Pas de cours et pas de profs. A Gembloux, une école fait sa révolution

L’école démocratique de l’Orneau pratique les pédagogies dites actives. Les adultes y accompagnent chaque enfant dans le développement de son talent particulier. Nous avons poussé la porte de cette école hors du commun.

Reportage 

Bosco d'Otreppe

Il est des lieux, même modestes, qui regorgent et débordent d’idées. Il suffit de pousser la porte de l’École démocratique de l’Orneau à Lonzée, dans la province de Namur, pour s’immerger dans une telle atmosphère. Ici, pas de cours, pas de classes, pas d’estrades ni de sonneries fatidiques à 8h30. Peu de repères en réalité – du moins pour qui n’a fréquenté que des écoles traditionnelles – mais un climat étonnant qui suscite la curiosité.

Sous la charpente de l’ancienne ferme qui héberge l’école, le silence, à 9h30, est presque religieux. Les trente élèves et les adultes qui les accompagnent sont assis en cercle et attendent le calme.

Des âges qui se croisent

Ce matin, si j’étais un animal je serais…”, lance à la ronde, après quelque temps de silence, un garçon de huit ans. Chacun de ses voisins, à son tour, termine sa phrase et évoque un oiseau, un prédateur de la savane ou un écureuil en quête de son butin. Quelques minutes plus tard, toujours lors du conseil matinal, les ateliers de la journée sont proposés, et les enfants évoquent leurs souhaits ou leurs besoins.

Qui veut profiter du printemps ira dans le jardin planter les salades et les carottes qui nourriront l’école dans quelques semaines. Qui souhaite terminer une cabane testera la résistance des matériaux et la solidité de ses nœuds. Qui a besoin de progresser en grammaire ou en mathématiques s’isolera dans une pièce du rez-de-chaussée. Qui souhaitera discuter de ses progrès ou de ses difficultés avec son “parrain”, le retrouvera et échangera pour retrouver son rythme.

Le matin, les ateliers se dérouleront en classes d’âge, l’après-midi les groupes se formeront librement. Le soir, tout le monde se retrouvera pour ranger l’école et clôturer la journée comme elle a commencé : dans le silence et le calme d’un conseil collectif. Là même où chacun, devant les autres, se frotte au difficile exercice de mettre des mots sur ses ressentis, ses besoins et ce qu’il a vécu durant la journée.

L’engouement pour les pédagogies actives

L’école démocratique de l’Orneau est à classer parmi les écoles qui pratiquent les pédagogies dites actives. Très en vogue et très diverses, ces pédagogies ont pour dénominateur commun de mettre l’enfant au cœur de son apprentissage en ne pratiquant pas un enseignement de type magistral, mais en le mettant en activité pour acquérir des connaissances.

Avec plus ou moins d’intensité, de nombreuses écoles cherchent à sortir des sentiers battus pour mieux s’orienter vers les pédagogies actives. “Je sens un vrai élan en ce sens en Belgique”, acquiesce Romain Gauthier. “L’engouement s’accélère car les expériences sur le terrain en suscitent d’autres, et les neurosciences leur donnent du crédit. Elles mettent en avant le fait que le cerveau se développe aussi grâce au plaisir ressenti ou grâce au jeu.

Offrir un cadre porteur

Lancée en septembre 2016, L’École démocratique de l’Orneau accueille une trentaine de jeunes âgés de 3 à 18 ans. Ils y suivent “des apprentissages autonomes et naturels : pas de cours, pas de prof, pas de notes, synthétise Romain Gauthier, un des cofondateurs du projet. Chaque enfant est accompagné à son rythme, dans sa motivation et son enthousiasme, pour réaliser pleinement ses talents avec l’aide du collectif. Le tout, dans un fonctionnement démocratique, dans un cadre responsabilisant et dans le souhait de promouvoir un développement soutenable” d’un point de vue écologique.

Un des fondements de l’école de l’Orneau est la certitude que chaque enfant est porteur d’un talent particulier, d’une vocation propre en quelque sorte. Et que l’adulte et la collectivité doivent pouvoir l’aider et lui offrir un cadre sécurisant pour qu’il puisse découvrir ce qui l’habite et le faire fructifier. Un des objectifs sera donc de multiplier les pratiques pédagogiques comme autant de portes d'entrée vers une matière.

On apprendra donc la géométrie aussi bien sur une feuille de papier, qu'en construisant une maquette ou en analysant une charpente avec un architecte invité par l'école.

La pédagogie ne s'appuiera pas sur une tradition pédagogique particulière (Montessori, Steiner, Freinet...), mais essayera (l'exercice est périlleux) de puiser à diverses sources.

Pour ce faire, l’adulte n’est pas tant un détenteur du savoir qu’un “facilitateur” qui se doit de montrer l’exemple par son attitude générale, de guider l’élève dans son apprentissage tout en se retirant sur la pointe des pieds pour lui faire gagner en autonomie. “Le Centre de développement de Harvard, expliquait Romain Gauthier lors d’une soirée de présentation de l’école à l’Université de Namur, prouve que c’est par l’apprentissage de l’autonomie dès le plus jeune âge et de façon progressive que l’adulte peut amener l’enfant à développer ses fonctions exécutives” que sont la mémoire, le contrôle de soi, le fait d’être créatif ou de rebondir face aux difficultés. “L’objectif est donc d’aider les élèves à poser des choix et à les assumer”, résumait-il encore.

Un rouage très serré pour faire tourner l’école

Le défi est donc de taille. Ce sont bien les enfants (jamais laissés à eux-mêmes pour autant) qui choisissent leurs ateliers et orchestrent leurs apprentissages. Ce sont eux et leurs familles qui déterminent quand poser les 180 jours de vacances qu’ils peuvent prendre par an, alors que l’école continue de tourner pendant l’été. Ce sont toujours ces enfants qui écrivent ensemble les règles de vie de l’école.

Cet apprentissage de l’autonomie et de l’interdépendance se fait progressivement dans le chef des enfants.

Chacun avance à son rythme. Pour certains c’est peut-être plus difficile que pour d’autres, mais on y parvient."
Alice, l’aînée des élèves

A 17 ans, Alice prépare le CESS, l’épreuve externe qu’elle devra affronter comme tous les élèves de la Belgique francophone. “Ce qui m’impressionne le plus c’est de voir toute l’organisation qui permet à l’école de tourner”, note-t-elle encore.

On sent que l’école démocratique de l’Orneau, inspirée des écoles démocratiques qui se sont multipliées en Allemagne, présente en coulisse un très large rouage pour accompagner les élèves au quotidien, pour leur offrir des apprentissages très divers, pour renouveler constamment les approches pédagogiques, pour les aider à s’auto-évaluer, mais aussi pour assurer le fonctionnement général, à moindre coût, de l’école.

Nous sommes une ASBL composée de six adultes salariés et d’une quinzaine de bénévoles qui viennent nous aider."
Romain Gauthier

"Je suis en contact avec le cabinet de la ministre de l’Education pour que nous soyons reconnus comme un projet pilote. Nous nous entourons aussi d’universitaires pour étudier la pertinence de notre modèle”, avance Romain Gauthier.

Le minerval, quant à lui, s’élève à 300 euros par mois. Ce montant ne couvre pas l’entièreté des frais, et l’école s’entoure du coup de mécènes et d’entreprises qui peuvent l’aider.

Il y a beaucoup d’ambition du côté de l’école de l’Orneau qui espère s’agrandir et intégrer un lieu où elle partagerait l’espace avec des artistes, des commerces durables, des maraîchers ou des habitats solidaires. Pour l’heure, si on perçoit que l’équipe trime pour suivre au mieux chacun des enfants, le sentiment est que les résultats sont bons.

J’apprends mieux, j’apprends même sans m’en rendre compte. Ce n’est pas qu’en écrivant sur une feuille que l’on peut apprendre les maths, c’est faux de croire cela.
Collin, 11 ans.

Si les pratiques de pédagogies dites actives ou alternatives qui foisonnent actuellement sont toujours débattues dans les rangs des psychologues, pédagogues et philosophes, l’Orneau se présente décidément comme une expérience à suivre.

Photos : Olivier Papegnies

Vidéos : Johanna Pierre