Comme les Legos,
les maisons de demain seront réversibles

Comme les Legos,
les maisons de demain seront réversibles

Imaginez une maison dont la façade en briques se démonte quasiment sans outil. Imaginez un immeuble de bureaux dont la moquette, fournie et entretenue dans le cadre d'un contrat de leasing, peut être facilement enlevée et entièrement recyclée pour donner vie à un nouveau tapis de sol. Imaginez des cloisons qui se démontent et se déplacent simplement pour agrandir un espace ou transformer un bureau en chambre…

Reportage
Gilles Toussaint

Suivez-nous sur Facebook : https://www.facebook.com/LalibreInspire/

Si elle n'est pas encore très répandue, cette nouvelle approche de la construction axée sur le réemploi des matériaux n'est pas qu'un fantasme d'ingénieur. Elle est même au cœur de la réflexion de toutes une série d'acteurs -architectes, fabricants de matériaux, entreprises de construction… -­ qui se sont rassemblés à Bruxelles il y a quelques jours pour faire le point sur l'état d'avancement du projet BAMB (Buildings As Material Banks).

Financé par l'Union européenne, ce programme a pour vocation d'accélérer la transition vers ces modes de construction dite "circulaire" ou "réversible".

Réutiliser puis recycler

"Il faut avoir à l'esprit que lorsque l'on construit un bâtiment, celui-ci a généralement une durée de vie d'une cinquantaine d'années, voire davantage quand il s'agit de logement, et malheureusement moins pour les immeubles de bureaux où le turn-over est plus important", souligne Nicolas Scherrier, spécialiste de ces questions à Bruxelles Environnement (IBGE).

En partenariat avec la Confédération de la construction et le Centre technique et scientifique de la construction ou encore l’ASBL Rotor qui est vraiment un acteur clef dans ce dossier, la Région bruxelloise travaille depuis plusieurs années sur la façon d'accroître le réemploi de ces matériaux. "Il s'agit prioritairement de récupérer ce qui est réutilisable en l'état : des matériaux de finition (briques, carrelages, plancher...) qui constituent le plus gros gisement, des châssis de fenêtres, un escalier, des canalisations, des sanitaires ou encore du matériel électrique. Mais aussi, en second lieu, des éléments bruts comme du béton qui est recyclé pour refaire du béton", illustre notre interlocuteur.

Penser sur le long terme

Le projet BAMB, qui mobilise des partenaires venus de toute l'Europe, entend pousser la logique nettement plus loin. Son objectif ? Faire du réemploi une norme dans la construction en concevant dès le départ le bâtiment et les éléments qui le composent pour qu'ils soient aisément récupérables.
Il peut s'agir du système constructif lui-même, en faisant appel à des connexions réversibles (des systèmes d'emboîtement avec des vis plutôt que du ciment-colle, en schématisant) ­ qui permettent de déplacer aisément des cloisons ou de rendre les équipements sanitaires facilement amovibles, poursuit M. Scherrier.

"En augmentant sa flexibilité, on augmente aussi la durée de vie de l'immeuble."

Nicolas Scherrier, spécialiste des déchets de construction à Bruxelles Environnement

"On travaille également sur la modularité qui passe par la standardisation de certains éléments comme la longueur des poutres. En augmentant cette flexibilité, on augmente aussi la durée de vie de l'immeuble, puisque cela permet par exemple de transformer des bureaux en logements sans trop de difficultés." Une flexibilité qui passe par ailleurs par un positionnement réfléchi des canalisations et des murs porteurs afin de pouvoir réaménager le bâtiment sans endommager sa structure.

Un passeport pour faciliter la traçabilité des matériaux

Pour faciliter la récupération et la réutilisation des matériaux présents dans un bâtiment, les différents acteurs impliqués dans le projet BAMB utilisent un "passeport matériaux". Un système qui constituera en quelque sorte le dossier médical de votre habitation.
L'idée est de prendre en compte dès le départ le fait que le matériel utilisé dans une construction aujourd'hui doit pouvoir être ressorti dans 50 ans, explique Nicolas Scherrier.
"Prenez l'exemple d'une poutre structurelle en acier, poursuit l'expert de l'IBGE. Aujourd'hui, quand on la met dans un bâtiment, on sait exactement où et par qui elle a été fabriquée, de quoi elle est constituée, sa portance, etc. Mais cinquante ans plus tard, on ne connaît plus toutes ces informations. Cela nécessite de refaire des tests et c'est très difficile.
Par contre, si on établit dès le départ un "passeport matériaux", on disposera de ces données. Un document que l'on actualisera au fil du temps, en indiquant que l'on a peint cette poutre avec une peinture particulière ou qu'on lui a soudé un élément. Grâce à ce suivi, on saura si on peut réutiliser cette poutre directement sans se poser de questions. A condition bien sûr qu'elle soit encore en bon état, mais pour cela il existe des protocoles de maintenance."
Un système qui aurait été bien utile, par exemple, pour identifier la présence d'amiante dans certains immeubles.

Un placement financier

Actuellement, observe encore l'expert de l'IBGE, les principaux obstacles à la récupération des matériaux dans les bâtiments existants (et qui n'ont donc pas été écoconçus à l'origine) sont le coût et le manque de temps : "Cela fait appel à pas mal demain-d’œuvre et on doit reconstruire rapidement. C'est donc plus simple de détruire." On le fait donc essentiellement quand le coût du démontage est couvert par la revente de ces matériaux et les frais épargnés sur le traitement des déchets. "On n'arrive pas à tout récupérer, mais on fait au mieux en fonction des contraintes propres à chaque chantier."

"Il y a une vraie dynamique qui est enclenchée et nous souhaitons que ces principes deviennent rapidement un standard de la construction comme le certificat de performance énergétique (PEB) l'est aujourd'hui."

Nicolas Scherrier, spécialiste des déchets de construction à Bruxelles Environnement

La philosophie BAMB pour sa part veut tendre vers 100 % de réutilisation. "Une poutre en métal coûte beaucoup plus cher aujourd'hui qu'il y a cinquante ans. Et pour certains matériaux, cela va continuer à augmenter car on atteint un pic et ils vont être de moins en moins disponibles. Avec BAMB, l'idée est vraiment d'investir dans ces matériaux comme s'il s'agissait d'un placement financier et de les entretenir durant la durée de vie du bâtiment", argumente Nicolas Scherrier.
A la fin de ce cycle, non seulement ce placement aura pris de la valeur, mais il pourra resservir, ce qui justifie le surcoût initial.
Le secteur de la construction bruxellois commence à avoir une réelle expertise dans ce domaine, se réjouit le représentant de l'IBGE, citant notamment le collectif Rotor qui présentera prochainement un guide des bonnes pratiques en la matière; le projet Bric en cours dans le centre de formation EFP; les lauréats de l'appel à projets Chantiers circulaires ou encore la reconversion d'une ancienne résidence pour étudiants de la VUB.

Photos : IBGE / Gilles Toussaint
Vidéo : Gilles Toussaint