Du champ à l'assiette des enfants

Du champ à l'assiette
des enfants

Cantines scolaires, maisons de repos, crèches et autres CPAS... Les repas proposés dans les collectivités n'ont pas toujours bonne réputation.
Il est pourtant possible d'offrir des plats préparés durables et de qualité. C'est en tout cas le pari de "La Cuisine des champs", une entreprise proche des producteurs implantée à Fernelmont (Province de Namur).

Reportage
Valentine Van Vyve

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"L'alimentation en collectivité n'est pas synonyme de malbouffe !" Céline Ernst en est persuadée : il est possible de fabriquer des plats de qualité avec des produits locaux à destination de toutes ces structures et de leurs publics spécifiques.
Jeanne Collard, CEO de "La Cuisine des Champs" appuie les propos de sa responsable commerciale et environnement : "Lorsque l'on a analysé la qualité des repas scolaires, on s'est dit qu'il était indispensable, et possible, de faire beaucoup mieux. Que l'on pouvait servir les collectivités avec des produits de qualité à des prix démocratiques."

Au départ concentrée sur des activités de traiteur, son entreprise "TCO Service" a répondu en 2002 à un marché public qui visait à fournir des repas aux écoles communales d'Ottignies Louvain-la-Neuve. Elle le remporte.
Ce pari va redessiner les contours de la société, qui s'attachera désormais à fournir des repas simples à base de produits sains, en se fournissant auprès de filières de production courtes.

Les repas chauds seront livrés aux écoles, crèches, maisons de repos et CPAS le jour de leur préparation. D'autres sont préparés la veille et livrés froids.

Une démarche globale

La recherche de qualité se traduit, quelques années plus tard, par l'introduction de produits bio dans les menus. Aujourd'hui, la "Cuisine des champs" compte 20 % de produits certifiés bio dans ses préparations alors que 25 % sont produits localement. "L'objectif est d'augmenter cette part pour arriver à 25 % de bio et 60 % de local", ambitionne Céline Ernst.

Les plats se composent de 20% de produits certifiés BIO et 25% de produits locaux

D'un projet d'alimentation saine, il deviendra au fil du temps plus globalement celui d'une d'alimentation durable, intégrant régulièrement de nouveaux critères afin de respecter des objectifs tant en matière de santé, que d'environnement ou de social.
La santé des travailleurs mais aussi des consommateurs est au centre des préoccupations. Outre la qualité des aliments qui les composent, les plats sont mûrement pensés par une diététicienne.
Sur le plan social, la "Cuisine des champs" entend revaloriser le métier de cuisinier. Un partenariat existe ainsi avec une entreprise de travail adapté de la région et permet à des personnes bénéficiaires du revenu d'intégration sociale d'y travailler à la découpe des légumes. Elle remplit ainsi les objectifs d'insertion socio-professionnelle qu'elle s'est fixée.

Des formations en alimentation durable et des ateliers d'éducation nutritionnelle dans les écoles complètent la liste de ses efforts en la matière.

Si "La Cuisine des champs" privilégie la distribution en grands volumes dans des plats en inox, elle est obligée de portionner, d'emballer et d'étiquetter les repas cuisinés pour les crèches ainsi que pour les bénéficiaires du CPAS.

Moins de déchets, moins de viande et de l'énergie verte

Le souci environnemental s'incarne quant à lui dans une panoplie d'initiatives. Au-delà de l'usage de produits variés, bio, de circuit court et donc de saison, "La Cuisine des Champs" veille à limiter ses emballages au maximum en privilégiant le vrac. Ce qui permet au passage de réduire le gaspillage alimentaire. Elle diminue également la quantité de viande dans ses menus.
"Une chose qui, il y a cinq ans, était inenvisageable pour le consommateur", se souvient Jeanne Collard.

En 2015, une nouvelle cuisine (équipée exclusivement avec du matériel de récupération) a vu le jour dans le zoning industriel de Fernelmont, "au milieu des champs et au plus proche des producteurs", favorisant ainsi les circuits courts.
Pour compléter le tout, 299 panneaux photovoltaïques ont été installés sur les 1200 m² de toiture, qui produisent 30 % des besoins énergétiques de ces installations.
Le bâtiment, éco-performant, est par ailleurs équipé de pompes à chaleur et d'un système de récupération des eaux de pluie.

Les "4P", une vision à 360°

La Fondation pour les Générations futures, en tant qu'organisme de soutien aux acteurs d'initiatives durables, propose son modèle de la durabilité selon une "vision à 360°". Dans celle-ci, le cercle est divisé en quatre quadrants, soit autant de piliers dont "l'intégration et l'arbitrage quotidiens" sont indispensables à la soutenabilité d'un projet. "Ce modèle permet de prendre en compte la complexité du monde", souligne Benoit Derenne, directeur de la Fondation.
Chaque quadrant représente une catégorie sur laquelle porter son attention : c'est le modèle des "4P", pour planet, people, participation et prosperity. Limiter l'impact environnemental, organiser la participation de tous au processus de prise de décision, augmenter le bien-être au travail en remettant l'humain au centre de la réflexion et en assumant la responsabilité sociale de l'entreprise, assurer la viabilité économique et stimuler l'économie locale permet de développer un projet global favorable aux générations futures.

"Quand on entend 'durable', on pense peu à la prospérité -à ne pas confondre avec la course au profit. Pourtant, la viabilité d'une entreprise en dépend. Et cette prospérité permettra d'aller plus loin dans la durabilité du projet : en augmentant le seuil de rentabilité, on peut par exemple augmenter la part du bio et du local, qui est coûteuse", soulève Sandrino Holvoet, coordinateur des actions transversales de la Fondation.

"La Cuisine des champs", finaliste du Grand Prix des Générations futures en 2016, est un projet exemplaire en matière de durabilité puisqu'elle tente d'intégrer "toujours davantage" chacune de ces variables. "Le développement durable est un état de progression continu, c'est un processus de transformation, rappelle Benoit Derenne. Il implique d'arbitrer continuellement les variables, ce qui implique des adaptations dans le fonctionnement et par conséquent des produits mis sur le marché."

Un approvisionnement difficile

Idéale sur papier, la démarche reste, dans les faits, compliquée. "Elle ne s'inscrivait dans les habitudes ni des producteurs ni des collectivités", explique Jeanne Collard, qui joue donc la courroie de transmission entre les uns et les autres. "Il a fallu démarcher les producteurs et sceller avec quelques-uns des partenariats, explique-t-elle.

"Il est difficile d'avoir les garanties d'un approvisionnement de qualité en quantité suffisante et en flux réguliers."

Jeanne Collard, CEO de "La Cuisine des champs"

Les prix sont fixés au cas par cas. Vu l'énergie dépensée à régler ces soucis logistiques, Jeanne Collard verrait bien ce rôle de lien assumé par des "légumeries" ou tout autre opérateur intermédiaire. En centralisant les produits des maraîchers, ils "mutualiseraient l'offre" et se chargeraient de fixer les prix des produits.

Un levier économique local

"La demande pour la qualité est croissante", constate Céline Ernst. Le secteur de l'alimentation durable représente "une opportunité économique", appuie la fondatrice de "La Cuisine des champs".

Aujourd'hui, l'entreprise emploie 22 personnes. Elle dispose de 17 cuisines dispersées sur le territoire afin de s'approvisionner et de délivrer le plus localement possible. Ensemble, elles réalisent 15 000 repas journaliers à destination de 150 écoles, 100 crèches et 3 maisons de repos.

2 millions d'euros

Le chiffre d'affaires de La Cuisine des Champs

Fille d'agriculteur, Jeanne Collard fait, comme beaucoup, le constat d'une agriculture en grande difficulté. Selon elle, les collectivités constituent une "sortie de secours" pour les agriculteurs et maraîchers. Malgré cela, "il est encore difficile de les convaincre de l'opportunité que ces collectivités représentent pour eux", insiste la fondatrice de La Cuisine des champs.

Non satisfaite de sa propre réussite, Jeanne Collard entend "marquer significativement le secteur économique". "Après avoir remporté des marchés publics aux dépens de grands acteurs de l'agroalimentaire, ceux-ci ont dû se remettre en question, explique-t-elle. Nous faisons quelque peu bouger les lignes et, en cela, nous sommes probablement une locomotive dans notre domaine. En espérant que l'essaimage se poursuive et que de nombreux wagons s'accrochent à nous."

Photos : Johanna de Tessières
Vidéo : Valentine Van Vyve

Marchés publics, frein et tremplin

Le développement durable intéresse le politique. En témoigne la présence d'élus locaux, régionaux et fédéraux lors de la rencontre organisée par la Fondation pour les Générations futures à "La Cuisine des Champs" dans le cadre de sa "Tournée Générale". Des visiteurs qui étaient amenés à avancer des pistes de réflexion sur la manière dont les politiques locales peuvent influencer de telles structures.

Alors que le circuit court est de plus en plus valorisé, il existe actuellement un flou autour de ce qu'est un produit "local". Établir la clarté autour de cette notion est une piste d'action politique jugée essentielle. Ceci particulièrement au vu de son impact au moment de répondre aux marchés publics, dont dépend fortement le secteur. "S'ils constituent de ce fait un tremplin, ils sont aussi un frein, tant les cahiers des charges sont peu adaptés à la notion de durabilité et ne prennent en compte que les résultats et les coûts immédiats", explique Jeanne Collard. "Cela nécessite une vision à long terme et moins étroite, dans laquelle on tient compte des coûts réels et des facteurs externes", commente Patrick Dupriez, co-président d'Ecolo.

Si la fondatrice de "La Cuisine des Champs" applique la politique des petits pas pour répondre aux défis sociétaux et environnementaux actuels, elle compte sur "l'impulsion politique" pour encourager les démarches responsables. "Les représentants politiques se doivent de s'adapter aux changements portés par la collectivité", ponctue Benoit Derenne.
Motif de satisfaction: "La Cuisine des Champs" sert aujourd'hui de modèle exemplaire à l'Apaq-W, l'Agence wallonne pour la promotion d'une agriculture de qualité.