A Bruxelles, des personnes à mobilité moins réduite

A Bruxelles, des personnes à mobilité moins réduite

Se déplacer à Bruxelles lorsque l'on est une personne à mobilité réduite (PMR) s’apparente à un parcours du combattant. Trottoirs étroits et encombrés, routes pavées, bordures infranchissables en chaise roulante, infrastructures de transport peu adaptées ou dysfonctionnelles... Les obstacles sont partout. L'urbanisme a besoin d'être repensé en fonction de ces usagers afin de leur assurer autonomie et accessibilité.

Reportage
Gaëlle Deleyto (St.) et Valentine Van Vyve

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Erik de Velder s'engage dans un carrefour fréquenté de la capitale. Le feu pour les piétons est passé au vert, mais ça ne durera pas bien longtemps : à peine quelques secondes pour saisir les roues de sa chaise et traverser cet axe important, depuis l'arrêt de tram jusqu'au trottoir d'en face. Sur son chemin, un nouvel obstacle : une marge en brique (un "dévers") a été ajoutée pour accéder au trottoir. Malheureusement pour Erik, celle-ci est bien trop pentue pour lui permettre de la monter à l'unique force de ses bras. Et la "lacune verticale", ce petit centimètre entre la voirie et le dévers, "non prévu en théorie mais bel et bien présent", condamne l'accès au trottoir. L'étroitesse de celui-ci ne lui permettrait de toute façon pas de tourner vers la gauche, la direction qu'il doit emprunter pour aller prendre le bus.
Qu'à cela ne tienne, il s'aventure dans la circulation. Le geste de la main qu'il esquisse depuis sa position assise à destination des automobilistes pour leur signaler sa présence est peu visible.

Malgré la présence d'un arrêt de bus à proximité, Erik est obligé de rejoindre le suivant : ici, impossible d'embarquer dans le véhicule, pourtant équipé d'une rampe et d'un emplacement pour PMR.
"Souvent, alors que les transports sont convenablement équipés, ce sont les aménagements de voiries qui sont inadaptés", commente Miguel Gerez, Directeur de l'ASBL Accès et Mobilité pour Tous (AMT Concept). Egalement en chaise, il est cependant assisté lorsqu'il se déplace. Une assistance qui s'avère primordiale tant les obstacles sont nombreux.
Au moment d'embarquer dans le bus, une rampe mécanique glisse du véhicule vers le trottoir. Sa pente est néanmoins trop forte pour y entrer sans un coup de pouce. Erik, qui se déplace régulièrement seul, doit alors "demander de l'aide à un autre usager et dès lors reporter sur lui une charge importante." Le problème est d'autant plus grand lorsqu'il se trouve seul à l'arrêt.

L'autonomie se joue à deux centimètres

On ne le verrait pas, tellement cet obstacle pour monter dans le tram semble relever du détail. Mais pour les PMR, chaque détail compte : une différence de niveau ("lacune verticale") d'à peine 2 cm, en plus du décalage horizontal entre la rampe et l'entrée du véhicule, exige d'Erik un effort physique conséquent.
"Je suis habitué, mais au début, c'était très compliqué, commente-t-il. Notre autonomie se joue à ces 2 cm près là". On le constate encore à chaque changement de revêtement du sol, lorsque la pierre bleue du trottoir fait place aux pavés inégaux de la chaussée, rendant la traversée dangereuse et impossible sans assistance. "Le minimum, à ce moment-là, c'est de demander à un piéton de marcher à mon côté, pour signaler ma présence aux automobilistes", explique Erik en se dirigeant vers l'arrêt de bus convoité. Il ne se trouve pourtant qu'à quelques dizaines de mètres de sa destination finale. Mais à Bruxelles, ça monte et ça descend ! Impossible d'emprunter une forte pente, sans quoi, "ce serait un aller simple pour la vie !, commente-t-il avec humour. Chaque trajet doit être précisément planifié".

"On doit prendre en considération chaque facteur : la destination, l'heure, le type de transport public, l'arrêt de montée et de descente, la météo, puisque la pluie ou la neige rendent les sols glissants et donc impraticables en chaise."

Erik de Velder

Il évite autant que possible, par exemple, de prendre les transports en commun lors des heures de pointe. "Chaque nouvel itinéraire est stressant", dit Erik, dont le fauteuil tangue alors que le chauffeur freine un peu brusquement.

Le service Phare - un mécanisme indépendant qui apporte information, orientation et interventions financières aux personnes handicapées en Région bruxelloise - dresse aussi ce constat : "En ville, les obstacles sont nombreux et rendent la vie quotidienne de personnes en situation de handicap plus contraignante."
"Une personne est à mobilité réduite lorsqu’elle est gênée dans ses mouvements en raison de sa taille, de son état, de son âge, de son handicap permanent ou temporaire ainsi qu’en raison des appareils ou instruments auxquels elle doit recourir pour se déplacer", selon la définition qu'en donne les auteurs du "Cahier de l'accessibilité piétonne" (lire ci-dessous). Ce sont donc les personnes qui présentent des difficultés motrices, auditives ou visuelles.

35 à 40 %

En Belgique, environ 1/3 de la population est à mobilité réduite.

On estime qu'il y a entre 35 et 40 % de PMR en Belgique (c'est aussi la moyenne européenne). "Il y a beaucoup de personnes en chaise roulante, mais on ne les voit pas, regrette Erik. Notre participation à la vie quotidienne a des limites", poursuit-il.
Malgré leur nombre élevé, les PMR sont effectivement encore insuffisamment prises en considération dans l'aménagement du territoire et des transports.

Le manque d'accessibilité a des répercussions manifestes sur l'exclusion d'une partie de la population de l'espace public et de sa capacité à prendre part, de manière autonome et simple, aux activités sociales, culturelles et économiques.

"Tout le monde se plaint de la qualité des transports publics. Imaginez ce que pourraient en dire les personnes à mobilité réduite ! Les effets de ce qui est mal pensé sont amplifiés", s'amuse Erik, qui constate tout de même, comme Miguel, des "évolutions positives" dont "les effets se font sentir un peu plus chaque jour".

Miguel et Erik attendent le bus qui les amènera au musée

Des évolutions positives

Pour permettre l'autonomie des PMR, chaque situation problématique soulevée lors du parcours effectué par Erik et Miguel trouve une solution par la négative : combler les lacunes verticales, limiter le degré des pentes, uniformiser les revêtements de sols, adapter les voiries aux transports, aménager des arrêts de plain-pied...

"Il s'agit de prendre comme norme et référence les personnes à mobilité réduite lors de l'aménagement (ou du réaménagement) de l'espace public."

Miguel Gerez, président de l'ASBL AMT Concept

Cela suppose "avant tout un changement de culture", pense Miguel Gerez. Selon le directeur d'AMT Concept, Bruxelles Mobilité, qui gère les projets d'aménagement, de renouvellement et d'entretien des espaces publics et des voiries, ainsi que les infrastructures de transports en commun, est "exemplaire" en ce qu'elle instaure de nouvelles dynamiques et inclut dans la réflexion les acteurs de différents secteurs, dont la société civile.
L'exemple le plus parlant est sans doute celui de la Commission régionale de la Mobilité section PMR. Ce groupe de réflexion rassemble des représentants de différents types de handicaps et des pouvoirs publics (Bruxelles Mobilité, Administration de l'Aménagement du Territoire et du Logement, Bruxelles Environnement, STIB). Usagers, habitants, syndicats et employeurs complètent un panel de 78 membres chargés d'émettre des recommandations sur certains plans de réaménagements.

Les obligations légales sont quant à elles reprises dans le Règlement Régional d'Urbanisme. En cours de révision, sa nouvelle mouture "renforcera l'accessibilité afin d'être d'avantage en accord avec le Cahier de l'accessibilité piétonne", un véritable référentiel des bonnes pratiques en matière d'aménagement des voiries et des transports, souligne Pierre-Jean Bertrand pour Bruxelles Mobilité.

"Le Cahier de l'accessibilité piétonne énonce les difficultés rencontrées pour chaque type de handicap et propose des solutions techniques aux chefs de projet pour lisser les non-conformités présentes sur les 1800 km de trottoirs et d'espaces piéton des 19 communes."

Pierre-Jean Bertrand, responsable PMR à Bruxelles Mobilité.

Ce texte de référence porte une attention particulière à la largeur du cheminement selon la fréquentation, à la pente, au dévers, aux obstacles, au revêtement, à la planéité, aux traversées, à l’éclairage, aux feux lumineux, à la lisibilité et la compréhension des carrefours, aux bordures d’accès aux aménagements, aux arrêts des transports publics et au mobilier urbain. A la suite de cet état des lieux propre à chaque commune, Bruxelles Mobilité travaille à mettre ces recommandations en pratique, en élaborant des plans d’accessibilité de la voirie et de l’espace public (PAVE).

Le PAVE de chaque commune, approuvé, devient un plan complémentaire communal, un modèle à suivre pour les futures aménagements de voirie ou d'espace public.

Ainsi, il constitue "un outil permettant l'accessibilité progressive de l’ensemble du territoire bruxellois", soutient Pierre-Jean Bertrand.

"handistreaming", le handicap comme référence

La mesure Handistreaming engage les gouvernements à prendre une série de mesures qui visent à solliciter de manière systématique les personnes handicapées ainsi que les associations. L’objectif : faire en sorte que chaque nouvel investissement intègre la réalité du handicap dès la conception des projets (transports publics, voiries,nouvelles infrastructures…). Premières concernées par ces changements, les personnes en situation de handicap pourront ainsi évaluer l’impact positif ou négatif d’une décision et ce de manière consultative.

Aujourd’hui, les pouvoirs locaux bruxellois souhaitent encourager la politique d’Handistreaming en apportant son soutien aux communes qui désirent mettre en place des dispositifs spécifiques, en incitant notamment la désignation de fonctionnaires handicontact. Ces fonctionnaires locaux seront présents dans chaque commune pour s’assurer de la bonne mise en œuvre du Handistreaming. L’idéal de design universel ou d’accessibilité pour tous pourrait ainsi devenir un référent pour les travaux et services concernés.

Aménager le territoire

"Mon plus grand souci, ce sont les trottoirs", insiste Erik de Velder. Sans une gestion optimale de ces espaces, il est effectivement impossible à toute personne, et a fortiori d'avantage encore aux PMR, de se déplacer en toute sécurité. AMT Concept recommande ainsi de les élargir à 2 m plutôt que le 1,50 m actuel et de limiter les dévers à 2 %. "Quand cette pente transversale qui permet d’évacuer les eaux vers la chaussée est supérieure à 2 %, elle demande un effort musculaire plus important et présente un risque de basculement pour la personne en chaise roulante", soulève Miguel Gerez. La meilleure solution consiste à infléchir le trottoir à l'endroit de passage avec la chaussée.

"L'aménagement des trottoirs a un coût raisonnable dont les effets sont extrêmement importants."

Miguel Gerez

Au rang des bonnes pratiques, il faut par ailleurs penser à harmoniser les niveaux et les revêtements du sol, privilégiant les surfaces lisses, mais non glissantes et antidérapantes, puisque "la chaise roulante ne peut pas franchir un ressaut de plus de 2 cm", pointe Miguel Gerez.

Pour les personnes mal voyantes, "il est primordial de supprimer les obstacles de la zone de marche", appuie Pierre-Jean Bertrand. En cas d'absence de lignes de conduite naturelles (constituée d'éléments de terrain naturels et continus comme des façades, des murs, des bordures), il convient d'en intégrer dans le revêtement du trottoir. Des revêtements podotactiles sont utilisés pour le guidage et l'orientation, entre autres, vers les passages pour piétons.

Crédit : cahier de l'accessibilité piétonne

Crédit : cahier de l'accessibilité piétonne

Enfin, tout nouveau feu de signalisation est équipé d’un système acoustique qui sécurise les traversées piétonnes.

Quant aux personnes présentant une déficience auditive, elles ont besoin d’une "perméabilité visuelle (circulations larges et dégagées, rectilignes), d’un contraste visuel (entre le trottoir, la chaussée et piste cyclable), d’un éclairage suffisant, et d’un environnement calme", mentionne Bruxelles Mobilité.

Quelles solutions pour améliorer l'accessibilité des PMR ?

Trottoirs, revêtement des sol, fonctionnalité des infrastructures, Erik de Velder, usager, évoque des pistes pour améliorer la mobilité des PMR.

Dans les transports en commun

"Au quotidien, la Stib rend son réseau de plus en plus accessible aux personnes à mobilité réduite", insiste Pierre-Jean Bertrand.

Dans le cadre de son "plan AccessiBus", la société de transports en commun bruxelloise a installé un système de signalétique spécial pour renseigner le degré d'accessibilité des arrêts de certaines lignes de bus. "Les pictogrammes que l'on retrouve sur les panneaux des arrêts informent de l'accessibilité ou non du véhicule. Le vert signifie que l'embarquement et le débarquement s'effectuent en autonomie ; le pictogramme orange prévient d'une assistance nécessaire. Si aucun des logos n'est mentionné, c'est que l'arrêt est inaccessible", explique Erik. Cette signalitique doit cependant être envisagée au "cas par cas", à l'aune de la diversité des handicaps, soulève l'usager.

Tous les bus sont par ailleurs à plancher bas et sont équipés de rampes rétractables, permettant aux PMR de monter à bord via de larges portes. La grande majorité dispose par ailleurs d'un emplacement réservé aux personnes en fauteuil. Les derniers bus articulés mis en service offrent encore des améliorations : un plancher antidérapant et 6 places réservées aux PMR.

Actuellement, une cinquantaine de stations de (pré-)métro sont équipées de rampes et d'ascenseurs. Toutes disposent de dalles de vigilance le long des quais, de dispositifs de marquage au sol associés à des panneaux signalétiques en Braille. Des annonces visuelles et vocales sont opérationnelles dans toutes les rames.

Si les nouveaux modèles de métro sont plus bas et dès lors plus accessibles, il existe encore un espace entre le quai et les voitures. La Stib a dès lors mis en place un service d'assistance sur demande. "Il faut appeler une heure à l'avance pour être sûr d'en bénéficier au moment voulu", détaille Erik. Une équipe d'agents de la Stib prend en charge la personne handicapée depuis la station de départ jusqu'à celle d'arrivée.

"C'est un service primordial que l'on fait avec plaisir. Quand un ascenseur est défectueux, cela complique les choses et allonge le trajet... mais on trouve toujours une solution".

Un agent de la Stib.

Quant aux trams, ils ne sont pas encore tous adaptés. Seuls les modèles T3000 et T4000 sont équipés de rampes rétractables et d'un espace adapté aux fauteuils, rendus souvent inutilisables par une zone d'embarquement inadaptée. Idéalement, un arrêt doit contenir "un guidage podotactile vers la première porte du tram, une zone de cheminement de 1,5m libre d’obstacle entre le bord du quai et tout mobilier urbain, une hauteur du quai visant à réduire le plus possible la marche à franchir pour entrer dans le tram et enfin un accès au quai le cas échéant par une rampe de 5% maximum", énumère la Stib.

En effet, pour qu’un transport public de surface soit accessible, il faut d’une part que ses véhicules soient accessibles mais que les arrêts le soient également. Or, c'est souvent là que le bât blesse, constatent Erik et Miguel. Le "Plan de mise en accessibilité de la Stib" vise à pallier ce manque.

L'objectif est de rendre accessible 600 à 700 arrêts tous les dix ans. Les 2000 arrêts que compte la Région bruxelloise devraient être aux normes d'ici 30 ans.

A noter que ce plan ne se limite pas aux arrêts mais vise aussi à aménager leurs abords, ce qui participe à étendre le réseau de voiries accessibles.

"Se déplacer demande beaucoup d'énergie, c'est une activité en soi. Mais s'il faut faire preuve de beaucoup de volonté, cela en vaut largement la peine", ponctue Erik, s'avouant néanmoins fatigué par le trajet de deux heures qu'il vient d'effectuer.

Photos et vidéos : Gaëlle Deleyto

Ces applications qui changent la vie des PMR

Certains développeurs ont décidé de mettre leurs compétences au profit d’applications utiles. Une solution pour améliorer le quotidien des personnes en situation de handicap.

Parmi les plus insolites, on retrouve l’application I Wheel Share. Connu pour sa capacité à cartographier l’accessibilité d’une ville et à proposer des "bons plans" en fonction des besoins, cet outil vise aujourd’hui à apporter une aide en temps réel grâce à un logiciel automatique du nom de Wilson. Toilettes, cinémas, salles de sport, – il raconte même des blagues, l’appli permet d’accompagner sereinement l’utilisateur dans ses déplacements et s’adapte à chaque handicap, qu’il soit moteur, visuel ou auditif.

Dans la même veine, l’application collaborative Jaccede permet – à la manière de Tripadvisor – de donner son avis sur l’accessibilité d’un restaurant, d’une salle de sport ou encore d’un logement. Les contributeurs ajoutent du contenu et informent les autres utilisateurs des zones en plain-pied, de la lisibilité des enseignes, ou encore des ascenseurs présents ou non sur les lieux.

L’application Streetco fonctionne quant à elle comme un GPS en fournissant à l’utilisateur l’itinéraire comprenant le moins d’obstacles possible. Grâce à la participation de sa communauté, Streetco vous alerte en temps réel des zones de travaux, des escaliers ou des trottoirs impraticables sur votre chemin grâce à un système de guidage vocal.

Google Maps propose également depuis un moment une version "fauteuil roulant" pour le calcul des itinéraires. Une option démontrant une certaine volonté de bien faire, même si l’outil connait encore quelques lacunes, car les informations ne sont pas toujours mises à jour.

Enfin, la nouvelle application destinée au tourisme à Bruxelles "Handy Brussels" sera lancée le 24 avril.