Les friches Boch, laboratoire de la ville de demain

©Valentine Van Vyve

©Valentine Van Vyve

Au coeur de La Louvière, l’ancien site des faïenceries Boch sera réhabilité en village commercial.
En attendant, les citoyens se sont réapproprié ce lieu historique.
Ils y imaginent d’autres manières de “faire la ville”.

Reportage 

Valentine Van Vyve

Dans deux containers, Nils Houtteman a aménagé son Fablab et son Recycllab. À l’aide d’une imprimante 3D, il crée des pièces en plastique qui permettront de réparer des appareils électroménagers abîmés, réalise des prototypes et des objets personnalisés. À côté, une machine semblable mais de plus grande taille imprime des pièces uniques de céramique. “Nous aimerions pouvoir travailler avec la terre du site”, explique le jeune designer. Cela permettrait de s’inscrire dans un schéma d’économie circulaire à l’échelle locale.

Quand il n’y a pas d’atelier de recyclage, le deuxième container sert d’espace de coworking. Sur ses murs, quelques pièces d’art participent à sensibiliser le public à la gestion des déchets.

L’initiative de Nils fait partie des neuf lauréats retenus par la ville de La Louvière au terme d’un appel à projets - réalisé au début de l’an dernier - pour occuper une partie des friches Boch, au cœur de la cité. L’occupation temporaire durera deux ans.

L’ancien site industriel a longtemps rythmé la vie des Louviérois. Mais depuis la faillite des faïenceries Boch, la déconstruction des bâtiments et l’assainissement des sols, plus rien ne s’y passe en attendant que le projet immobilier La Strada y élève ses murs. Mais avant sa réhabilitation complète, la Ville avait à cœur de redonner vie à ce lieu historique. Il lui est aparu évident de donner aux citoyens la possibilité de se le réapproprier.

Une urgence stimulante

En chantier depuis un an, le site est aujourd’hui en activité. Mais la fin de cette année sonnera déjà le glas du projet. “On essaie d’y intégrer la temporalité car on est tous conscients que cette aventure est limitée dans le temps”, explique Amaury Vandenhende, pilote de projets à la Ville de La Louvière .

“Paradoxalement peut-être, la notion d’urgence rend les choses possibles car on se met dans une bulle dans laquelle on ose, on teste. C’est boostant !”
Marie Godart, accompagnatrice des porteurs de projet

Les 67 hectares sont revendiqués comme un lieu d’expérimentation.

“C’est un laboratoire qui préfigure les usages et les pratiques urbaines de demain.”
Amaury Vandenhende, pilote de projets à la ville de La Louvière

Car, ici, on envisage des modes de vie alternatifs. “Les porteurs de projets estiment que les enjeux sociétaux nous poussent à vivre la ville autrement”, insiste-t-il. Au travers de ces neuf projets, la cité des Loups s’imagine dès lors durable et solidaire.

Les mondes scolaire et académique se greffent à un projet collectif concret et de terrain

Une dizaine de jeunes s’affairent sur le site. Ils clouent, martèlent, déplacent des planches de bois sous l’oeil vigilant de M. Dujardin. Deux jours par semaine depuis plusieurs mois, le professeur de jardinage emmène les élèves de l’établissement d’enseignement spécialisé Roger Roch de La Louvière sur un site qu’ils participent à construire. “Cela change de leurs quatre murs, s’entousiasme-t-il. Ils font face à une diversité de travaux et de techniques auxquelles l’école ne donne pas accès”. Ici, ils travaillent en autonomie, prennent des responsabilités. Participer à redonner vie à ce lieu historique, “c’est concret et valorisant. Cela les rend fiers”, commente M. Dujardin.

En plus de l’aspect technique que ce projet apporte, celui-ci permet à des jeunes dont la finalité des études n’est pas déterminée d’aller à la rencontre de différentes pratiques professionnelles. Enfin, “ils sont amenés à sociabiliser... C’est important au niveau du développement humain”, pense leur professeur.

La recherche s’exporte sur le terrain

A quelques mètre d’eux, Nicolas Atlé descend du haut de la structure de bois qu’il confectionne, notamment avec Cyril Leboeuf, l’un de ses étudiants en architecture à l’UMons. Architecte et ingénieur, il mène une recherche sur la plasticité en architecture appliquée à un espace en transition.

Des dizaines de boîtes sans fond en bois de récupération constituent cette structure éphémère et ouverte. “Ce projet renverse le processus de construction classique. On part de la disponibilité des ressources - des palettes de transport de fûts de bières- pour donner vie à un projet”, explique l’ingénieur architecte. “Je découvre d’autres moyens de créer et de travailler les matériaux”, explique Cyril Leboeuf.

Initialement pensée comme une “base de vie” destinée à accueillir les habitants, les animaux, la végétation, ce cube ouvert sera un lieu d’exposition pour les prochaines semaines. “C’est une structure évolutive”, explique Nicolas Atlé. Elle s’adapte aux usages, qui varient avec le temps: boulodrome, lieu d’exposition, nul ne sait encore de quoi ce lieu sera fait. Ce qui est certains cependant, ce sont les synergies qui se mettent déjà en place avec d’autres porteurs de projets installés sur le site, particulièrement le Recycllab, assure Nicolas Atlé. Il valorise un “espace de rencontres et d’échanges qui nourrit” car il amène à collaborer dans le cadre de projets transversaux et pluridisciplinaires. “C’est enrichissant de participer à un système qui amène nécessairement à travailler en équipe”, souligne encore Cyril Leboeuf.

“Ce projet amène des énergies qui n’étaient pas forcément attendues”, se réjouit Amaury Vandenhende. Selon lui, d’autres collaborations entre la Ville et le monde académique devraient pouvoir éclore grâce à l’impulsion de celui-ci.

Une gestion collaborative, durable et solidaire

Groupement d’achat local, alimentation durable, potager collectif et plantations comestibles, habitats légers, Fablab, ateliers autour du recyclage et sensibilisation à la gestion des déchets, maison de quartier éphémère... Les projets ont, en plus d’un intérêt particulier pour le respect de l’environnement, une composante sociale. “Ils sont vecteurs de liens”, analyse Marie Godart.

À cet égard, la plantation de houblon sur le site comme chez les particuliers afin de créer une bière locale, est surtout vue comme un prétexte pour faire se rencontrer les gens. “Cela crée une communauté de planteurs de houblon”, explique-t-elle.

Si “Imaginer la ville” invite à la rencontre entre citoyens, les porteurs de projets sont aussi animés par un esprit collaboratif, laissant ainsi apercevoir “un double niveau de participation” : des projets citoyens dont la mise en œuvre nécessite la collaboration ; l’animation du site par les visiteurs dans un esprit collaboratif. “Le chantier était par ailleurs ouvert aux bénévoles”, précise Marie Godart.

“C’est une aventure humaine dans laquelle on se doit de s’interroger sur la manière d’avancer ensemble, de gérer le site de manière collaborative.”
Marie Godart

La sélection de neuf projets aussi divers que complémentaires favorise les échanges de services, de bonnes pratiques, d’expériences. L’administration y a pour sa part assuré l’accompagnement comme “le maillage” entre les différents intervenants, détaille Marie Godart.

“Si l’aventure est limitée dans le temps, les enseignements, eux, restent sur le long terme.”
Amaury Vandenhende

Il est notamment venu bousculer les dynamiques d’une administration qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, à en croire nos interlocuteurs.

Un incubateur de talents locaux

S’inscrire dans un temps long, ne pas s’arrêter au terme de cette expérience, c’est aussi l’objectif poursuivi par ceux qui ont pensé “Imaginer la ville”. Cette opportunité de développer un projet et de le tester grandeur nature, c’est aussi le premier pas vers le véritable lancement d’une initiative.

“Imaginez la ville fait donc en quelque sorte office d’incubateur, ose Amaury Vandenhende. L’aménagement et l’occupation ont été ouverts à tous, et notamment à un public, professionnels ou non, qui n’aurait pas forcément eu accès à cette opportunité et à cette visibilité au cœur de la ville de La Louvière.” Ces porteurs de projets ont par ailleurs bénéficié d’un accompagnement tant dans la réflexion que dans la mise en œuvre de leur initiative ; et de moyens financiers. Au total, 100 000 euros ont été débloqués pour que “tout un écosystème” se mette en place. Temporairement.

Vidéo : Valentine Van Vyve
Photos : Marie Godart et D.R.