatives des partenaires exposants, raconte Christel. Il avait raison. C'est ça qui fait que les gens s'approprient le lieu et le projet, et qui va amener le charme. On a travaillé de façon modulaire en gardant la possibilité de faire évoluer les choses en voyant comment nous fonctionnons dans la galerie. »

« Cette capacité d'adaptation, rebondit Quentin, est une des caractéristiques de l'entrepreneuriat d'aujourd'hui. Le monde des possibles doit être en permanence ouvert car si on est psychorigide, ça ne marche pas. Si ça ne fonctionne pas avec Yuman, on en fera autre chose. »

Une galerie conçue et réalisée en six semaines

Le ciel s'est finalement totalement éclairci le 1er avril, date à laquelle le bail d'occupation temporaire a été conclu avec Lidl. Une formule qui permet de bénéficier d'un loyer avantageux.

La course contre-la-montre a alors débuté. « On a signé le 1er avril et on a ouvert le 24 mai...», sourient Quentin et Christel. Soit six semaines intensives durant lesquelles il a fallu penser l'aménagement de la galerie et concevoir tout le mobilier, avec l'aide de l'architecte Olivier Breda (lire ci-dessus).

« On est parti d'une feuille blanche. Je crois qu'au début les gens nous prenaient pour des dingos »
Christel Droogmans, cofondatrice du Yuman Village

Un pari un peu dingue, mais qui est aujourd'hui récompensé par l'accueil positif que reçoit la galerie. « On est très agréablement surpris, résume Christel Droogmans. Dès l'ouverture nous avons eu du monde. Le week-end, nous avons beaucoup de visiteurs et sans être bondé dans la semaine, il y a un flot continu. On est dans la dynamique espérée, mais pas exactement de la façon dont nous l'avions imaginé, on a vendu davantage certains produits que d'autres. Et nous avons le sentiment que les deux mois d'été pourraient se passer mieux que ce que l'on avait prévu au niveau du business plan. » « Nous constatons que nous avons beaucoup plus de passages que ce que nous avions envisagé. Et ce sont en grande partie des touristes car il y a beaucoup d'hôtels dans le coin. Je ne m'attendais pas à cela », complète Quentin.

Autre indicateur de ces vents porteurs : les demandes quasi quotidiennes de personnes qui souhaiteraient proposer leurs produits au Yuman Village. La galerie pourrait ainsi accueillir quatre ou cinq partenaires supplémentaires, tout en conservant sa dimension humaine.

En attendant, Quentin de Crombrugghe et Christel Droogmans planchent déjà sur la prochaine étape : ouvrir dans la deuxième partie de la galerie encore inoccupée un espace de petite restauration où les visiteurs auront la possibilité de prendre un café ou de déguster un plat local et bio, comme il se doit , ainsi que des locaux dédiés à l'accueil d'ateliers, de conférences ou d'autres expositions. Objectif : la rentrée de septembre… « Nous avons deux ans de bail devant nous, nous devons donc créer un maximum de valeur sur ces deux années ». Le chrono est lancé.

Vidéo : Johanna Pierre
Photos : Olivier Papegnies / Collectif Huma

Olivier Papegnies / Collectif Huma

Olivier Papegnies / Collectif Huma