Live in Color, tisser les liens de l'intégration

Live in Color, tisser les liens de l'intégration

A Liège, l’association «Live in color»propose bénévolement aux réfugiés des formations et des activités.
Au coeur de cette démarche, une formule originale de parrainage de familles et de mineurs étrangers non accompagnés (Mena) par des citoyens locaux. Les jeunes qui en bénéficient en sortent métamorphosés.

Cet article est publié dans le cadre de l’initiative de journalisme d’impact de Coding for Peace \/ Coder pour la paix, une organisation sans but lucratif vouée à faire émerger des solutions pour promouvoir le pacifisme et lutter contre la haine.

Cet article est publié dans le cadre de l’initiative de journalisme d’impact de Coding for Peace / Coder pour la paix, une organisation sans but lucratif vouée à faire émerger des solutions pour promouvoir le pacifisme et lutter contre la haine.

Reportage : Valentine Van Vyve
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« Où est Haziz ? Il ne voudrait pas venir traduire la discussion? Je ne parle pas bien français », s'excuse timidement Amir. Dix-sept ans... « et demi », ajoute-t-il en souriant, gêné mais fier d'avoir apporté cette précision.

Tout de jean vêtu, Amir, dix-sept ans et demi donc, est assis à côté de sa marraine, Maggi, qui l'observe d'un oeil malicieux mais surtout bienveillant, alors qu'il répond d'une voix timide.

« J'en apprends aussi beaucoup, fait-elle remarquer. Je ne pose généralement pas beaucoup de questions ». Il ne faut pas longtemps, pourtant, pour noter la complicité qui unit ce jeune Afghan de la région de Kandahar à Maggi, mère de famille en région liégeoise.
"Notre rencontre tient du hasard. Je voulais agir, quelle que soit la tâche", raconte-t-elle de manière posée mais enthousiaste. Elle a donc répondu à une collecte de vêtements organisée par Nadine Lino (lire ci-dessous), la fondatrice de l’association « Live in Color », rencontrée au centre d'accueil de la Croix-Rouge de Bierset.

"Notre rencontre tient du hasard. Je voulais agir, quelle que soit la tâche."

Maggi a choisi de devenir la "marraine" d'Amir.

Les choses vont ensuite s'enchaîner rapidement. Touchée par la situation que vivent les réfugiés depuis la guerre des Balkans (dans les années1990), cette éducatrice spécialisée dans l’accompagnement des personnes handicapées se lance sans trop savoir à quoi s'attendre dans l'aventure du parrainage proposée par Live in Color.
La rencontre a eu lieu le 8 mars. Après une séance d'information, Maggi a débarqué dans les bureaux de l'association, où devait l'attendre Amir. Il pleuvait à verse ce jour-là. « Mon parapluie s'était cassé ! Et tu étais en retard… », taquine-t-elle, en jetant un regard faussement réprobateur vers son protégé. Les yeux dissimulés derrière une épaisse mèche de cheveux noir cendre, le jeune homme lui rend son sourire et se défend : « J'avais attendu le bus longtemps. Et même couru ! »
« Au départ, le dialogue se faisait avec les quelques mots de français qu'il connaissait... Aujourd'hui, il est introduit dans la famille » se réjouit-elle. Amir aime le jogging, le foot,la boxe. Et le vélo, qu'il pratique avec Alain, le mari de Maggi.

Nadine Lino, fondatrice de Live in Color.

Un maillon manquant

« C’est moi qui ai demandé une famille, se souvient le jeune homme. Au centre de la Croix-Rouge, j'étais seul.» Un constat qu'avait également fait la fondatrice et fer de lance de l’association Live in Color. « La situation des jeunes dans ces centres est désastreuse. Ils sont livrés à eux-mêmes, lâchés dans un système administratif kafkaïen! Et atteindre l'âge de la majorité s'assimile à un saut dans le vide ! », se désole Nadine Lino.

60 - Six mois après le lancement du parrainage, soixante Mena et quatre-vingt membres de familles participent à ces échanges
« bénéfiques pour eux comme pour leurs parrains». C'est beaucoup et en même temps, au regard des 5000 mineurs non accompagnés présents en Belgique, c'est dérisoire. Alors, Nadine Lino voit grand : « Il faudrait que ce soit institutionnalisé.»

Live in Color est née pour combler ce maillon manquant dans la chaîne d’accompagnement des demandeurs d'asile. Le parrainage par des familles (à partir de l'obtention du statut de réfugié) et de mineur non accompagné (Mena- sans condition de statut et jusqu’à leur 21 ans) est considéré comme un «prétexte à l’intégration ».

Une intégration vue comme « une interaction, un processus dynamique entre deux parties ». Chacune faisant un pas vers l’autre.

Autour de ce service, toujours bénévole, gravitent une centaine de volontaires. Ces derniers animent des cellules qui développent des projets annexes : formations, activités, rencontres, collectes de fonds… « L'encadrement est professionnel, tient à préciser Nadine Lino. Les bénévoles sont des personnes qualifiées qui mettent leurs compétences au service du projet » On y retrouve des avocats, des professeurs, des cadres et des chefs d’entreprise…

« Un attachement fort et définitif »

Entre Amir et Maggi, les contacts sont quotidiens. « On s'écrit des messages sur Facebook. On prend des nouvelles l’un de l’autre. En plus, ça l'aide à apprendre la langue! », commente la 'marraine'. Les semaines sont rythmées par les rendez vous scolaires (« la croix et la bannière »), les sorties en ville, culinaires ou culturelles. Parfois, ils poussent jusqu'à Bruxelles. Bientôt, ils iront à la mer. « Au départ les contours étaient flous. Mais la relation se met en place et évolue avec le temps ». Et les liens tissés en à peine six mois se solidifient de jour en jour.

« C'est une bonne marraine parce que... C'est comme une maman. »

Amir, jeune demandeur d'asile afghan arrivé en Belgique il y a un an et demi.

« Je suis content », répète Amir avec sincérité. Les mots lui manquent cependant pour décrire ses sentiments. « J'ai trouvé une bonne marraine. Elle m'aide. Elle est toujours là pour moi», souligne-t-il. « C'est parfois compliqué de savoir quelle place on occupe. Je ne ne veux pas être intrusive, mais je veux aussi lui montrer qu’il peut compter sur moi », embraie Maggi.
Gêné mais sûr de lui, Amir l'interrompt alors: « C'est une bonne marraine parce que... C'est comme une maman », lâche-t-il sous le regard visiblement ému de Maggi.

« C’est vrai que nous avons une relation de confiance. L'attachement est fort et définitif, commente-t-elle. Si ça avait été possible, il vivrait avec nous.»

En juillet, des demandeurs d'asile, majoritairement érythréens et soudanais, ont à nouveau été obligés de camper dans le parc Maximilien,
qui jouxte le bâtiment de l'Office des étrangers, au coeur de la capitale de l'Europe.

« Ces relations me donnent foi en l'être humain! Les jeunes sont métamorphosés. Ils y trouvent de réelles motivations à apprendre la langue, ils comblent un vide affectif béant », constate Nadine. « Cela change la famille, les amis, l’environnement dans son ensemble », dit-elle, constatant l’apport de ses deux filleules à son propre son fils, âgé de 9 ans.

Aujourd'hui, Live in Color est devenue un partenaire des institutions, centres d'accueil (ou Nadine Lino a lancé une école de devoirs), maisons sociales et autres CPAS avec qui cette cheffe d’entreprise travaille en étroite collaboration.

Renvoi d'ascenseur

Depuis quelques jours, la sonnette des bureaux de l'association est hors d’usage. Qu’à cela ne tienne, on rentre ici comme dans un moulin et c’est tant mieux. Des citoyens défilent dans un joyeux courant d'air, des sacs de vivres non périssables à bout des bras. Ils répondent à l'appel de Nadine pour venir en aide aux quelques centaines de migrants à nouveau obligés de camper au parc Maximilien, qui jouxte le bâtiment de l'Office des étrangers à Bruxelles. En arrivant en Belgique, Amir a lui-même fréquenté le lieu au plus fort de la crise. Lui dormait dans la gare du Nord, juste à côté.

Un an et demi après cet épisode, celui qui a emprunté, après l'Iran et la Turquie, la route des Balkans, retournerait bien dans son pays natal pour retrouver ses parents, ses deux frères et ses trois soeurs... à la condition d'y être en sécurité. Une éventualité dont ils emble fortement douter. "Je n'ose même pas y penser", souffle Maggi…

« On n'entend que les racistes décomplexés s'exprimer à grands cris, alors qu'il y a tant d'autres citoyens qui s'impliquent. »

Nadine Lino, fondatrice de Live in Color

Amir a obtenu la protection subsidiaire. Rien ne garantit donc qu'il pourra faire sa vie en Belgique. En vacances d’été, il s'accroche et suit les cours de français et de mathématiques donnés par Live in Color plusieurs fois par semaine. « Je préfère être bien occupé et puis, j'aime bien l'école. En Afghanistan, la mienne avait fermé… »
Maggi le presse gentiment.« On va y aller. Tu as une sortie vélo! » Quelques minutes plus tard, Amir revient en courant malgré une cheville douloureuse. « C'est normal de se blesser quand on fait du sport ! », sourit-il. Il dépose alors à son tour un sac rempli de gaufres à l'entrée des bureaux. Samedi, il iront les distribuer au parc Maximilien.

L'ensemble des reportages réalisés dans le cadre de l’initiative Coding for Peace est accessible via le site web codingforpeace.org

Vidéo et montage : Johanna Pierre
Photos : Olivier Papegnies, Jean-Christophe Guillaume

Nadine Lino, la vie arc-en-ciel

« Je n'ai de couleur que celles de Live in Color ». Nadine Lino le dit avec naturel et simplicité. On ne lui collera donc aucune étiquette. Ni affiliation politique ni celle de travailleuse sociale. Elle revendique cette indépendance qui lui donne une grande liberté d'action, mais aussi une liberté de ton.
Le dégradé de couleurs qui illustre le logo de l’association qu’elle a créée en 2015 symbolise celles des personnes qu'elle rencontre. Qu'elles soient d'ici ou d’ailleurs importe peu à Nadine, qui a choisi de ne pas mettre de distance avec ces personnes qui entrent dans sa vie depuis maintenant deux ans. L'important à ses yeux est d'amener les gens à se rencontrer, se découvrir et se mélanger.

Donner du sens. La quarantaine a pris chez elle les formes de l'engagement. « Je cherchais un autre équilibre, à donner du sens... » Face à la crise de l'accueil qui se joue lamentablement dans les rues de Bruxelles, elle se met en mouvement et lance une collecte de vêtements. Peu de temps après, 70m3 de tissus en tout genre remplissent les bureaux de sa société de communication. Un succès qu'elle n'avait jamais imaginé.
« On n'entend que les racistes décomplexés s'exprimer à grands cris, alors qu'il y a tant d'autres citoyens qui s’impliquent », commente-t-elle à ce propos. C'est le point de départ de son engagement à elle : une association fondée sur « les valeurs de citoyenneté, de solidarité, d'humanité et de l'amélioration du vivre ensemble ».
Des dizaines de personnes vont embrayer dans le sillage de cette mère de famille au dynamisme et au sourire inébranlables.«
Le succès de l’association traduit le manque de sens dans notre société. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui cherchent à être utile
s
. A faire la différence… »
Deux ans après avoir frappé à toutes les portes, entrepris de multiples démarches auprès des institutions et centres d’accueil, Nadine Lino a fini par se faire une place dans le paysage de l’accompagnement des demandeurs d'asile, principalement des mineurs non accompagnés (Mena).
« On dépasse largement le but fixé au départ », sourit-elle, tiraillée entre le sentiment du devoir accompli et la crainte de la responsabilité qui est devenue, un peu malgré elle, la sienne. L’association est en effet victime de son succès et sollicitée de toutes parts.

Récemment, Live in Color a été reconnue « Centre agréé du parcours d’intégration » par la Région wallonne dans le cadre du parcours éponyme devenu obligatoire. Des subsides publics accompagnent ce statut et devraient lui permettre de rémunérer l'un ou l'autre professeur et responsable administratif. Et ainsi répondre à la demande croissante.