Comment Toy Story a changé le cinéma

La sortie en 1995 du premier long métrage de Pixar
a révolutionné le cinéma d'animation.
Ce succès était loin d'être acquis.

Le 22 novembre 1995, sortait dans les salles Toy Story, le premier long métrage d'animation en images de synthèse de l'histoire du cinéma. C'est aussi le premier film du studio Pixar et de son réalisateur, John Lasseter. Le film fait l'unanimité et rapporte plus de 350 millions de dollars dans le monde.

« Toy Story a été le premier film en images de synthèse où le public oubliait qu'il regardait des images créées par ordinateur, et voulait juste savoir ce qui allait arriver à Woody et Buzz l'Eclair. Tout cinéaste sait que c'est une victoire », se souvenait en 2011 Tom Sito, ancien animateur chez Disney (Aladin, La petite sirène, Le roi lion...) et DreamWorks (Shrek, Le prince d'Egypte). Ce succès était loin d'être acquis.

« Nous n'avions aucune raison de croire que le film serait une réussite. »
Ronen Barzel

Comme beaucoup, ce technicien pensait que Toy Story intéresserait au mieux les férus d'animation et de technologie. Le réalisateur John Lasseter n'avait jamais réalisé de long métrage, pas plus qu'aucun des vingt-sept animateurs et nonante techniciens ayant oeuvré sur le film pendant quatre ans.


« Quand le public ira voir un film Pixar, il sait qu'il pourra compter sur une certaine qualité et intégrité. »
Steve Jobs, à John Lasseter

Même Steve Jobs, actionnaire principal de Pixar, qu'il a racheté à George Lucas neuf ans plus tôt, a douté du succès. Au début des années 1990, il a même envisagé de revendre Pixar à Microsoft.

Lui-même poussé à la porte d'Apple en 1985, Jobs peine alors à se réinventer. NeXT Computer, la société qu'il a créé après Apple ne trouve pas son marché. Pixar perd de l'argent.

Mais pendant la genèse de Toy Story, son instinct lui fait prendre conscience qu'il a de l'or entre les mains. Au point qu'il entreprend une démarche inattendue qui va faire sa fortune– bien avant iTunes et iPhone : une semaine après la première de Toy Story, en novembre 1995, Pixar entre en bourse. Au terme de la première séance de cotation, la valeur de ses 80 % d'actions avait atteint 1,1 milliard de dollars (1,6 milliard ajustés).

Le succès mondial du film profite à Jobs : aux yeux des médias et du marché, il est toujours un visionnaire. Deux ans plus tard, il retrouve la tête d'Apple, alors au bord de la faillite. Il lance ensuite  l'iMac (1998), l'iPod, iTunes, l'iTunes Store (2003), l'iPhone (2007) et l'iPad (2010), faisant de son entreprise une des plus riches au monde au moment de sa mort, en 2011.

Sans le succès de Pixar et de Toy Story, Steve Jobs aurait-il présidé à la révolution du nomadisme numérique ?


« C'était comme aux débuts de Disney, quand le cinéma était nouveau et que l'animation en était à ses débuts, c'était une révolution technique. »
Ed Catmull, président de Pixar

Le vrai visionnaire de Pixar se nomme Ed Catmull. Depuis 1972, quand il a réalisé A Computer Animated Hand, le premier court métrage en images de synthèse (une animation d'une version vectorisée de sa main), cet ingénieur est convaincu qu'on pourra réaliser un film en images de synthèse au cours des années 1990. C'est pour atteindre ce rêve qu'il a créé au sein de Lucasfilms le Computer Graphics Group en 1984.

Parmi les ingénieurs de ce département de recherche en imagerie numérique, on trouve un animateur de 27 ans, John Lasseter. Il a débuté chez Disney en 1979 - avec son ami Tim Burton, issu de la même promotion de CalArts. En 1981, Lasseter a travaillé sur Tron, premier long métrage à recourir des effets spéciaux numériques. Cette expérience lui fait comprendre le potentiel de l'animation par ordinateur. Contestant le conservatisme qui règne alors dans les studios Disney, John Lasseter est licencié en 1983.

Avec les ingénieurs du Computer Graphics Group, Lasseter développe les premiers progammes d'animation d'images de synthèse. Afin de démontrer au marché leur potentiel, il réalise en guise des démos des courts métrages d'animation.

Le premier d'entre eux, Les Aventures d'André et Wally B. (1984) fait sensation. Lucas n'est guère convaincu du potentiel du nouveau médium. 

Toujours accroché à son rêve d'un long métrage cent pour cent numérique, Ed Catmull décide en 1986 de quitter Lucasfilm. Il approche Steve Jobs pour le rachat du Computer Graphics Group, rebaptisé Pixar.


Des débuts difficiles

Steve Jobs voit dans Pixar une société technologique pionnière, qui lui permettrait de vendre des logiciels novateurs à l'industrie du cinéma. En août 1986, l'année du rachat de Pixar par Jobs, une petite lampe de bureau et une balle, héros du premier court métrage de Pixar Luxo Jr, révélèrent aux créatifs de tous poils que l'ordinateur pouvait offrir de nouveaux horizons à l'animation.

En 1988, Disney utilise pour la première fois un programme de Pixar qui va révolutionner le cinéma d'animation : CAPS (Computer Animation Production System).

CAPS est testé pour la mise en couleur sur ordinateur de l'avant-dernière scène de La Petite Sirène, produit par Jeffrey Katzenberg, alors responsable de la division film de Disney. L'économie en temps et en main d'oeuvre est telle que dès l'année suivante, le studio Disney utilise CAPS sur tous ses films d'animation.

De prime abord, c'est un succès pour Pixar, car l'utilisation de CAPS impose les ordinateurs graphiques fabriqués par la compagnie. Mais ils coûtent une fortune - près de 30 000 dollars : en dehors de Disney, personne n'en veut.


Pixar a besoin d'un autre modèle économique. Quand le quatrième court métrage de Lasseter, Tin Toy (1988) remporte un oscar, Catmull persuade Jobs de réaliser un long métrage en images de synthèse dans la décennie qui suit.

Pour le financer, Jobs négocie un contrat de coproduction et de distribution avec Disney – presqu'entièrement à l'avantage de la maison-mère de Mickey. Pixar n'agit que comme un contractuel, qui prend tous les risques.

Le budget initial de 17,5 millions de dollars, avancé par Disney, est ridicule pour un film d'animation, a fortiori aussi expérimental et innovant. Par comparaison, Le Roi Lion (1994), produit au même moment coûta 79,3 millions de dollars, près de six fois plus.

Le contrat octroie à Disney la possession exclusive de l'histoire et des droits de suite ainsi que les droits de distribution. En cas de succès, Disney tire la majorité des bénéfices et dispose des droits de merchandising, ainsi que d'une option sur deux autres films de Pixar. Le géant peut se retirer à tout moment.Mais l'équipe de Pixar y croit.

« Disney, de son vivant, a intégré toutes les innovations techniques. » Après sa mort, le studio est tombé dans le conservatisme, ses cadres préférant capitaliser sur le patrimoine plutôt qu'innover. Pixar prend la succession avec Toy Story, forgeant un modèle qui va révolutionner le cinéma d'animation mondial.


« Pixar a choisi de créer une division d'ingénierie de très haut niveau d'un côté, et une équipe de gens très créatifs de l'autre. Chacun a excellé dans son domaine ».
Tom Sito

Les autres studios pionniers dans l'animation numérique étaient peuplés d'ingénieurs qui jouaient aux artistes amateurs, et de quelques vrais artistes qui essayaient de comprendre quelque chose à l'informatique » se souvenait en 2011 Tom Sito, ancien animateur chez Disney (Aladin, La Petite Sirène, Le Roi Lion...) et Dreamworks (Shrek, Le prince d'Egypte).

En 2004, nous avons pu voir l'illustration de cette double approche en visitant le studio de Pixar, à Emeryville, dans la banlieue de San Francisco. « Steve Jobs a conçu ce bâtiment  comme un cerveau, nous expliquait Ricky Nierva, character designer : A gauche de l'atrium, il y a les départements administratif et technique. A droite, les départements créatifs. Entre les deux, une passerelle, et les espaces de détente communs.» Soit les deux lobes du cerveau de l'animation numérique. 

Nombre des créatifs de Pixar à l'époque sont des anciens de Disney, déçus par le conservatisme du studio qui reproduit les mêmes recettes depuis des décennies et dégoutés par l'autoritarisme du responsable de la production des films Walt Disney, Jeffrey Katzenberg.

Détenant de fait les cordons de la bourse, Katzenberg aura son mot à dire sur le scénario du projet Pixar. Mais l'équipe de Pixar a négocié son autonomie artistique. La première intention de Catmull est de réaliser un moyen métrage de trente minutes, en guise de galop d'essai. Katzenberg réplique que l'équipe et les infrastructures à mettre en place permettraient tout autant de réaliser tout de suite un long métrage. Disney a plus à y gagner. Mais en cas d'échec, Pixar tout à y perdre.


Vers l'infini...

« Je crois que je peux y arriver. »
John Lasseter, en 1991.

Pixar est à la pointe technologique des nouvelles images. C'est ce qui fait sa force. Pour réaliser Toy Story, les animateurs utiliseront les programmes maisons, notamment RenderMan (basé sur un algorithme écrit par Catmull plus deux décennies plus tôt, durant ses études), un moteur de rendu photoréaliste qui permet de créer des textures, avec toutes les nuances d’ombre et de lumière, Marionnette, qui permet d’animer les personnages, et Menv (pour Modeling Environment).

Mais ces programmes, à l’époque, ont encore leurs limites. Le rendu des matières et des couleurs ne fonctionne pas pour ce qui est trop organique - notamment les êtres humains ou les animaux. D’où l’idée d’avoir pour personnages des jouets composés de plastique ou de métal. Autre avantage : on peut les faire évoluer dans un univers fermé - des chambres d’enfant - et leur petite taille permet de tronquer à l’image ce qui est encore difficile à rendre à l’image (on ne verra dans le film que des bouts de bras ou de jambe humains et des portions de décor extérieur).

Ce qui n’empêchera pas John Lasseter de tenter de repousser les limites : « Je demandais aux ingénieurs :’peut-on faire ceci ?’ Il répondait ‘non, mais essayons’. La recherche et le développement trouvait des solutions ou une alternative. ‘Oh, et peut-on faire cela avec ceci, alors ?’ Et on débouchait sur d’autres idées. »

« Quand ça fonctionne, c’est un instant magique, un peu comme dans les bons vieux films d'horreur, quand le savant fou donne vie à sa créature. »
Tony Fucile, animateur

...et au-delà

Un des premières versions de Woody et Buzz. (2007 Disney / Pixar. All Rights Reserved)

Un des premières versions de Woody et Buzz. (2007 Disney / Pixar. All Rights Reserved)

« Nous développons nos programmes pour les mettre au service de nos idées, et non l’inverse. »
John Lasseter

Durant les dix années suivant Toy Story, chaque film de Pixar sera l'occasion d'une petite évolution, opérée par les équipes de Rick Sayre, superviseur technique et l'un des vétérans du studio. Pour 1001 Pattes, l'animation des feuilles et des plantes. Pour Monstres et Cie, les poils et la fourrure.

Dans Le monde de Nemo, l'eau et la lumière. Jusqu’aux humains et leur peau - élastique, translucide et pigmentée - dans Les Indestructibles. Mais la technologie n’est pas la priorité. Dès la réalisation des premiers courts métrages, John Lasseter a retenu qu’une bonne histoire vaut toutes les démonstrations techniques.

Le scénario est remis sur le métier autant de fois que nécessaire. C'est le début d'une méthode d'écriture dont Pixar ne se départira plus. Une fois que l'idée d'un film est acceptée, le réalisateur travaille avec un ou deux scénaristes (head of story) et un concepteur artistique (character designer), nous expliquait en 2004 Mark Andrews, head of story. Ensemble, ils jettent les idées sur la table, font des croquis. Ce un work in progress peut s'étendre sur les quatre ans que dure en moyenne la production et la réalisation d'un film.

John Lasseter, Joe Ranft, Andrew Stanton, Pete Docter en 1995. (Deborah Coleman / Pixar/Walt Disney Photo Archives)

John Lasseter, Joe Ranft, Andrew Stanton, Pete Docter en 1995. (Deborah Coleman / Pixar/Walt Disney Photo Archives)

« En moyenne, les scénarios de Pixar subissent quarante mille retouches, nous expliquait le superviseur narratif Mark Andrews en 2004,  avec un record de 43536 retouches pour Le monde de Nemo ». Des consultants extérieurs, comme Joss Whedon, futur producteur de la série Buffy contre les vampires, interviennent.

Dès les premières moutures de Toy Story, Lasseter et ses partenaires rejettent le canon « conte de fée » des films Disney pour aborder des thèmes plus matures et réalistes tout en touchant les enfants.

Comme le résumera quelques années après Brad Bird, le réalisateur des Indestructibles et de Ratatouille : « L’erreur que tout le monde commet est de considérer que le cinéma d'animation s'adresse aux enfants. Non : c'est un médium, une méthode de narration. Pixar ne fait pas des films pour enfants. Nous les faisons tels que nous les aimons et nous espérons que les enfants, les ados, les adultes partageront nos goûts. Il n'y a pas de stratégie derrière. »

John Lasseter suit les préceptes du gourou du scénario Robert McKee, notamment, selon Lasseter, la règle qui veut qu'« il faut être concentré sur le développement du personnage principal, et sur la façon dont il évolue ».


De Tinny à Woody

Un des premiers dessins de recherche pour 'Toy Story'. Tinny, le héros de 'Tin Toy' était alors censé être le héros du film. (2007 Disney / Pixar. All Rights Reserved)

Un des premiers dessins de recherche pour 'Toy Story'. Tinny, le héros de 'Tin Toy' était alors censé être le héros du film. (2007 Disney / Pixar. All Rights Reserved)

Le premier synopsis reprend le personnage de Tinny, le jouet en fer blanc de Tin Toy, le court métrage oscarisé. « Notre histoire adoptera le point de vue du jouet alors qu’il perd et tente de retrouver ce qui est capital pour lui : que l’enfant joue avec lui. C’est le fondement émotionnel de son existence » . L’arc narratif de la futur trilogie est posé dès ce résumé.

Tinny prend conscience quand il est offert en cadeau d’anniversaire à un enfant. Oublié sur une aire d’autoroute et désemparé, il rencontre uune marionnette de ventriloque, égarée elle aussi. Ils prennent la route ensemble et après plusieurs aventures, se retrouvent dans une garderie – ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants pour jouer avec eux, aurait-on conclu. On le sait : ce récit du premier Toy Story sera différent. Mais ce premier jet inspirera dans Toy Story 3 le passé de Lotso l’ours.

Jeffrey Katzenberg, producteur du film au nom de Disney, aime l’idée des jouets qui prennent vie et leur quête existentielle. Mais le récit manque selon lui d’un enjeu dramatique entre les héros. Il suggère à Lasseter de s’inspirer de La Chaîne (The Defiant Ones, 1958) – un film de Stanley Kramer où un prisonnier blanc et un prisonnier noir surpassent leur antagonisme pour s’évader.

Le scénario remanié adopte cette trame : Tinny suscite la jalousie de la marionnette. Leur rivalité les fait chuter de la voiture familiale. Contraints de s’allier, ils échouent dans les mains d’un vilain garçon, qui les martyrise – le Syd de Toy Story.

L’équipe tient son histoire et son méchant. Mais on estime que Tinny est trop rétro pour le public des années 1990. Le nouveau jouet devient un ranger de l’espace, baptisé d’abord Lunar Larry, puis Buzz Lightyear, en écho à Buzz Aldrin, un des deux premiers hommes sur la Lune. En contraste au héros de la Nouvelle frontière, la marionnette prend les atours d’un cow-boy de l’ancienne, nommé Woody en hommage à Woody Strode, un des premiers acteurs afro-américains d’Hollywood – réminiscence de l’influence de La Chaîne ?

Une des premières versions de Woody, sous forme de marionnette de ventriloque, dessinée par Steve Johnson et Lou Fancher. (Deborah Coleman / Pixar)

Une des premières versions de Woody, sous forme de marionnette de ventriloque, dessinée par Steve Johnson et Lou Fancher. (Deborah Coleman / Pixar)

En juin 1992, l’équipe de Pixar a trouvé sa trame. Elle livre une scène test aux cadres de Disney. Techniquement, c’est concluant. Mais l’apparence d’une marionnette de ventriloque, avec sa mâchoire qui se détache, fait peur depuis un épisode célèbre de la série La Quatrième Dimension. On adoucit le personnage sous la forme d’une poupée de chiffons. Jugé trop tyrannique avec les autres jouets, Woody évolue aussi en grand frère bienveillant – simplement jaloux de Buzz.

L’ancien contre le nouveau est à même de parler aux adultes ou aux enfants, confrontés à l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur. Cela devient aussi une métaphore de Pixar/Buzz vs Woody/Disney et de leur alliance forcée pour aller “vers l’infini et au-delà” d’une animation en mutation.

Le Woody définitif dessiné par Bud Luckey, avec des couleurs deRalph Eggleston. (Deborah Coleman / Pixar)

Le Woody définitif dessiné par Bud Luckey, avec des couleurs deRalph Eggleston. (Deborah Coleman / Pixar)


Ajouts et recyclages

Le méchant cow-boy est recyclé en Stinky Pete dans Toy Story 2 et sa tyrannie née de son amertume caractérise Lotso dans Toy Story 3. L’effrayante marionnette revient dans Toy Story 4 où Tinny, le premier toy de la (success) story fait une apparition – hommage discret à John Lasseter.

Les petits extra-terrestres à trois yeux, fascinés par les pinces, apparus dans le premier Toy Story, sont nés lors d'un de ces brainstormings, mêlant mots et dessins. Pendant des mois, l'équipe ne parvenait à imaginer quels jouets Buzz trouverait dans le bac d'une salle de jeu. Quelqu'un murmura d'un ton mystique les mots : « la pince ! » Aussitôt jaillit l'idée que les jouets du bac devaient considérer la pince comme une divinité leur offrant la liberté. L'idée de secte fit penser à l'uniformité d'une civilisation isolée. Chris Sanders griffonna un petit extraterrestre à trois yeux.

Dessin de recherche pour lex extra-terrestres. (2007 Disney / Pixar. All Rights Reserved)

Dessin de recherche pour lex extra-terrestres. (2007 Disney / Pixar. All Rights Reserved)

Pour étoffer le scénario, Pixar fait appel à l’époque à des script-doctors. Parmi eux, Joss Whedon. Le féministe futur producteur de Buffy contre les vampires imagine une scène où une Barbie en mode Lara Croft secourt Buzz et Woody, prisonniers de Syd – ce qui aurait doté le film d’un personnage féminin marquant. Mais Mattel refuse de céder les droits pour ce premier Toy Story au destin incertain. Barbie jouera un rôle déterminant dans le troisième tandis que Bo la bergère exécute l’opération commando dans Toy Story 4. Chez Pixar, rien ne se perd de ce qui se crée…

Le casting voix

Jeffrey Katzenberg a initié le recours à des acteurs de renom pour doubler les personnages principaux des films Disney. Cela donne de la visibilité au film, offre des opportunités d'interviews plus attractives pour la presse et, si le choix artistique est bon, bénéficie à la profondeur émotionnelle des personnages.

Si au moment de l'enregistrement des dialogues de Toy Story (qui, en animation, précède la réalisation), Tom Hanks n'a pas encore remporté son premier oscar pour Philadelphia et n'a pas encore intégré la A-List hollywoodienne des acteurs bankables, Lasseter porte son choix sur lui pour interpréter les dialogues de Woody.

« Ce que j'aime chez lui, c'est sa capacité à être attachant, quelle que soit l'émotion jouée » expliquera Lasseter par la suite. « Même lorsqu'il hurle sur quelqu'un, il conserve quelque chose d'aimable. » Un choix crucial, guidé par le scénario, afin que Woody suscite encore l'empathie quand il commence à se comporter mal après avoir perdu sa place de favori.

Pour Buzz, Lasseter espérait Billy Crystal, qui refusa le rôle. C'est finalement Tim Allen, connu comme comique de stand-up, et habitué des personnages un peu suffisants – ce qui convenait à l'assurance innée de Buzz.


Un souci de réalisme

L'image numérique, en 1995, est encore peu familière. Toy Story reste un film d'animation, au graphisme stylisé. Mais il faut éviter que l'oeil du public soit déstabilisé par une esthétique trop artificielle. Le danger de la caméra virtuelle est qu'elle permet de tout faire, même ce qui serait impossible dans un film en images réelles.

Au contraire, Lasseter fixe pour règle de singer les mouvements classiques du cinéma : panoramique, travelling, champ-contre-champ. Il prend pour modèle des scènes de films classiques ou des techniques de mise en scène de réalisateurs célèbres. Pour développer les scènes et les personnages, on s'inspire de films en images réelles, classiques du cinéma.

On baptise « Branagh-cam » un mouvement de caméra qui encercle un Woody coupable d'avoir provoqué la chute de Buzz – copié du Frankenstein de Kenneth Branagh – ou « Michael Mann-cam » celui où la pseudo-caméra est fixée au pneu ou à l'avant d'un véhicule – comme dans les poursuites de la série Miami Vice produite par Mann. La poursuite finale est nourrie de celles de French Connection et Bullitt.

La musique

Un autre canon disneyen tient alors de la comédie musicale, avec des épisodes où les personnages chantaient eux-mêmes à l'écran. Lasseter estime que le procédé est désuet et fait sortir du récit. Les producteurs de Disney insistent sur la règle - qui est aussi source de revenus, puisqu'on peut encore, à l'époque, vendre des disques avec les chansons du film.

Un compromis est trouvé : les personnages ne chanteront pas, mais des chansons accompagnent les temps forts émotionnels. Le principe restera la marque distinctive des productions Pixar. Pour Toy Story, Randy Newman écrit et interprète notamment You Got A Friend In Me qui deviendra l'hymne de toutes la série.