A la Cycloperativa, le vélo devient moteur du lien social

A la Cycloperativa,
le vélo devient moteur
du lien social

Tous les lundis soirs, en plein cœur du quartier Anneessens à Bruxelles, l’asbl Cycloperativa accueille gratuitement celles et ceux qui désirent réparer leur vélo.
Les habitants du quartier s’y rassemblent aussi pour échanger et s’entraider.

Reportage
Lauranne Garitte

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Froid. Venteux. Pluvieux. Sombre. En ce lundi soir, il fait un temps à ne surtout pas mettre une bicyclette dehors. Quelques braves et valeureux cyclistes ont pourtant poussé la porte du 124 rue Van Artevelde, dans le quartier Anneessens à Bruxelles.
Chaque arrivée est accueillie par un "bonjour" collectif, tantôt saccadé, tantôt en chœur, qui réchauffe instantanément ces visiteurs frigorifiés, passionnés des deux roues. Cet endroit chaleureux, c’est la Cycloperativa, "een association van Bruxellois(es) waar on apprend à réparer des vélos et à travailler en cooperatie", indique le site drôlement bilingue de l’association.

Jacques Dutronc en fond sonore, plusieurs personnes s’attellent à la réparation de leur engin. "Ici, on répare ensemble", souligne Yannick d’Otreppe, bénévole dans l’asbl depuis près de cinq ans : "Il n’y a pas de prof ni d’élève". Certains semblent déjà bien autonomes, comme ce jeune garçon néerlandophone originaire d’Inde. Agé d’une douzaine d’années, il s'applique consciencieusement à la restauration d’une roue pour son vélo. "C’est un habitué", commente un autre bénévole, "il vient presque tous les lundis !"
Pendant que deux filles s’entraident, une bière à la main, Yannick explique le fonctionnement d’un frein à Bilal, un jeune du quartier, présent pour la deuxième fois.

Le vélo pour tous

"Notre constat de base lors de la fondation de l’asbl était le suivant : l’accès au vélo est simple, bon marché et permet une mobilité facile et agréable. Cependant, les gens n’ont souvent ni la connaissance ni l’accès à la réparation. Certains publics n’ont même pas les moyens d’investir dans un vélo", détaille Yannick d’Otreppe.

"Dans la tête d’une partie des automobilistes,
le cycliste est perçu négativement alors qu’il est le meilleur ami des voitures contre les embouteillages. C’est quand même paradoxal, non ?"

Yannick d’Otreppe, bénévole à la Cycloperativa.

La Cycloperativa entend promouvoir et défendre la pratique du vélo en ville dans une démarche coopérative mais aussi dans un but social. "En s’installant dans ce quartier, l’objectif est de faire se rencontrer des personnes venant de milieux divers. Il y a les ‘hipsters’ du coin, les vieux du quartier, les petits kets issus de l’immigration, etc. Ici, pas besoin de chercher un sujet de discussion, tout le monde est là pour travailler sur son vélo", ajoute-t-il.
Cette cohésion sociale se confirme dans l'atelier. On entend parler toutes les langues : du néerlandais au français, en passant par l’arabe et l’anglais. L’âge des participants, lui aussi, varie. Et naturellement, la solidarité et l’entraide s’instaurent.

Bien plus qu’un atelier vélo

Le concept. Née il y a 5 ans, l’asbl Cycloperativa propose un atelier vélo hebdomadaire tous les lundis soirs, des ateliers mobiles et des activités autour de la communauté vélo. Ses bénévoles mettent notamment à disposition un espace et une utilisation gratuite d’outils et de composants neufs bon marché pour la réparation des bicyclettes.
Leur credo : lutter contre l’impact de la domination de la voiture à Bruxelles, et améliorer l’environnement et la qualité de vie grâce au vélo. Comment ? Via la cohésion sociale, les savoirs locaux et la mixité du quartier qui sont des vecteurs fondamentaux pour plus de solidarité et d’entraide en vue d’un accès plus aisé à une mobilité douce.

La "vélonomie". L’asbl est guidée par un objectif : la vélonomie. Ce mot inventé de toutes pièces signifie le pouvoir du vélo par le vélo. Autrement dit, la récupération, le matériel de seconde main, l’apprentissage coopératif, le "Do It Yourself" sont autant de manières de rendre le cycliste autonome dans sa pratique quotidienne.
Et plus les cyclistes sont autonomes, plus nombreux ils sont sur nos routes.

Un engagement sur plusieurs fronts

Tous les lundis, de 18h à 21h, une équipe de bénévoles se rend disponible gratuitement pour coacher ceux qui désirent réaliser une petite réparation ou qui voudraient retaper un deux roues de A à Z.
"Notre projet ne se résume pas à cette action. Nous organisons aussi des ateliers mobiles à la demande, lors d’événements de quartier ou dans les écoles dans un but constant d’éducation au vélo", complète Yannick.
S’ajoutent à ces ateliers des activités conviviales autour de la communauté vélo, comme les masses critiques, des manifestations à bicyclette, organisées simultanément les derniers vendredis du mois dans plus d’une centaine de villes dans le monde, dont Bruxelles.
Pendant ces explications, une jeune femme entre, la cape de cycliste trempée : "Mon vélo couine, j’aimerais comprendre pourquoi". "Un vélo qui couine, ce n’est jamais bon…", rétorque un bénévole sur un ton amusé, en s’agenouillant devant la bicyclette pour tenter de comprendre d'où vient le problème.

La récup’ avant tout

Le projet de la Cycloperativa est né il y a cinq ans sans aucun financement structurel. "On a toujours voulu rester autonomes et ne pas dépendre des politiques avec qui nous ne sommes pas toujours d’accord. On participe de temps en temps à des appels à projets ponctuels, comme des contrats de quartier", détaille Yannick.
Au départ, les ateliers avaient lieu dans un local généreusement prêté. Depuis un an, la Cycloperativa profite d’un bail précaire mis à disposition par la Ville de Bruxelles.
Dès le début, le matériel de réparation s’est constitué grâce à la récupération de stocks de divers ateliers ainsi que via la contribution des participants qui rapportaient des pièces d’occasion.

"Si seulement la phrase 'You’re not stuck in the traffic, you’re the traffic' ('Vous n’êtes pas bloqué dans les embouteillages, vous êtes les embouteillages') pouvait inciter certains automobilistes à opter pour la bicyclette...

Yannick d'Otreppe

"Cette démarche environnementale de récupération est également au cœur de notre projet. Et cela permet la gratuité de l’atelier", poursuit le jeune bénévole.
Un étage plus bas, on découvre la caverne d’Ali Baba du cycliste : quelques vélos en attente de réparation sont entreposés et un tas de pièces d’occasion sont soigneusement rangées dans des boîtes. Tout y passe : pneus, jantes, dynamos, phares, pédales, freins, etc.
De temps à autre, un bénévole ou un participant de l’atelier y descend pour trouver la pièce qui résoudra les maux de son vélo. Il remonte ensuite dans l’ambiance chaleureuse de l’atelier avant de regrimper, plus tard, sur cette bicyclette qu’il aura fièrement dépannée de ses propres mains.

Photos : Alexis Haulot
Vidéo : Semra Desovali

Trois questions à Yannick d’Otreppe

Administrateur et bénévole à l’asbl Cycloperativa

Quelle est la place du vélo dans les rues de Bruxelles aujourd’hui?
Le vélo est encore trop inconsidéré dans notre capitale. Le meilleur exemple : certains projets de voiries récents ne tiennent pas compte des cyclistes. Dans la tête d’une partie des automobilistes, le cycliste est perçu négativement alors qu’il est le meilleur ami des voitures contre les embouteillages. C’est quand même paradoxal, non ?
Si l’image du vélo en ville pouvait changer dans la mentalité des autres usagers de la route, on gagnerait en mobilité.

Comment peut-il contribuer à améliorer cette mobilité?
Le champ est vaste, à commencer par la fin des voitures de société. Ensuite, il faut éduquer au vélo, chez les jeunes notamment, en leur faisant changer de mentalité.
Le rêve, ce n’est pas d’avoir sa golf GTI, mais ça peut être de rouler sur un beau vélo. Pour les plus âgés, si seulement la phrase "You’re not stuck in the traffic, you’re the traffic" ("Vous n’êtes pas bloqué dans les embouteillages, vous êtes les embouteillages") pouvait inciter certains automobilistes à opter pour la bicyclette...
Après, il y a un grand travail à réaliser auprès des entreprises et des travailleurs. Et enfin, pour une pratique plus sereine du vélo en ville, les autorités doivent aménager l’espace public en pensant systématiquement au vélo.

Qu'apporte l’asbl Cycloperativa dans ce débat ?
Nous, on montre que la pratique du vélo en ville, contrairement à ce qu’on pense, c’est facile. En apprenant gratuitement les bases de la réparation à ceux qui le souhaitent, nous mettons des cyclistes supplémentaires sur nos routes.
Nous supprimons effectivement ce qui peut freiner des cyclistes en devenir, tel que le coût ou la complexité des réparations. Or, plus il y a de cyclistes sur les routes, mieux ils seront considérés.