Déchets, dépôts, dégoût

La délicate gestion de la propreté à Anderlecht

(Ce reportage s'inscrit dans un partenariat entre LaLibre.be et le Bruxelles Bondy Blog (BBB), un site produit par des jeunes et des étudiants en journalisme de l’Ihecs)

À Anderlecht, la saleté des rues est un fléau. Les dépôts clandestins de sacs poubelles et autres encombrants sont quotidiens. Une étude de l’association de défense des consommateurs Test-Achats, publiée en septembre 2018, stipule qu'Anderlecht fait partie des communes les plus sales de Bruxelles, avec Schaerbeek et Molenbeek. Le point commun des trois entités : elles font face à un problème qui ne se limite pas à un endroit particulier, mais bien à des quartiers entiers.

Si le problème est loin d’être récent, il ne cesse de s’aggraver à Anderlecht, au point de susciter le dégoût et de pousser au déménagement certains habitants. Gaëtan Van Goidsenhoven, l’ancien bourgmestre MR, qualifie même sa propre commune d’"immonde". “J’ai encore reçu récemment une plainte d’un citoyen qui qualifiait Anderlecht de poubelle à ciel ouvert”, affirme-t-il.

Dépôt clandestin à la digue du canal à Anderlecht

Dépôt clandestin à la digue du canal à Anderlecht

Les politiques en charge de la matière en sont conscients, les raisons sont multiples et relèvent en partie de leurs responsabilités. Mais à présent, des solutions sont sur la table.

Des causes multiples

Amas de poubelles qui jonchent le sol, déchets de construction, parfois même canapés ou cuvettes de toilettes : pour prendre conscience du phénomène, il suffit de se balader quelques minutes en rue. Les dépôts sauvages ne manquent pas. Et à peine quelques heures après le passage des nettoyeurs, les artères retrouvent leur saleté.

Pour de nombreux habitants de la commune, il s’agit d’un réel problème. Certains se plaignent des citoyens qui ne respectent pas les règles, d’autres pointent du doigt le dispositif de nettoyage.

Plus de saleté dans les quartiers surpeuplés 

Les quartiers les durement touchés par la malpropreté sont ceux de Cureghem, de Scheut ou encore du Peterbos. Les trois partagent des points communs qui permettent en partie d’expliquer la situation actuelle : une densité de population très élevée et un non-attachement au lieu. 

Carte des différents quartiers de la commune d'Anderlecht.

Carte des différents quartiers de la commune d'Anderlecht.

« Dans les quartiers densément peuplés, ou avec des populations qui ne sont pas investies parce qu’elles ne sont pas là pour du long terme, il existe un problème encore plus conséquent en matière de propreté », explique Allan Neuzy, échevin notamment en charge de la Propreté publique à Anderlecht.

L'ex-bourgmestre Gaëtan Van Goidsenhoven identifie un autre coupable : les marchands de sommeil.  « Certains quartiers sont beaucoup trop denses, avec des immeubles qui doivent accueillir une famille et qui en accueillent quatre. Donc inévitablement, il y a plus de déchets. Il faut arriver à desserrer l’emprise des marchands de sommeil sur toutes ces zones », détaille-t-il.

L’entretien des rues, un métier pénible

Cette malpropreté, certains passent leurs journées à tenter de l’endiguer. Il s’agit des éboueurs qui travaillent pour la commune ou la Région. 

Leur tâche est primordiale, mais ils souffrent pourtant d’un manque de respect important. “C’est très compliqué. Nous nous levons tôt le matin et travaillons toute la journée dans l’objectif de rendre la commune propre et agréable à vivre pour les citoyens. Au final, le résultat n’est pratiquement pas visible car les gens ne sont pas respectueux et salissent dès que l’on est passé. Cela nous prive de toute reconnaissance”, confie Rami, chauffeur de camion pour le service propreté de la commune. “Les gens ne remarquent même pas le travail que l’on accomplit. Quand ils sont coincés une minute derrière le camion, par exemple, ils klaxonnent et nous insultent.”

Cette agressivité, Gérard, qui travaille comme convoyeur dans le même service que Rami, en a été victime. “En février, je me suis fait agresser à Cureghem. J’ai simplement indiqué à quelqu’un qu’il ne pouvait pas jeter son sac poubelle n’importe où. Il s’en est alors pris physiquement à moi. Aujourd’hui encore, je ne peux plus plier un de mes doigts. Les citoyens se fichent de notre travail et n’ont aucun respect. Ils n’ont même pas de problèmes ensuite, car nous n’avons pas souvent de nom ou d’adresse pour porter plainte.

Les principaux acteurs

Pour saisir la complexité de la problématique, il importe de cerner quels sont les acteurs en présence.

Sur le terrain tout d’abord, deux entités collaborent. D’une part, les services de la commune d’Anderlecht. De l’autre, Bruxelles-Propreté, qui est sous la tutelle de la Région bruxelloise et de la Secrétaire d'État à la Collecte et au Traitement des déchets, Fadila Laanan (PS).

Un fonctionnement relativement complexe

La répartition des compétences entre ces deux cellules est plutôt complexe. Bruxelles-Propreté s’occupe du volet des collectes. Ses employés se chargent donc de ramasser les poubelles des citoyens lors de jours définis. Le volet de la propreté publique (balayage, entretien des poubelles publiques) se partage, lui, entre les deux services : Bruxelles-Propreté qui s’occupe des voiries régionales et la commune d’Anderlecht qui se charge des voiries communales. 

Le fonctionnement est le même dans toutes les communes de Bruxelles, mais il existe des exceptions. Dans le cas d’Anderlecht, un contrat a été signé entre la commune et la Région pour que Bruxelles-Propreté soit également responsable de certaines voiries communales.

Lorsque des incivilités sont commises par des citoyens (par exemple des poubelles mal triées, sorties au mauvais moment ou encore déposées n’importe où), les services de la commune et de Bruxelles-Propreté bénéficient tous les deux d’un droit de sanction. 

À Anderlecht, ces peines prennent la forme de taxes liées à la compensation du déplacement du service de nettoyage. Il n’est cependant pas aisé d’identifier à qui appartiennent les sacs fautifs. Les travailleurs peuvent donc les ouvrir et les fouiller pour trouver une adresse. Mais, pour pouvoir sévir, plusieurs preuves concordantes doivent être rassemblées.

Allan Neuzy, l’échevin chargé de la Propreté publique, précise que ces taxes ne sont infligées qu’en dernier recours : “certaines personnes concernées par ces amendes éprouvent des difficultés à boucler leurs fins de mois. Ce n’est donc pas idéal pour elles d’avoir une taxe supplémentaire à payer. Je n’aime pas sanctionner aux premiers abords mais, s’il faut y arriver, je le fais. Et il y en a chaque mois.”

De son côté, Bruxelles-Propreté contrôle 500 sacs au hasard par jour. À nouveau, si un agent trouve un contenu inapproprié, il cherche une adresse, et une taxe peut être appliquée. Mais ces démarches nécessitent des effectifs supplémentaires, “une vingtaine de personnes sur le terrain et un membre chargé d'envoyer les amendes ”, selon Etienne Cornesse, porte-parole de Bruxelles-Propreté.

Une collaboration pas toujours évidente

La malpropreté dans la commune, ou du moins dans certains de ses quartiers, n’est pas neuve. Elle remonte à au moins une dizaine d’années, à en croire tous les acteurs concernés. Comment expliquer dès lors que la situation ne s’améliore pas ? Où et pourquoi cela bloque-t-il ?

Des réserves sur la cogérance

Les complications inhérentes à toute matière cogérée par deux niveaux de pouvoir peuvent constituer un premier facteur explicatif.

Le porte-parole de la Secrétaire d'État Fadila Laanan assure que les relations entre la commune d’Anderlecht et Bruxelles-Propreté sont bonnes. « Rien n’est remonté au niveau régional quant à d’éventuels problèmes. Si les échevins veulent venir discuter ou s’il y a de gros soucis, la porte est toujours ouverte », explique Christophe Vancutsem.

Du côté de la commune, l'échevin Allan Neuzy s'estime satisfait mais émet cependant quelques réserves. « Avec Bruxelles-Propreté, les choses se passent relativement bien mais je pense que cela pourrait beaucoup mieux fonctionner ». M. Neuzy reproche notamment la trop faible implication de la Région dans la campagne visant à mettre des containers mobiles à disposition des citoyens pour qu'ils puissent déposer leurs encombrants à proximité de chez eux.

Le nombre de réunions est également sujet à quelques discussions. Ces rencontres visent à coordonner les actions, évoquer les éventuels problèmes et fixer des objectifs communs. Elles ont lieu deux fois par an, regroupant à la fois des représentants de Bruxelles-Propreté, de la Région et de la commune. Un nombre insuffisant selon les autorités communales, mais estimé satisfaisant par Bruxelles-Propreté et son porte-parole, Etienne Cornesse.

Les autorités anderlechtoises​ attendent désormais de savoir qui sera le prochain Secrétaire d'État en charge de la Propreté. D'autant que les relations interpersonnelles dans une matière mêlant différents niveaux de pouvoir ont leur importance.

À Anderlecht, il se murmure que, lors de l’ancienne législature communale, la mauvaise gestion de la propreté s'expliquait notamment par la relation compliquée entre l’ancienne échevine Elke Roex (sp.a) et Fadila Laanan (PS).

Gaëtan Van Goidsenhoven (MR) va même plus loin : « La collaboration entre Fadila Laanan et Elke Roex était catastrophique ».

©Site officiel Gaëtan Van Goidsenhoven

©Site officiel Gaëtan Van Goidsenhoven

L’actuel échevin Ecolo souhaite aussi pouvoir collaborer de la meilleure des manières avec la Région bruxelloise, et non plus uniquement avec Bruxelles-Propreté. « J’espère vraiment que, lors de la prochaine législature, on aura un nouveau souffle pour Bruxelles-Propreté qui pourra vraiment nous aider, nous les acteurs communaux, à répondre de manière plus conséquente à la problématique de la propreté », conclut-il. 

Des solutions pour l'avenir

Pour tenter d’endiguer la perpétuelle saleté dans certaines zones, différentes solutions ont été envisagées et plusieurs dispositifs vont être mis en place dans les mois à venir. 

Début avril, Allan Neuzy avait annoncé la création de brigades de propreté pour les samedis et dimanches. Et ce, dès le début de l’été. Ces brigades ramasseront les dépôts clandestins et assureront la propreté chaque week-end pour alléger le service conséquent des travailleurs des lundis.

« Le budget a été voté. On vise une équipe de 14 voire 16 personnes et on a déjà l’assurance pour 10. Cette brigade du week-end sera donc bien mise en place », confie l’échevin.

La rue de l'Instruction est un point de passage important pour les équipes de la commune d'Anderlecht.

La rue de l'Instruction est un point de passage important pour les équipes de la commune d'Anderlecht.

Au-delà de ces équipes spéciales, les autorités locales souhaitent rendre plus visibles les actions qu’elles mènent au jour le jour pour rendre la commune plus propre.

« Actuellement, s’il y a un canapé ou une cuisinière dans la rue, deux ou trois jours après, l'objet disparaît. La population se doute donc que c’est la commune qui s’en est occupé. À l’avenir, on va agir pour que les gens aient conscience de notre action, qu'ils comprennent que c’est interdit et n'agissent plus de la sorte. Mais aussi pour leur rappeler les sanctions prévues pour des coupables identifiés », explique M. Neuzy.

Informer et sensibiliser

Tous les acteurs de la propreté estiment que l’accent doit être dorénavant mis sur la sensibilisation à cette problématique et sur la participation citoyenne.​

L’actuelle situation n’incombe donc pas uniquement à la population ou aux autorités, la faute est partagée. « Quand on voit des sacs poubelles déposés au pied d’un arbre ou sortis le mauvais jour, on sait que la responsabilité revient aussi aux citoyens.  Il y a clairement un travail d’information à réaliser sur quelles sont les bonnes pratiques à avoir en matière de propreté », insiste M. Neuzy. « Dès cet été, nous allons entamer un processus de contact avec les comités de quartier qui ont la volonté de s’engager avec nous dans cette optique. »

Poubelles abandonnées sous le pont de la rue des Goujons.

Poubelles abandonnées sous le pont de la rue des Goujons.

L’ancien bourgmestre d’Anderlecht, Gaëtan Van Goidsenhoven, estime également qu’une réorganisation et une meilleure gestion des lieux de collectes s'imposent. Une idée partagée par l’actuel échevin et qui verra a priori le jour dans les prochains mois. « Une autre mesure consiste à augmenter le nombre d’endroits où l’on peut se débarrasser légalement de ses déchets. Certains de ces endroits, comme les bulles à verres, sont problématiques car propices aux dépôts clandestins. Il importe de rendre ces lieux plus conviviaux et fonctionnels », conclut l’échevin Allan Neuzy.​