10 idées pour secouer l'économie wallonne

Aller au-delà du bon sens économique


Le cahier des charges était clair. Les personnalités contactées par La Libre Eco week-end ne pouvaient pas y déroger en venant avec des idées maintes et maintes fois défendues. Hors d’une idéologie ou d’un positionnement classique patron-syndicats ou gauche-droite. Pour aller au-delà du “bon sens économique” défendu par les uns, conspué par les autres et inversement en fonction des positionnements qui viennent d’être évoqués.

Il a donc été demandé aux intervenants sollicités de détailler une idée originale, une seule, qui pourrait, selon eux, contribuer au redéploiement économique wallon ou à sa réindustrialisation. La première contrainte étant de sortir des sentiers battus et des idées habituellement avancées – même si elles sont sans doute judicieuses -, lorsqu’on aborde cette délicate question. La seconde contrainte étant de rester réaliste.

Une logique de plans

Les idées présentées dans les pages qui suivent sont évidemment critiquables et perfectibles. Certains les jugeront sans doute trop peu précises, peut-être. Mais La Libre Eco week-end ne leur a pas demandé de développer leurs idées sous forme d’une thèse de doctorat ou d’un plan financier.

Comment ont-ils été choisis ? Pour leur parcours, pour la fonction qu’elles ou ils occupent actuellement et peut-être aussi parfois pour celles qu’ils ou elles ont occupées par le passé.
La Wallonie s’est impliquée depuis près de vingt ans dans une logique de plans. Après les contrats d’avenir et les multiples plans Marshall qui ont quand même produit quelques effets, l’actuel exécutif du sud du pays reste dans cette logique. Avant la crise du Covid, on évoquait un plan de transition nourri de ces réformes basculantes vendues lors de la mise en place du gouvernement Di Rupo III (PS-MR-Écolo). Depuis l’arrivée de la crise sanitaire, le gouvernement wallon travaille désormais sur son nouveau plan nommé Get up Wallonia. “Encore un plan”, disent certains ; “Enfin des actes” disent d’autres. Mais pour l’heure, rien n’est encore très clair quant au contenu de ce qu’on pourra y trouver. Pour y parvenir, le gouvernement wallon a mis sur pied des task forces et un “conseil stratégique”. Des mots tellement entendus dans la bouche du monde politique qui, même lorsqu’ils veulent encore dire quelque chose, restent vides de sens pour le grand public.

Retenons quand même que lorsqu’il a évoqué pour la première fois ce fameux Get up Wallonia, Elio Di Rupo a lancé un appel, peut-être trop discret, aux bonnes idées, d’où qu’elles viennent. En proposant ce dossier, La Libre Eco week-end joue un rôle de mise en lumière d’idées originales qui plairont ou pas, mais qui ont le mérite d’exister. Et qui pourront peut-être alimenter la réflexion.

Réhabiliter les friches

Jean-Michel Javaux, bourgmestre d'Amay et président de Noshaq

Pour Jean-Michel Javaux, une piste essentielle pour aider la Wallonie à redresser la tête réside dans une idée que beaucoup défendent mais pour laquelle l’action reste très marginale. “Il y a des années que l’on parle de la réhabilitation des friches industrielles comme on en trouve en très grand nombre dans les anciens bassins de la révolution industrielle, Liège et Charleroi.” 

Pour l’ancien président d’Écolo, c’est le bon moment pour enfin agir en ce sens en incitant de nombreux acteurs différents à unir leurs forces. “Il est nécessaire de mettre en place une union sacrée entre le gouvernement wallon et plusieurs acteurs privés. Des équipes inédites en créant, par exemple, des associations momentanées. Ces structures prendraient tout en charge.” Et notamment, la dépollution de ces sites qui est toujours le principal écueil qui empêche manifestement les pouvoirs publics d’agir. 

“L’énergie est centrale dans ces reconversions. On voit qu’une société comme John Cockerill à Liège met en place un incubateur interne pour réfléchir à ces questions de reconversion énergétiques. Parce qu’il est nécessaire de créer des sites vertueux en matière d’énergies durables pour accueillir des entreprises qui adhèrent à cette démarche. Travailler sur ces friches permettra de mettre en place une réindustrialisation 4.0 et de créer de l’emploi.” 

Pour Jean-Michel Javaux, il faut bien se dire que “le territoire wallon n’est pas extensible et beaucoup d’entreprises anciennes comme la FN Herstal, par exemple, pourraient aussi se montrer intéressées par cette démarche.”

Jean-Michel Javaux. (Photo: JC Guillaume).

Jean-Michel Javaux. (Photo: JC Guillaume).

Thierry Huet. (Photo: JC Guillaume)

Thierry Huet. (Photo: JC Guillaume)

S’attaquer enfin au coût salarial

Thierry Huet, CEO de Desobry

Thierry Huet, le CEO de la biscuiterie Desobry, était un poil énervé au moment de répondre à notre demande : trouver une idée originale pour relancer l’industrie wallonne, en dehors des sempiternels messages véhiculés par l’Union wallonne des entreprises au sujet des coûts énergétiques et salariaux.

“C’est précisément ça le problème de l’industrie wallonne”, s’emporte-t-il. “Les coûts salariaux et énergétiques sont exorbitants ! Mon entreprise dépense 8,5 millions pour les salaires sur un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros. En m’installant en Pologne, je récupérerais 4 millions. Cela fait un montant gigantesque que je ne peux pas investir. On ne se rend pas compte qu’être industriel, c’est jouer avec l’allocation des ressources.

En ne pouvant pas investir comme leurs concurrents, les industriels wallons font la course avec un sac à dos rempli de pierres.”

Selon le patron de Desobry, le manque de volonté d’entreprendre et la complexité administrative sont deux autres freins au développement économique du sud du pays.

Pousser la recherche et l’innovation

Muriel De Lathouwer, Administratrice de sociétés

“Il faut mettre en place quelque chose qui ressemble à ce qui existe en Flandre, c’est-à-dire l’IMEC, le centre de recherche et développement” actif dans l’électronique et les nanotechnologies, annonce d’emblée Muriel De Lathouwer, administratrice de sociétés, dont CFE et Shurgard, et également connue pour avoir été la dirigeante de l’entreprise technologique EVS.

“C’est un centre assez incroyable qui est actif dans le numérique, aussi bien hardware (le matériel) que software (les logiciels)”, ajoute-t-elle, en précisant que les millions d’investissements de base auraient rapporté cinq milliards d’euros cette dernière décennie (l’IMEC a été fondé en 1984). “C’est un vrai levier pour parvenir à mener de l’innovation dans le business et créer de la valeur ajoutée.” Car c’est là où veut en venir Muriel De Lathouwer : l’innovation. C’est cela qui peut faire la différence en Europe si on veut rester compétitif.

“Le plan Digital Wallonia de 2015 avait déjà identifié cette opportunité mais cela n’a jamais été implémenté, à ma connaissance”, regrette-t-elle. “C’est dommage. On a des éléments. On a déjà des structures notamment pour subsidier et aider les entreprises dans leurs projets de recherches en innovation. Mais il ne faut pas uniquement de l’argent. Il faut des compétences et des chercheurs qui peuvent aider à concrétiser les projets. C’est ce que permettent des centres comme l’IMEC.

C’est ce secteur qui permet aussi de créer de l’emploi et de la croissance en Wallonie”, conclut l’administratrice de sociétés qui insiste d’ailleurs pour que les jeunes soient sensibilisés plus tôt et surtout plus intelligemment aux métiers du numérique dans leur parcours scolaire.

Muriel De Lathouwer. (Photo: Michel Tonneau).

Muriel De Lathouwer. (Photo: Michel Tonneau).

Sylviane Delcuve. (Photo: BNP Paribas Fortis).

Sylviane Delcuve. (Photo: BNP Paribas Fortis).

Responsabiliser nos autorités publiques

Sylviane Delcuve, Senior strategist chez BNP Paribas Fortis

Croyez-moi, si les citoyens étaient au courant de la manière dont les autorités publiques dépensent le moindre euro, leur conscience se réveillerait”, lance d’emblée Sylviane Delcuve, stratégiste chez BNP Paribas Fortis. Pour qui l’idée qui ferait bouger la Wallonie serait la “responsabilisation” ! C’est-à-dire ? “Il y a, qu’on le veuille ou non, des gabegies inexplicables en Région wallonne qui expliquent pourquoi la manne d’argent publique est exsangue. Le Ring de Charleroi (R3), le RER, les scandales Nethys/Publifin ou du photovoltaïque… Ce sont quelques exemples parmi beaucoup d’autres qui montrent d’abord qu’on ne sait plus vraiment ce à quoi on destine l’argent public et ensuite qu’on manque totalement de transparence. Mais la Région wallonne n’est pas la Norvège, qui a du pétrole, encore moins l’Iowa, qui est le réservoir agricole du monde. La Région n’a pas de ressources particulières, ni de situation géographique privilégiée. On ne doit donc compter que sur nous-mêmes.” Pour la macroéconomiste, l’argent ne tombe évidemment pas du ciel. La Région wallonne devrait inciter à davantage de transparence sur l’affectation des données budgétaires, et en informer plus concrètement les citoyens. “On doit savoir où va chaque euro qui rentre”, ajoute-t-elle. “On doit donc responsabiliser. Cela peut sembler évident mais cette responsabilisation, vu notre passé, demande un gros travail sur nous-mêmes, un changement de mentalité qui ne se fera pas en un tournemain.” En filigrane de cette responsabilisation des autorités publiques, qui appelle d’après elle des changements qui vont au-delà de l’institutionnel – “Le fonctionnement de notre économie doit aussi être mis en chantier” –, il y a la transparence. “La transparence de l’information surtout”, ajoute Sylviane Delcuve, qui tient aussi à compléter son argumentaire avec le mot “éducation”. “Ce mot est synonyme de valeur ajoutée pour nos jeunes, pour notre économie. L’éducation est la base de tout. À 18 ans, on doit savoir ce que l’on veut faire de sa vie, et le rôle de nos autorités publiques est de les y aider….”

Lever le tabou de la dette publique

Jean-François Tamellini, secrétaire général de la FGTB wallonne

Pour le nouveau patron de l’Interrégionale wallonne de la FGTB, Jean-François Tamellini, cette crise doit nous faire changer radicalement de cap. “Le développement économique n’est pas une fin en soi. Notre modèle doit être repensé à partir des besoins essentiels de la population. Dans ce contexte, il faut réfléchir à des solutions crédibles pour alléger le poids de la dette et rompre avec les politiques d’austérité”, estime le syndicaliste. Lequel aurait bien poussé l’idée d’une redistribution collective du temps de travail mais se doutait qu’elle pourrait être “disqualifiée d’office”, plaisantait-il.
Mais l’homme fort de la FGTB wallonne préfère se tourner vers la dette, “car il n’est plus question de faire payer la crise à la population, comme cela a été le cas depuis 2008”. “Exiger une annulation des intérêts payés sur la dette wallonne en 2020 et 2021 et une diminution de 50 % du taux sur les années suivantes n’aurait rien de révolutionnaire… Le gouvernement espagnol (de droite) a pris de telles mesures en 2015. La charge des intérêts de la dette wallonne s’élève à 300 millions par an, pour un taux implicite de 2,45 %… alors qu’aujourd’hui, les taux sont proches de 0 % ! L’annulation des intérêts dégagerait donc 300 millions en 2020 et 2021, tandis qu’une diminution de 50 % du taux rapporterait 150 millions par an, de manière structurelle. Ces fonds pourraient être utilisés pour accélérer le Plan wallon de rénovation du logement public. Selon les prévisions, sur les 40 000 logements les moins bien isolés, 25 000 seront rénovés d’ici 2024. Avec un coût moyen de 46 700 euros par logement, les 750 millions dégagés par cette mesure permettraient de rénover les 15 000 restants en 3 ans. Ce type de politique combine relance économique, justice fiscale, développement de l’emploi durable et local (moyennant l’intégration de clauses sociales, environnementales et éthiques dans les cahiers des charges des marchés publics), amélioration du bien-être des locataires, réduction de leur facture énergétique, diminution de l’empreinte climatique…”, explique Jean-François Tamellini. Qui conclut : “La soumission aux intérêts du secteur financier n’est pas une fatalité. Des alternatives existent pour initier d’autres politiques que celles, mortifères, de l’austérité et du paiement aveugle de la dette publique”.

Jean-François Tamellini. (Photo: Belga).

Jean-François Tamellini. (Photo: Belga).

Isabelle Ferreras. (Photo: Point Culture)

Isabelle Ferreras. (Photo: Point Culture)

Déployer une garantie d’emploi pour toutes et tous

Isabelle Ferreras, Professeure de sociologie à l’UCLouvain

“Hors des sentiers battus et réaliste. Je pense avoir respecté le cahier des charges”, lance Isabelle Ferreras, professeure d’économie à l’UCLouvain. En préambule de sa proposition, la spécialiste du marché du travail rappelle que “le droit au travail et le libre choix de son travail sont inscrits à l’article 23 de notre Constitution.” Et pourtant, poursuit-elle, “on a laissé aux forces du marché le soin de décider de la proportion de personnes parmi nous jugées inutiles. Voilà un choix dramatique.”

La sociétaire de l’Académie royale assène : “Sur le plan individuel, à côté des difficultés liées à des revenus trop faibles et au risque de pauvreté, la peine infligée aux individus privés d’emploi est une souffrance intime. Le sentiment de perte de sens et d’inutilité sociale marque la plus grande majorité des personnes sans emploi. Quand cette peine se transmet de génération en génération, le cercle vicieux de la désocialisation s’installe durablement. Quel est l’avenir de cette jeunesse ? Sur le plan sociétal, comment pouvons-nous penser que l’on manquerait de travail alors que quantité de besoins dans les domaines des soins aux personnes et des soins à la planète restent non remplis, et ne seront pas pris en charge par des marchés solvables… Il est donc urgent de démarchandiser le travail. Ce n’est pas au dit “marché du travail” de décider du destin ni de l’utilité des citoyens. Le projet des “Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée” est une expérimentation qui permet de construire les emplois utiles fondés sur la rencontre entre les compétences et les motivations des personnes privées d’emploi et les besoins des collectivités. Il est urgent de lancer ces expérimentations afin d’identifier les conditions de réussite d’une véritable “Garantie d’emploi” pour tout le monde.

En Belgique, le non-emploi coûte environ 40 000 euros par personne par an à la puissance publique, tous niveaux de pouvoir confondus (Rapport Dulbea-Solvay-ULB Mai 2020). Il est temps de consacrer ces ressources, avec les personnes privées d’emploi qui le souhaitent, à créer les emplois utiles pour relever le défi de la crise économique, climatique et démocratique qui est là. Le monde d’après, c’est maintenant”, conclut Isabelle Ferreras.

Adapter les aides publiques aux start-up

Amandine Coutant, Cofondatrice et COO de Myskillcamp

Il est temps d’adapter les aides aux entreprises, nombreuses en Région wallonne, à la multiplication et au développement de start-up. Telle est la demande formulée par Amandine Coutant, qui a cofondé la plateforme de formation en ligne Myskillcamp avec son mari, Kevin Tillier, et dont elle est la Chief Operating Officer (COO) depuis près de cinq ans.

Pour cette jeune entrepreneure, qui gère une vingtaine de collaborateurs et vient de boucler une levée de fonds de 2,1 millions d’euros, il ne s’agit pas de bouder ces aides (comme celles à l’exportation, les chèques entreprises ou les aides “de minimis”, etc.), mais bien de les rendre plus adéquates aux réalités et aux besoins du monde des start-up technologiques. “On ne jette la pierre à personne, mais il faut bien admettre que les start-up et les entreprises de demain grandissent tellement vite que les dispositifs actuels apparaissent souvent très archaïques. Il faut y réfléchir. Des solutions existent pour pallier les problématiques auxquelles nous sommes confrontés”, explique Amandine Coutant.

Elle donne, en exemple, la procédure de labellisation liée à l’introduction d’une demande auprès des services d’aide aux entreprises. “Pour une jeune pousse, ça relève du marathon tellement c’est long et complexe ! Certains abandonnent avant même d’avoir entamé le parcours. Pourquoi ? Parce que si vous n’avez pas les moyens ou les ressources, qui vous permettent de remonter votre demande en haut de la pile des dossiers, vous devrez attendre plusieurs mois.” La cofondratrice de Myskillcamp rappelle combien le temps est une donnée capitale dans la réussite ou l’échec d’une start-up. Il faut être rapide et agile dans l’exécution de sa stratégie.

“Un projet pensé le lundi doit être budgétisé, encodé et rentabilisé pour la semaine qui suit. Et ce, avec un cashflow maîtrisé !” Alors, interroge Amandine Coutant, pourquoi ne pas commencer par alléger et adapter ces processus archaïques d’octroi des aides selon le type de société (indépendant, start-up, PME, grande entreprise,…) ? Voire même, selon le type d’entreprise, sa taille, son secteur d’activité ?

Amandine Coutant et Kevin Tillier.

Amandine Coutant et Kevin Tillier.

Un centre international du gaming

Didier Mattivi, CEO de Wild Bishop

Didier Mattivi est un entrepreneur wallon au parcours original. Après de nombreuses années passées dans les télécoms (IP Trade), il est désormais à la tête d’une société de gaming et il lance aussi une activité de fabrication de fûts en bois wallon destinés à l’activité viticole belge. Pour évoquer son idée, il tente un peu de provocation en expliquant qu’il faut donner du “pain et des jeux” aux gens. “La notion d’entertainment aux USA englobe aussi bien le divertissement populaire que la culture avec un grand C.” Pour Didier Mattivi, la Wallonie doit regarder vers l’avenir “et arrêter de penser que c’est à partir de son passé qu’elle va se redéployer.” Il propose d’y créer un véritable “business de l’entertainment et, en particulier, autour de la création de jeux vidéo. L’intérêt, c’est que le marché est international. Le marché du jeu vidéo dans le monde, c’est trois fois plus important que celui du cinéma. Pour y parvenir, il est nécessaire de mettre en réseau des entreprises technologiques et créatives déjà présentes en Wallonie.” Pour notre interlocuteur, l’aspect formation est important mais pas n’importe comment. “Il existe déjà des gens avec de très bons profils et qui sont formés à la haute école Albert Jacquard à Namur ou à Saint-Luc à Liège mais c’est à l’étranger qu’ils peuvent trouver des débouchés. En créant déjà deux ou trois projets en Wallonie, on pourrait garder ces talents ici. La formation est importante mais elle doit être pensée en lien avec le développement de ce secteur”, conclut-il.

Didier Mattivi

Didier Mattivi

Bernard Delvaux. (Photo: Bernard Demoulin).

Bernard Delvaux. (Photo: Bernard Demoulin).

Partir sur une ambition de dix ans

Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca

Pour Bernard Delvaux, le CEO de la Sonaca, s’il existait une mesure qui pouvait sauver la Wallonie, “cela se saurait.” “Nous sommes dans une période où il faut compenser la baisse des investissements privés par des investissements publics ayant un impact, comme la digitalisation des écoles ou des administrations”, explique-t-il. “Ce sont des dépenses publiques qui sont productives car elles vont réduire les dépenses dans le futur. C’est aussi une manière de redonner confiance aux investisseurs.”

Mais selon le patron wallon, davantage que des mesures, le plus important est de créer une “nouvelle dynamique” “Le système qui s’est mis en place aujourd’hui s’autodétruit et ne fonctionne pas. Ce n’est pas un problème de personnes.” L’ingénieur civil de formation pointe du doigt la manière dont sont formés nos gouvernements, qu’ils soient régionaux ou fédéraux. “On fait un programme de gouvernement, un consensus des différents partis de coalition, et on en tire une liste de mesures qui est figée pour toute la législature. C’est très difficile de trouver une cohérence dans cette “shopping list” de mesures qui ont souvent très peu d’impact. De plus, le monde change en trois ou cinq ans et on ne les adapte pas à la nouvelle réalité. On ne peut pas dire que la Belgique ou la Wallonie se soient énormément développées ces dernières années par rapport aux pays voisins. Le système judiciaire est, par exemple, extrêmement moderne et efficace aux Pays-Bas, ce qui n’est pas le cas en Belgique.”

Selon cet ancien de Mc Kinsey, le gouvernement doit partir d’une ambition commune “bien définie” sur cinq ou dix ans, avec des objectifs “très clairs” et “mesurables”, que ce soit dans le social, l’économie ou l’environnement. “Le gouvernement doit faire en sorte que les différents acteurs qui travaillent chacun dans leur projet le fassent de manière coordonnée et que les énergies s’additionnent plutôt qu’elles ne se neutralisent. Avec cette crise du Covid, les Wallons ont plus que jamais besoin de perspectives.”

Contrôler les stocks stratégiques

Hugues Bultot, CEO et cofondateur d’Univercells

Hugues Bultot, le dirigeant d’Univercells, société active entre autres dans la production de vaccins, ne veut pas d’une vision court-termiste de la “relance”. Il refuse de parler pour les secteurs qu’il ne connaît pas et se cantonne à son domaine, les biotechnologies et la pharma. Pourtant, son raisonnement pourrait être étendu : il faut voir à long terme et anticiper.

Comment ? En créant, concrètement, un “organe de contrôle des stocks stratégiques”, avance-t-il. “Il va falloir y réfléchir au niveau européen mais la Wallonie a son rôle à jouer. On parle aujourd’hui de grippe, mais pourquoi n’a-t-on pas de stock stratégique de vaccins contre la grippe ? Pareil pour la vitamine D, principalement produite par la Chine ?”, questionne-t-il.

“On voit bien que les différents démantèlements entrepris par Trump des institutions de santé aux États-Unis, avant le Covid-19, ont largement compliqué la situation là-bas. Il fut bien dépourvu quand l’hiver fut venu, serait-on tenté de dire”, donne-t-il comme contre-exemple. “Aujourd’hui, la crise nous a montré qu’on est bien placés, en Belgique, dans tout ce qui est sciences du vivant et biotechnologies”, dit-il, confiant dans le potentiel wallon. “Il faut envisager l’immigration positive, comme dans la Silicon Valley, attirer les cerveaux, les cadres. Si les entreprises wallonnes du secteur fonctionnent bien, et les diverses entrées en bourse le prouvent, elles gagneront plus d’argent, et paieront plus d’impôts. Et donc contribueront plus à la société”, détaille-t-il.

Il faut voir loin, il faut voir grand et ne pas rester à la traîne par rapport à la Flandre, selon lui. La Flandre qui “étouffe de toute façon dans son environnement industriel” et aura besoin de la Wallonie, selon le CEO, qui prévient qu’il faudra anticiper les futures crises, car on n’y échappera pas.

Hugues Bultot. (Photo: Univercells).

Hugues Bultot. (Photo: Univercells).

Un dossier réalisé par Stéphane Tassin, François Mathieu, Laurent Lambrecht, Pierre-François Lovens, Raphaël Meulders et Antonin Marsac.