Belgium kitchen, partager un repas...
et un peu d'humanité

©Didier Bauweraerts

©Didier Bauweraerts

Quatre Molenbeekois ont fondé la Belgium kitchen. Tous les jours, ils servent plusieurs centaines de repas aux personnes précaires. La cuisine fait office de liant, pour plus d'humanité et de compréhension de l'autre.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Plusieurs longues tables ont été dressées les unes à côté des autres. Une bouteille d'eau, une pomme et quelques biscottes, attendent de trouver preneur. Ce sera vers 21h30, l'heure de la rupture du jeûne en ce mois de Ramadan. Yassine Haj Idrissi déboule dans cette salle plongée dans une relative obscurité avant de s'asseoir au soleil sur un banc. « On achève de cuisiner », entame-t-il. Comme tous les jours depuis bientôt quatre ans, à la Belgium kitchen, quatre à cinq bénévoles ont préparé le repas pour « les personnes précaires » : sans-abri, sans-papiers, réfugiés, malades... ceux qui n'ont rien ou presque. « On ne fait pas de distinction, on ne divise pas la précarité. La merde n'a qu'une odeur », déballe Yassine, fondateur avec ses trois cousins, de ce collectif citoyen récemment devenu une ASBL.

Tous les jours, donc, jusqu'à 600 repas sont servis dans ce local molenbeekois, que la commune a mis à la disposition de la Belgium kitchen pour une durée indéterminée. Une occupation « précaire et temporaire », précise le coordinateur. La deuxième du genre, après la grande bâtisse de Forest que l'ASBL a transformée en logements temporaires, « avec un potager, pour être aussi autonomes que possible », précise Yassine.

Habituellement, le local de Molenbeek situé à quelques encablures du canal, est ouvert toute la journée, laissant à chacun la liberté de venir chercher un colis à cuisiner ou à consommer ailleurs, à venir y manger quand il a faim « et pas seulement quand on le décide, ce qui crée, comme au parc Maximilien à l'époque, des files de 700 personnes ». En ce mois sacré pour les personnes de confession musulmane, la Belgium kicthen a cependant quelque peu adapté ses horaires. « Nous n'attendons que 150 personnes, en soirée », regrette Yassine.

Une deuxième vie

Un regret, car la capacité de la Belgium kitchen est bien plus élevée. L'association, née en 2015 dans le parc Maximilien au moment de la vague migratoire, et qui a ensuite pris du galon dans la jungle de Calais où elle est restée jusqu'à son démantellement, entend fournir aux personnes dans le besoin « un dernier repas chaud pour avoir le ventre plein avant de dormir », précise Yassine.

Les stocks de riz, de fruits secs, d'huile, de sauce tomates sont empilés dans une vaste pièce jouxtant la cuisine. « Ce sont des invendus des commerces du quartier et des denrées que nous apportent les citoyens », détaille-t-il en marchant le long des piles de vivres. Des containers arrivent par ailleurs régulièrement d'Angleterre, fournis par des associations avec lesquelles les membres de la Belgium kitchen ont noué des liens fort à Calais. Au sol, plusieurs cageots de pommes ont été récupérés après les 20 km de Bruxelles. « Nous fonctionnons grâce aux dons », complète l'ancien boulanger et enfant de commerçants, animé par le souhait d'offrir «une deuxième vie pour tous ». Pour les denrées comme pour les hommes qu'elles nourrissent, laisse-t-il entendre. Il en va de même pour les vêtements récoltés par l'association.

Si l'objectif de la Belgium kitchen est de fournir le repas - « des mets consistants, avec beaucoup de légumes et d'aliments qui permettent au corps de se protéger des maladies » - et de le partager, elle ne s'y limite pas.

« C'est de la générosité, du partage, du bonheur et de la solidarité entre humains, résume Yassine. Mais cette solidarité n'a de sens que si l'on comprend l'autre ».
Yassine Hadj Idrissi, cofondateur de la Belgium kitchen

Ici, la cuisine est un liant.

« Elle efface les différences, à table et en préparation, lorsque chacun ajoute son grain de sel. »
Yassine

C’est alors que « la magie opère » .

Des « bénécyclistes» à la rencontre de la précarité dans les rues de Bruxelles

« Ici toutes les idées sont les bienvenues », entame Vladimir avec un large sourire, appuyé sur le guidon de son vélo. Celle d'Adam a manifestement plu. Depuis quelques semaines, plusieurs « bénécyclistes » se relaient ainsi pour livrer des plats à vélo aux personnes en situation de précarité à Bruxelles. « Nous cuisinons toute la journée. Il y a de la nourriture pour davantage de personnes que celles qui se déplacent jusqu'ici », commente encore Vladimir.

Sortir des murs n'est pas nouveau. Avant, Yassine opérait régulièrement des livraisons avec sa camionnette. Mais parcourir les rues de la capitale en voiture en fin d'après-midi lui prenait un temps considérable. « À vélo, c'est plus rapide et on a accès à davantage d'endroits comme les gares ou les ruelles », explique Vladimir. Ce moyen de se mouvoir permet d' « élargir le rayon d'action, de toucher plus de monde et de faciliter le contact ». Sur son dos, Vladimir charge jusqu'à 30 repas qu'il distribuera entre la gare du nord, la gare centrale et le boulevard Anspach. « On se construit une carte en fonction des besoins que l'on perçoit. »

« Cela change notre regard sur la ville. On est plus attentif aux personnes précaires sur nos trajets quotidiens. On se rend compte de la misère et c'est vertigineux ».
Émilie, bénécycliste.

Ce jour-là, Emilie entame sa deuxième maraude. « Je me suis inscrite tous les mardis jusqu'à l'été », explique-t-elle. Il n'y a cependant pas de règle et chacun donne ce qu'il peut. « Une demi-heure, c’est déjà bien » , glisse Aziz, qui coordonne les activités avec Yassine. « C'est une forme d'engagement qui n'implique pas un consensus familial, ni de livrer un espace intime ou donner de l'argent mais juste un peu de temps. Deux heures pendant lesquelles je me tourne vers l'autre et me mets en situation d'humilité », motive cette mère de famille. La première fois, raconte-t-elle, il a fallu se lancer et oser aller vers cet autre « que l'on ignore souvent ».

« C’est confrontant. Cela force à sortir de sa zone de confort égoïste. »
Émilie, bénécycliste.

Il est 18h et Saïd, un Égyptien en cours de procédure de régularisation, aide Émilie à charger son vélo-cargo de la quarantaine de barquettes de plat du jour qu’ils ont auparavant remplies ensemble. « Poulet, riz, aubergines, pommes de terre et sauce tomate », lui détaille-t-il par le menu tout en s’assurant que le sac réfrigéré est bien accroché. « Il y en a combien ? », demande Yassine. Après un rapide calcul, Saed lui répond qu'il doit y avoir 45 portions. « On peut encore en ajouter quelques unes », affirme-t-il.

Émilie est ainsi parée à pédaler dans les rues de la capitale. « Je me rends compte qu'il ne faut pas être un superhéros de la militance pour faire une petite différence », envoie-t-elle avant de serrer chaleureusement la main de Yassine et de s'en aller.

Impliquer pour valoriser

La quinzaine de bénévoles impliqués régulièrement dans la vie de l'association ne sont pas les seuls à livrer, à préparer les repas, à trier les vêtements... « Les personnes précaires y sont intégrées si elles le souhaitent », explique Vladimir, bénévole belge. « C'est essentiel de les inclure et qu'ils soient acteurs s'ils le veulent. Cela valorise la personne dans le besoin qui, elle-même, apporte son aide à autrui », poursuit Yassine.

Le bénéficiaire y est un partenaire. De plus, « ce sont eux qui identifient le mieux les solutions à apporter pour qu'elles répondent aux besoins de terrain et qu'elles soient durables », insiste-t-il.

En parlant de long terme, il espère que l'association pourra, avec le temps, devenir un réel « tremplin d'insertion sociale ».

Photos : Didier Bauweraerts
Vidéo : Valentine Van Vyve

©Didier Bauweraerts

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