A Lagos, recycler
ses déchets pour s'extraire de la misère

© Nyancho Nwanri/Arete

© Nyancho Nwanri/Arete

La start-up Wecyclers permet aux habitants des quartiers pauvres de la capitale nigériane d'améliorer leurs conditions de vie en récoltant leurs déchets recyclables.

Ses fondateurs veulent montrer qu'il est possible de produire de façon équitable des bouteilles en plastique recyclé, dans le respect des travailleurs.

Reportage 

Gilles Toussaint

Un fléau. Dans les rues des quartiers défavorisés de Lagos, les déchets qui s'empilent jour après jour constituent l'horizon nauséabond d'une des populations les plus défavorisées de la planète. « Les déchets sont partout, vous en croisez même quand vous vous promenez dans les jolis coins », constate avec dépit Bilikiss Adebiyi-Abiola. Bien que certains services de collecte d'immondices existent, ceux-ci fonctionnent très mal, poursuit-elle. Sauf « dans certains quartiers où vivent les gens riches, là tout marche. »

15 000 tonnes – Chaque jour, quelque 15 000 tonnes de déchets supplémentaires s'entassent dans les rues de la capitale du Nigeria. Des chiffres qui sont encore sous-estimés, souligne Bilikiss Adebiyi-Abiola, précisant que certaines évaluations parlent plutôt de 16 000 à 18 000 tonnes de détritus par jour.

Après avoir vécu plusieurs années aux États-Unis où elle a accompli de brillantes études supérieures avant de travailler un temps comme ingénieur chez IBM, la jeune femme a décidé de rentrer au pays pour s'attaquer de front à ce problème.

Aider son pays en retour

Durant ses études au Massachusetts Institute of Technology, Bilikiss s'était beaucoup intéressée au recyclage des voitures car « il y a beaucoup de vieilles voitures abandonnées le long des routes au Nigeria ». Après réflexion, elle décidera finalement de s'attaquer aux bouteilles en PET, mais aussi aux conserves en métal, bouteilles en verre et autres vieux cartons qui inondent la capitale car ces déchets constituent « une matière première qui peut être facilement valorisée sur le marché » auprès d'entreprises qui les transforment en nouveaux produits finis.

A l'occasion d'un événement organisé à Lagos, elle propose donc aux habitants de gagner des billets de tombola en échange des déchets qu'ils rapporteront. « C'était une période où il y avait beaucoup de manifestations en raison de la hausse des prix du carburant et on a failli annuler. Mais finalement notre initiative a très bien marché et elle a démontré que ce mécanisme pouvait fonctionner. » L'étincelle qui allait donner naissance à Wecyclers venait de se produire.

Des déchets contre des points échangeables

En 2012, la jeune entrepreneuse lance sur les routes une flotte de vélos-cargos qui sillonnent ces quartiers pour collecter bouteilles, papiers et autres canettes que leur apportent les habitants. En échange de ce travail de pré-tri sélectif, ceux-ci obtiennent des points qui s'accumulent sur un espèce de « compte déchets ».
« Nous ne donnons pas de cash immédiatement, explique Olawale Adebiyi, le frère de Bilikiss, qui a rejoint l'entreprise il y a trois ans pour l'aider à poursuivre son développement. Chaque kilo de déchets leur rapporte des points qui s'accumulent sur leur compte et ils sont tenus informés par SMS. Un kilo de bouteilles PET, par exemple, donne droit à 10 points dont la valeur dépend du prix de ces déchets sur marché. »

Quand ils atteignent un certain nombre de points qui correspondent à un certain nombre de nairas (la monnaie locale NdlR), ils peuvent alors les échanger contre des appareils électroménagers, des aides alimentaires ou des minutes gratuites d'appel téléphonique.

18 000 – En sept ans, 18 000 ménages se sont inscrits dans la dynamique lancée par les fondateurs de Wecyclers, qui en espèrent un million à terme - leur nombre progresse constamment. Quelque 150 tonnes de déchets sont ainsi évacuées des rues chaque mois.

Les débuts du projet n'ont pas pour autant été faciles, enchaîne sa sœur. Les parents, notamment, ne se montraient guère enthousiastes à l'idée de voir leurs enfants participer à ce genre de collecte.
« Quand on a commencé, les gens ne comprenaient pas vraiment notre projet. Ils étaient sceptiques et ne nous faisaient pas confiance. Ils me demandaient 'Pourquoi voulez-vous mes poubelles ?'. Il a fallu construire notre crédibilité. Mais aujourd'hui, ils ont compris le sens que cela avait de faire ce ramassage et ils voient les bénéfices concrets qu'ils peuvent en retirer », se réjouit Bilikiss Adebiyi-Abiola.

Si certaines personnes ne participent aux collectes que de façon occasionnelle, d'autres en ont fait une véritable activité, souligne son frère. « C'est quasiment devenu leur job. Ils se déplacent pour chercher des déchets et ramènent de gros volumes chaque jour ». Une activité qui leur permet de gagner 100 à 200 dollars par mois dans un pays où le salaire moyen fluctue entre 60 et 80 dollars, ajoute-t-il.
Cerise sur le gâteau, Wecyclers emploie aujourd'hui environ 200 personnes
– majoritairement des femmes – qui se chargent du tri final et du conditionnement de ces « récoltes » avant qu'elles ne soient revendues à des transformateurs.

Récompenser des projets porteurs
d'espoir et de succès

Décerné par la Fondation Roi Baudouin, le Prix Roi Baudouin pour le développement en Afrique récompense le travail de personnes ou d'organisations africaines qui ont apporté une contribution exceptionnelle au développement de cette région du monde.
La somme de 200 000 € offerte aux lauréats a pour but de la aider à faire grandir leur action et à accroître son rayonnement de façon à inspirer d'autres porteurs de projets potentiels. Parmi les précédents lauréats figurent notamment
le Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018, pour l'aide apportée aux femmes victimes de violences sexuelles ou encore le projet Kytabu qui pertmete de rendre l'école plus accessibles à 11 millions d'étudiants kényans.

En 2018, 240 organisations ou projets ont bénéficié d'un soutien financier de la Fondation.

Développer un « Fair Plastic »

Ce succès, qui associe action sociale, environnement et développement économique dans un pays où la misère est endémique, a valu à Wecyclers d'obtenir le Prix Roi Baudoin pour le développement en Afrique. Doté de 200 000 euros, celui-ci va permettre au duo fondateur de poursuivre l'expansion de ces activités à Lagos et, espèrent-ils, bien au-delà.

« On s'est rapidement rendu compte que l'on devait augmenter les volumes collectés, on a donc investi dans une flotte de tricycles motorisés équipés de containers et plus récemment dans des camions pour élargir le périmètre des ramassages, explique Olawale. Nous devons continuer à améliorer le process et notre logistique pour être les plus efficaces possible. »

L'objectif est d'accroître progressivement la valeur ajoutée de l'entreprise, avec l'espoir que celle-ci soit un jour capable de réaliser elle-même la transformation de ces déchets « et donc aussi de créer de jobs qui sont mieux payés ».

22 millions – La capitale du Nigeria est un des centres économiques les plus importants du continent africain, expliquent les fondateurs de Wecyclers. Elle figure également dans le Top 10 des villes les plus polluées du monde, ajoutent-ils.

Un autre pas vient d'être franchi avec le lancement du premier maillon de la « Fair Plastic Alliance » que le duo veut mettre sur pied avec l'aide d’entreprises qui produisent les contenants de plastique et des multinationales comme Unilever. « C'est le même principe que le label Fair Trade (commerce équitable). Nous voulons montrer qu'il est possible de produire de façon équitable des bouteilles en plastique recyclé, dans le respect des travailleurs - y compris les collecteurs. »

En attendant d'en arriver là, les fondateurs de Wecyclers expérimentent un système de paiement en argent via une carte de crédit prepaid.
En partenariat avec une ONG, ils testent également une formule où la collecte de ces déchets est rémunérée en payant en partie les frais de scolarité d'enfants issus de familles les plus démunies.

Ambitieux et déterminés, Bilikiss et Olawale se réjouissent que leur modèle fasse aujourd'hui figure d'exemple et croient dur comme fer en la capacité de la jeunesse africaine à se bâtir un avenir meilleur.

Vidéo : Wecyclers / Gilles Toussaint / Christel Lerebourg
Photos : © Nyancho Nwanri/Arete

© Nyancho Nwanri/Arete

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