Trouver chaussette
à leur pied

Trouver chaussette
à leur pied

Chaque dimanche, près du quartier de Wazemmes à Lille, l’école publique de Saint-Exupéry-Mme de Ségur accueille un événement insolite. La récupération et le tri de chaussettes « orphelines » afin de les redistribuer aux personnes dans le besoin.

Reportage
Gaëlle Deleyto (St.)

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Sur le boulevard, Nathan, cofondateur de l’association lilloise Sock en Stock, accroche les derniers panneaux pour indiquer le chemin aux participants. Le bâtiment désaffecté et déserté par les élèves depuis plusieurs mois est chauffé juste pour l’occasion. Mais aujourd’hui pas de dictée ni de tables de multiplication, l’heure est à la leçon de tri. 25 kilos de chaussettes « orphelines » attendent les bénévoles.

Chaque semaine, les bénévoles donnent de leur temps pour trier des kilos de chaussettes orphelines.

« On va commencer par trier les chaussettes par pointure à l’aide des toises que nous disposerons sur la table, puis on effectuera ensuite un tri par couleur avant de reformer des paires. Les chaussettes trouées ou en mauvais état iront directement dans le carton indiqué au bout de la table » explique minutieusement Léa, cofondatrice de l’association. Ana, la maman de Nathan, ne perd pas de temps et commence par scotcher les « toises » - le petit patron en papier d’une pointure - au bord des tables. La petite fourmilière de bénévoles se met au travail et très vite les montagnes de chaussettes diminuent. Le tri devient ludique, et telle une épreuve de jeu télévisé dans laquelle il faut faire preuve d’une mémoire incollable, on s’encourage et se félicite dès qu’une paire est reformée.

Donner ses chaussettes : un geste utile

L’initiative peut faire sourire. Qu'importe pour Léa Gonzalez et Nathan Bounie, qui ont décidé d’y consacrer leur temps libre. C’est en janvier 2017 qu’ils ont décidé de répondre à un besoin en créant Sock en Stock. « Comme beaucoup, j’avais un lot de chaussettes orphelines chez moi au fond du placard et ça me rendait un peu dingue de voir que les associations en avaient besoin » se souvient Léa.

«On ne pense pas à donner ses chaussettes et pourtant avoir les pieds au sec, c’est une question de dignité.»

Léa Gonzalez, co-fondatrice de l’association Sock en Stock

En effet, les chaussettes font rarement l’objet de dons. Pour une raison simple : personne n'a le réflexe de les amener - au même titre que des pulls, des pantalons ou des écharpes - auprès des associations. Parce que subsiste toujours l’espoir de pouvoir reformer un jour ces couples séparés ou, tout simplement, pour des questions d’hygiène. Dans le même temps, les associations se montrent pour leur part très demandeuses de ce vêtement de première nécessité.

Après le tri par pointure, il faut trier minutieusement les chaussettes par couleur et par motif avant de pouvoir reformer des paires cohérentes.

Léa et Nathan ont donc décidé de ne pas rester les bras croisés et d'agir. Rapidement, ils ont décidé de placer des points de collecte partout dans la ville. Aujourd’hui, après quelques tâtonnements sur la logistique, ils sont fiers d’inaugurer leur tout nouveau local, prêté gracieusement par la mairie. Un grand pas pour l’association.
« Avant on stockait et on triait à la maison dans notre deux pièces en compagnie des amis et de la famille. C’était un peu artisanal, mais on arrivait à faire environ 250 paires par semaine ! » confie Léa. Les paires de chaussettes, préalablement récoltées et lavées - à haute température afin de s’assurer de leur propreté et d’éliminer d’éventuelles souches bactériennes - pourront ainsi être redistribuées la semaine suivante.

Des besoins financiers pour se développer

Pour permettre à l’association de sensibiliser davantage la population, Nathan et Léa ont mis en place des ateliers de tri hebdomadaires ouverts au public, moyennant une somme de 10 euros. Ces frais d’adhésion peuvent freiner certains participants, mais ils sont nécessaires pour payer toutes les dépenses cachées et surtout pour une question d’assurance. Sock en Stock puise à ce jour sur des fonds propres pour étendre son activité.

«J’invite tout le monde à adhérer même si vous venez à un atelier ou deux dans l’année. L’idée c’est vraiment de participer en fonction de ses moyens et de ses capacités.»

Léa Gonzalez, cofondatrice de l’association Sock en Stock

Un aspect financier qui comprend son lot de difficultés lorsqu’on se lance dans le milieu associatif. Pour prétendre à des fonds publics, il faut répondre à un certain nombre de critères. Les délais étant plutôt longs, il faut donc s’armer de patience pour débloquer des aides ou des appels à projets. D’autant plus lorsque l’on exerce un job à temps plein à côté. Mais Léa et Nathan restent confiants.

Un maillon de la chaîne de solidarité

Afin de répondre aux besoins de chaque public, Sock en Stock travaille actuellement avec une quinzaine d’associations (Samu social, ActionFroid, Utopia56…). Les demandes sont très diversifiées et vont de la petite enfance aux hommes adultes, aux foyers de femmes enceintes, aux familles en situation de précarité ou encore aux migrants. Les partenaires commandent alors des colis de paires, puis se chargent ensuite eux-mêmes de la redistribution. « La maraude est un exercice qui demande une bonne connaissance de la population en grande précarité et chaque association a sa manière de le faire, et le fait très bien depuis des années. C’est une expérience qu’ils ont, donc autant la respecter et la valoriser. » soutient la co-fondatrice.
Chacun peut se rendre utile, à son échelle, en faisant une lessive chez soi ou en proposant des navettes pour les collectes et les livraisons. Aujourd’hui, c’est cette chaîne de solidarité qui permet de répondre à toutes les demandes et de faire avancer l’association et les dons.

Vers un circuit de recyclage des chaussettes

Si les chaussettes unies finissent facilement en paires, les chaussettes à motif quant à elles, sont un vrai calvaire à reformer. Que faire de cette orpheline rose tigrée qui se languit au fond du tiroir et ne retrouvera sans doute jamais sa moitié ? En partenariat avec un projet mené par des étudiants en ingénierie textile, l'association réfléchit à un moyen de teindre ou de déteindre les chaussettes pour faciliter le processus. Une manière de valoriser toute la matière.

« Peu importe les obstacles, ce qu’on fait est valorisant, on a l’impression de faire quelque chose et d’être un petit colibri, et ce même si c’est à une petite échelle.»

Léa Gonzalez, cofondatrice de l’association Sock en Stock

En attendant, les chaussettes trouées ou en mauvais état sont données pour être recyclées. « On travaille notamment avec l’association Magdala dans le but de rembourrer des tissus pour en faire des boudins de porte, des coussins, des couvertures et d’autres objets pouvant améliorer le quotidien des personnes dans le besoin. » souligne Nathan.

Mais l’aventure Sock en Stock ne compte pas s’arrêter à la ville de Lille. L’idéal serait de sensibiliser et de mobiliser la population à l’échelle du pays. Sans oublier les pays voisins, puisqu’à Waterloo un point de collecte Sock en Stock a été installé et n’attend plus que vos chaussettes. « Les Belges sont un super public voisin ! On a de très bons relais. À Namur et à Liège, on a déjà des connaissances qui font la collecte pour nous. » s’enthousiasme Léa.
Le mystère de la chaussette disparue au lavage n'est pas encore percé, mais au moins en ressort-il quelque chose d'utile.

Photos et vidéo : Gaëlle Deleyto

611 kg

Depuis septembre 2017, Sock en stock a récolté 611 kilos de chaussettes orphelines et distribué près de 5159 paires aux personnes en situation précaire. Bien que l’association soit sur le front toute l’année, les mois les plus froids sont ceux où la demande est plus forte. En décembre, elle a donné près de 1800 paires.

Selon une étude de l’ONS (Office for National Statistics), un individu britannique vit en moyenne 81 ans, ce qui implique qu’il risque de perdre 1264 chaussettes durant sa vie. En moyenne, un individu perdrait 1,3 chaussette par mois durant le cycle du lavage, ce qui équivaut à 15,6 chaussettes par an.