Close the Gap transforme
nos vieux “ordis” en outils de développement

Créée il y a15 ans, cette entreprise sociale belge s'est donné pour mission de faire le lien entre nouvelles technologies et coopération au développement.
Rencontre avec son fondateur-directeur à Nairobi.

Reportage
Pierre-François Lovens

Le numérique au service du développement est devenu le nouveau credo du ministre belge de la Coopération, le libéral flamand Alexander De Croo (lire, à ce propos, l’entretien paru dans “La Libre” du 31 mars). Et ça tombe bien puisqu’il cumule le portefeuille de la Coopération avec celui de l’Agenda numérique.

A l’automne 2017, cette alliance – qui pourra sembler incongrue aux yeux de certains – a pris forme avec le lancement de la plateforme “Digital 4 Development” (D4D) et du forum kindling.be, deux initiatives coordonnées par la fédération technologique Agoria et l’ASBL Close the Gap. L’ambition ? Rassembler des entreprises et des acteurs de la coopération au développement (dont les ONG) autour de projets visant à améliorer l’efficacité des projets belges de coopération au développement grâce aux technologies numériques.

Sur le terrain, les choses commencent à bouger. Fin mars, dans le cadre d’une mission tout à fait inédite ( voir, à ce propos, le dossier paru dans “La Libre Entreprise”), Close the Gap et l’ASBL Startups.be ont emmené des start-up et des ONG belges à Nairobi pour leur montrer que des solutions numériques répondaient déjà à de nombreux besoins de base (enseignement, soins de santé, agriculture, entrepreneuriat,…).

“Les entrepreneurs africains parviennent, avec des moyens bien plus réduits que les nôtres, à développer des solutions bien plus innovantes. C’est ce qu’on appelle l’innovation frugale”
Bart Cornille, expert en “transformation digitale” chez Enabel (Agence belge de développement), qui a vécu plusieurs années en Afrique et, notamment, à Nairobi.

Et ce, de façon souvent très innovante et avec un impact tangible sur la vie quotidienne des populations, notamment au sein du monde rural, que ce soit en matière d’accès à l’énergie solaire, aux micropaiements mobiles, à l’e-commerce, à l’éducation en ligne.

Le "Digitruck", une classe mobile 100% verte

Accueil solennel, discours officiels, visite, cérémonie d’inauguration, buffet… C’est un jour particulier sur le site occupé par les équipes de Computers for Schools Kenya (CFSK) et du centre Waste Electrical and Electronic Equipment (WEEE). Nous sommes à Embakasi, district situé à l’Est de Nairobi.Tom Musili, directeur général, est tout heureux de montrer aux start-up et aux associations belges de passage au Kenya, fin mars, “Mon rêve est de sortir du Kenya pour faire profiter d’autres pays africains de ce que nous avons réalisé ici, à Nairobi”, dit-il, saluant le soutien apporté par Close the Gap et son association sœur, WorldLoop, active dans le recyclage des déchets électroniques.

Un recyclage minutieux

Dans son action d’acheminement d’ordinateurs vers le Kenya, Close the Gap s’est assuré qu’ils ne termineraient pas leur vie dans des décharges locales. CFSK se charge donc de les récupérer auprès utilisateurs pour les confier au WEEE Centre. Les ordinateurs sont alors pris en main par des ouvriers, affublés d’un masque de protection contre les produits toxiques, de l’unité de recyclage.
Les différents composants (batteries, câbles, pièces de plastique, métaux,…) sont extraits et répartis soigneusement dans de grands bidons. Certains métaux et matières dangereuses seront renvoyés vers l’Europe. Le groupe belge Umicore, partenaire du projet, se chargera de leur traitement.

Dans un espace mitoyen, quelques personnes sont occupées à achever le reconditionner d’ordinateurs avant leur envoi dans des écoles du Kenya. Un local est aussi prévu pour organiser les formations des professeurs qui seront responsables du matériel informatique dans ces écoles.

Amener la formation dans les zones rurales

La cérémonie d’inauguration du jour peut démarrer. Il s’agit du tout premier exemplaire, pour le Kenya, d’un “DigiTruck”. C’est le septième du genre que Close the Gap et ses partenaires inaugurent en Afrique. “Avec ce type de camion, on va pouvoir aller à la rencontre de populations installées dans des zones rurales pus éloignées et leur proposer des initiations ou des formations aux outils numériques”, explique Olivier Vanden Eynde, fondateur et directeur de Close the Gap.
Le DigiTruck est en fait un énorme conteneur, de 12 mètres sur 3, transformé en classe mobile connectée. On peut y accueillir 20 ordinateurs de bureau et autant d’élèves. Cerise sur le gâteau : sur le toit du DigiTruck, on a installé des panneaux solaires afin de le rendre autonome en électricité.

La belle histoire d’un “Solvay boy”

Olivier Vanden Eynde incarne bien la nouvelle orientation “D4D” de la politique belge de coopération au développement. Et, à vrai dire, il la pratique depuis quinze ans !

Dès 2003, fraîchement diplômé de l’Ecole de commerce bruxelloise Solvay (ULB/VUB), ce parfait bilingue qui a grandi à deux pas du Musée royal de l’Afrique centrale, à Tervuren, crée Close the Gap (projet qu’il avait d’ailleurs initié, avec trois autres étudiants, sous la forme d’une “mini-entreprise” durant ses études). “J’avais la conviction que les nouvelles technologies du numérique allaient devenir rapidement un outil très efficace pour accélérer la lutte contre la pauvreté dans différents domaines, notamment dans l’éducation et l’entrepreneuriat”, nous a-t-il confié lors de cette mission dans la capitale kényane.

Pour contribuer à la réduction du fossé numérique entre Nord et Sud, le fondateur et directeur de Close the Gap a commencé par mettre en place une filière de récupération d’ordinateurs auprès de grandes entreprises actives dans Benelux (KLM, Proximus, Deloitte, Microsoft, Randstad, BNP Paribas Fortis,…) –  sociétés qui renouvellent très régulièrement leur parc informatique  – pour les envoyer en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud, après un reconditionnement minutieux des PC (suppression des données, réparation, nettoyage, etc.). “A ce jour, Close the Gap a déjà pu acheminer plus de 700 000 ordinateurs, dont la grosse partie en Afrique”, précise Olivier Vanden Eynde

22 - Close the Gap, qui aime s’afficher en tant qu’entreprise sociale, compte actuellement des projets dans vingt-deux pays africains (avec une majorité en Afrique de l’Est).

A chaque fois, l'association trouve un ou plusieurs partenaires locaux pour intervenir. A Nairobi, il s’agit de Computers for Schools Kenya (CFSK) et WEEE Centre. “Depuis nos débuts, on a voulu se démarquer de la logique du “donateur/bénéficiaire” pour entrer dans une logique de partenariat. D’égal à égal”, explique son fondateur.

Ce sont, par exemple, les partenaires locaux qui gèrent toute la chaîne de valeur : depuis l’importation des ordinateurs jusqu’à l’installation, la maintenance et la formation du personnel de support.

Une relation “fournisseur-client”

Une autre particularité, qui peut surprendre, tient au fait que les ordinateurs destinés à l’Afrique ne sont pas donnés gracieusement par Close the Gap (qui, il est utile de le préciser, ne reçoit aucun subside public).

En pratique, les partenaires locaux doivent acheter ces ordinateurs, même si c’est à des prix sans commune mesure avec ce qui leur serait demandé par des fabricants occidentaux ou asiatiques. Mais l’ASBL tient à nouer une relation “fournisseur-client”. En contrepartie, les utilisateurs finaux des ordinateurs (écoles, hôpitaux,…) bénéficient de deux ans de garantie et d’un entretien préventif deux fois par an.

Dans le cas spécifique des écoles (Close the Gap a déjà déployé plus de 150 000 ordinateurs dans 3 500 écoles kényanes), deux professeurs sont aussi systématiquement formés, au sein de chaque établissement, à la maintenance du matériel informatique. En cas de pépins, ce sont eux qui peuvent avoir accès à un service de “helpdesk” basé à Nairobi.

Ces trois dernières années, Close the Gap a entamé une réorientation progressive de son action. En gros, l’ASBL belge ne veut plus se limiter à la seule livraison d’ordinateurs. “Pendant de nombreuses années, on a déplacé des boîtes dans lesquelles on mettait des ordinateurs. Aujourd’hui, on veut aussi équiper ces ordinateurs avec des solutions qui répondent aux besoins locaux”.

Chaque élève ou professeur est accompagné d'un formateur pour son apprentissage des outils numériques.

Chaque élève ou professeur est accompagné d'un formateur pour son apprentissage des outils numériques.

Soutenir l’émergence d’écosystèmes locaux

Dans cet esprit, Close the Gap a noué un partenariat avec “Nailab”, un incubateur pour start-up situé au cœur de Nairobi. “Nos partenaires belges et hollandais sont en fait amenés à financer des “challenges” lors desquels des entrepreneurs kényans se réunissent pour trouver des solutions innovantes aux problèmes auxquels les populations locales sont confrontées”.

Un bon exemple est celui de Kytabu, une start-up fondée par Tonee Ndungu. Ce jeune entrepreneur a développé une application pour tablette qui permet d’accéder facilement, et à un prix très abordable, à des contenus éducatifs.Derrière cette nouvelle orientation stratégique, Close the Gap entend venir davantage en soutien d’écosystèmes locaux qui soient durables. C’est ce qu’elle fait d’ailleurs déjà au départ de Nairobi avec Computers For Schools Kenya et WEEE Center (lire ci-dessous).

Photos et vidéos : Pierre-François Lovens