Solidarité, diversité et durabilité dans le même sac

Solidarité, diversité
et durabilité dans le même sac

La quarantaine passée, Gaëlle van der Haegen a décidé de changer de vie et de créer des sacs à main qui incarnent les valeurs qui lui sont chères.

Reportage
Laurence Dardenne

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Yuso, inspired by diversity. "En coréen, Yuso signifie 'histoire, origines', nous explique Gaëlle van der Haegen, un nom bien belge pour un visage d'Asie. Je suis née en Corée et, à l'âge de 7 ans, j'ai été adoptée, comme cinq autres frères et sœurs venus de Thaïlande, Corée et Colombie, par une famille belge qui compte dix enfants". Histoire de dire que la diversité, elle connaît. Elle aime.
Et, manifestement, elle l'inspire au point d'y avoir fait référence sur sa marque belge de sacs à main haut de gamme. "Au même titre que le partage, la solidarité ou la durabilité, la diversité fait partie des valeurs que je souhaite véhiculer à travers mes sacs", nous confie la créatrice et designer de Yuso, dans cet atelier d'insertion sociale où, ce jour-là, une douzaine d'élèves de toutes origines s'appliquent à coudre des vestes, dans une ambiance à la fois sérieuse et détendue.

Car c'est bien aux apprentis de l'ASBL FAE (Formation et aide aux entreprises), située à Anderlecht, que la créatrice a choisi de confier la manufacture de ses collections. En l'occurrence de jolis sacs, colorés, élégants, joyeux, faits de cuir et de tissu, aux finitions soignées. Ce nouveau modèle, qui vient d'être produit en édition limitée (dix-huit sacs en cuir et neuf en tissu) se nomme 'Tiphaine'. "C'est le nom d'une de mes sœurs. Tous mes sacs portent et porteront le nom d'une femme de la famille: Sophie, Brigitte, Jade, Nicole, Yuko, Mila, Tiphaine…", sourit Gaëlle.

Des voyages et des événements décisifs

Avant d'en arriver à cette nouvelle collection, il y a toute une histoire, un long chemin parcouru dans la tête de la créatrice et un faisceau d'événements qui ont engendré l'avènement de la marque. Après avoir travaillé vingt ans dans les ressources humaines, l'envie lui vient de changer d'air et "trouver un job un peu créatif".
Quant à l'idée de créer plus précisément des sacs à main, elle est venue par hasard. Notamment suite à deux
voyages: l'un dans son pays natal, la Corée du sud. "C'était un retour aux sources qui m'a donné l'envie de faire une activité qui me reconnecte avec mes origines."
Le second voyage co-responsable de ce nouveau départ, ce sont des vacances à Barcelone pour lesquelles elle part - en vain - à la recherche d'un sac de plage qui lui convient. C'est ainsi que, faute d'avoir trouvé, l'idée surgit de créer elle-même le sac de ses rêves.
Heureuse coïncidence, elle reçoit au même moment une newsletter proposant des cours de couture, auxquels Gaëlle, à présent âgée de 46 ans, s'inscrit aussitôt. Nous sommes alors en 2015. "Pendant un an, j'ai fait des sacs, et des sacs, et de sacs alors que d'autres élèves faisaient des vêtements. Pour moi, c'est devenu clair. C'est ce que je voulais faire."

Des valeurs sociales et environnementales

En juillet 2016, la créatrice sort sa première collection. Ne se considérant pas comme une professionnelle de la couture, elle s'adresse à des ateliers d'insertion professionnelle pour la confection. Un événement majeur, à l'entendre, l'a convaincue de choisir cette option : les attentats de Bruxelles.
"J'étais dans le tram à ce moment-là, se souvient-elle, les transports en commun se sont arrêtés. Voir cet élan spontané d'entraide, de cohésion humaine et de générosité qui s'est alors mis en place, tout cela m'a fort émue. Ce fut comme le déclic décisif. Je voulais que ma marque de sacs à main puisse aussi véhiculer cette valeur de solidarité et promouvoir l'acceptation de la différence. D'où le slogan 'Yuso, inspired by diversity'. Et donc, dans cet esprit, pour le côté social, j'ai souhaité travailler avec des ateliers d'insertion socioprofessionnelle. C'est ainsi que l'on m'a recommandé l'atelier Mulieris, qui travaille avec Stromae pour sa marque Mosaert, et l'ASBL FAE, qui a l'avantage de travailler aussi le cuir, en plus du tissu."

"J'aimerais que les femmes qui portent mes sacs adhèrent à mes valeurs. Et qu'elles soient donc prêtes à payer peut-être un peu plus cher parce que c'est "made in Belgium", fabriqué par des ateliers d'insertion sociale, avec des chutes de cuir, faits pour durer…"

Gaëlle van der Haegen, fondatrice de Yuso

A ce propos, Gaëlle van der Haegen aime préciser qu'elle travaille avec des chutes de cuir, rachetées auprès de tanneries, de maroquiniers, de déstockage ou d'autres créateurs. Pour quelles raisons? "Dans un souci écologique, de développement durable, de non-gaspillage, nous explique-t-elle. En récupérant des morceaux de cuir qui n'ont pas été utilisés, on ne tue pas d'autres animaux. Je veux vraiment véhiculer une marque avec des vraies valeurs, des valeurs authentiques, sociales, écologiques, de développement durable, de respect de la nature et des animaux. Des valeurs qui me sont chères. Je ne prône pas la surconsommation. Dans cet esprit, je ne fais pas des grosses productions. Ce sont des séries limitées; des pièces uniques. Chaque personne qui porte un sac Yuso sait qu'elle possède une pièce que toutes ses copines n'auront pas. Je veille à acheter des cuirs de qualité, même s'ils ont parfois un défaut, qui ont un bel aspect et dont je sais qu'ils vont perdurer. Afin que l'on puisse les porter longtemps et ne pas les remplacer après quelques années."

L'atelier d'insertion socioprofessionnelle, comment ça marche?

Créée en 1986, l'ASBL FAE est un Centre de formation et d'aide aux entreprises, qui propose deux formations: l'une en textile et l'autre en cuir et daim. Ces formations, qui s'étalent sur une année scolaire (septembre à juin), s'adressent à des demandeurs d'emploi, qui sont ainsi plongés dans des conditions de travail réelles. Elles se clôturent par un mois de stage dans divers ateliers situés à Bruxelles. A l'issue de la formation, les étudiants qui ont réussi leur examen, reçoivent une attestation d'agent en confection textile ou cuir et daim.

Au niveau de la rétribution, la fondatrice de Yuso paie l'atelier pour la confection de ses sacs. Une fois le prototype réalisé, l'ASBL estime le coût de fabrication par pièce de production.
Exemple pour le sac 'Tiphaine', version tissu et version cuir, respectivement vendu au prix de 120 € et 150€: la main -d'œuvre pour la confection a été estimée à 25 € et 35 €.
Il faut ajouter à cela le coût des matières premières (environ 20 - 25 € pour le cuir), accessoires pour la bandoulière, tirettes,…
Les sacs sont en vente dans des boutiques où l'on vend principalement de créations belges ainsi que via l'e-shop.
Symbole de la marque, la libellule (Zanzali en coréen) est le seul mot dont Gaëlle van der Haegen se souvient encore de sa petite enfance, lors de ses premières années vécues dans son pays natal.

Plus d'infos: www.yuso.brussels

Un prix juste pour un travail d'artisan local

Enfin, si les prix (de 85 € pour un modèle en tissu à 655 € pour un modèle en cuir) peuvent ne pas paraître accessibles à certains, c'est que la créatrice a fait le choix du travail local. "J'aurais pu opter pour une fabrication à l'étranger, mais à partir du moment où l'on choisit de travailler en Belgique, les coûts sont plus élevés. J'assume ce choix parce qu'il renforce davantage mes principes. J'aimerais que les femmes qui portent mes sacs adhèrent à mes valeurs. Et qu'elles soient donc prêtes à payer, peut-être un peu plus cher, parce que c'est "made in Belgium", fabriqué par des ateliers d'insertion sociale, avec des chutes de cuir, fait pour durer…"

Photos : Johanna De Tessières
Vidéo : Semra Desovali